MATHIEU BOCK-CÔTÉ | LE JOURNAL DE MONTRÉAL | 19 MAI 2014
PATRIOTES | GOUVERNEMENT RESPONSABLE | RÉVOLUTION TRANQUILLE | INDÉPENDANCE |
Depuis quelques années, la Journée nationale des Patriotes cherche à installer les Rébellions de 1837-1838 au cœur de la mémoire collective, pour en faire une ressource de sens identitaire. En un sens, elles y étaient déjà, dans les couches les plus profondes de la mémoire populaire, où elles sont encore associées à l’imaginaire de la lutte nationale pour l’indépendance. […]
Selon le récit qu’on fait des Patriotes, évidemment, la conclusion qu’on en tire ne sera pas la même. Ceux qui les définissent par la quête nationale y voient une lutte inachevée, et un jour à reprendre, pour l’indépendance. C’est ainsi qu’on a réhabilité leur mémoire progressivement au vingtième siècle. Se souvenir des Patriotes, c’était une manière de fonder historiquement le combat souverainiste. Ceux qui n’y voient qu’une lutte démocratique nous invitent plutôt à nous réjouir de leur réussite, avec quelques années de retard, avec l’obtention du gouvernement responsable, marquant une étape majeure dans l’histoire de la démocratie québécoise et canadienne.
Évidemment, les deux visions ne se contredisent pas fondamentalement, car la nation et la démocratie, dans la modernité, s’accompagnent naturellement, la première fournissant le cadre indispensable de la seconde. C’est probablement pour cela qu’on a porté beaucoup d’attention ces dernières années à la philosophie républicaine qui les animait, ce qu’ont confirmé les travaux, notamment, de Louis-Georges Harvey et de Gilles Laporte, ce dernier ajoutant à son œuvre un travail de pédagogie populaire admirable. Ceux qui cherchent à convertir le nationalisme québécois au républicanisme voient évidemment dans le mouvement patriote un élan fondateur encore inspirant. […]
La mémoire collective, on ne le dira jamais assez, est un champ de bataille, et au-delà des travaux des historiens, les mouvements politiques s’en emparent pour fonder leur action. Dans le Québec d’après la Révolution tranquille, construit sur le rejet de la Grande noirceur canadienne-française, les Patriotes fournissaient un épisode historique « progressiste » vers lequel se tourner, dans la mesure où il tranchait avec un passé canadien-français généralement conservateur. Alors que le Québec se coupait de son passé, les Patriotes fournissaient en quelque sorte une bouée de sauvetage. Les Québécois modernes avaient des ancêtres. Au fil du temps, on les a conscrit pour d’autres causes, évidemment. […]
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