100 ans de reconquête

Louis Cornellier | LE DEVOIR

L’Action nationale fête son centenaire cette année. C’est un événement. En janvier 1917, dans le premier numéro de la revue qui s’appelle alors L’Action française, l’économiste Édouard Montpetit plaide pour une « conquête économique » dont il fait une condition de notre avenir national. Le ton est donné pour les cent années suivantes.

« Le projet de L’Action française est d’abord celui d’une reconquête de soi », explique le sociologue Robert Laplante, directeur de la revue depuis 1999, dans le numéro anniversaire de janvier-février 2017. Depuis l’échec de la rébellion de 1837, les Canadiens français ont été malmenés. On leur a imposé un Acte d’union visant à les dissoudre dans la nationalité anglaise, Riel a été pendu et le français a été interdit d’enseignement dans plusieurs provinces.

Le pacte de 1867 leur a redonné un certain contrôle sur le territoire québécois, mais ils continuent de vivre, dans le Canada, comme une frange assiégée. L’Action française, continue Laplante, veut renverser cette « représentation minoritaire » et « aider la nation à se saisir comme totalité ». Cent ans plus tard, cette mission se poursuit, car elle reste inachevée et nécessaire.

En un siècle, la revue, qui deviendra L’Action nationale en 1933, a évolué sur le plan idéologique. Elle est toutefois demeurée fidèle, note Laplante, « aux deux grands axes de sa mission : la défense et la promotion de la langue française et la recherche des voies d’émancipation de la nation ».

Dirigée, au fil des ans, par certains des intellectuels phares du Québec — Lionel Groulx, André Laurendeau, Guy Frégault —, la revue, longtemps autonomiste, choisit l’option indépendantiste dans les années 1970. Cette ligne directrice n’exclut pas, dans ses pages, la critique, parfois virulente, du Parti québécois, souvent tancé pour sa mollesse nationale, et les passes d’armes entre les conservateurs et les progressistes. Dans les années 1960, François-Albert Angers, directeur de la revue, s’oppose notamment au rapport Parent et à l’étatisation d’Hydro-Québec.

 

La leçon de l’histoire
Ce numéro anniversaire adopte une perspective historique. L’histoire, d’ailleurs, comme le rappellent ici Mathieu Bock-Côté et Félix Bouvier, a toujours été au coeur de L’Action nationale. Dans un hommage vigoureux et senti à Lionel Groulx, ce « grand classique » de notre littérature, écrit-il, Bock-Côté précise que, pour le chanoine, « l’histoire est le savoir national par excellence ». Ce numéro respecte cette logique en présentant, grâce à 17 collaborateurs, l’histoire de l’évolution idéologique de L’Action nationale sur une foule de thèmes : éducation, économie, immigration, nationalisme, langue française et quelques autres, en oubliant toutefois la littérature.

Cette histoire, pour l’essentiel, se résume assez facilement : depuis la Confédération de 1867, dont c’est le 150e anniversaire cette année, les nationalistes québécois ont multiplié les propositions d’accommodements visant à permettre au Québec de trouver une place satisfaisante dans le Canada, mais ce fut sans résultat, d’où le choix ultime de l’indépendantisme.

Pendant ses cinquante premières années d’existence, note Denis Monière, les penseurs de L’Action nationale veulent croire à la Confédération, au pacte des deux peuples fondateurs et à la possibilité pour le Québec de trouver, dans le Canada, l’espace de liberté dont il a besoin pour se développer dans la fidélité à sa culture et à sa langue.

Le refus du Canada anglais de saisir cette main tendue forcera les autonomistes québécois conséquents à devenir indépendantistes. « Toute l’histoire du Québec n’est qu’un étapisme vers plus d’autonomie, que nous appelons aujourd’hui souveraineté ou indépendance », écrira François-Albert Angers, en 1979, pour expliquer sa conversion indépendantiste.

Il arrive cependant à l’histoire de régresser. Depuis l’échec référendaire de 1995, l’élan autonomiste semble en proie à l’indifférence, comme si la défaite pouvait être un refuge satisfaisant. L’Action nationale, elle, et c’est sa noblesse, ne désarme pas. « C’est une faute morale, écrit Robert Laplante, que de consentir à vivre en dessous de son potentiel et dans l’évitement de sa responsabilité. L’honneur et la dignité ont des exigences. Nous refusons par avance ce que le Canada veut faire de nous. Il nous est intolérable de vivre en nous laissant déporter à la périphérie de nous-mêmes. » Si cette revue n’existait pas depuis cent ans, il faudrait l’inventer.

 

 

 

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