À quand le limogeage de John A. Macdonald?

Maxime Laporte et Christian Gagnon
Respectivement président général et conseiller général de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal

 

 

 

C’est aujourd’hui, 11 janvier, la journée Sir John A. Macdonald, comme à chaque année depuis qu’une loi fédérale a été adoptée en ce sens en mars 2002. On s’attend donc à ce que la ministre du Patrimoine Mélanie Joly émette un communiqué très convenu pour souligner cet hommage à une icône du Parti conservateur. Mais en politique, certains silences en disent parfois plus long qu’un interminable discours.

C’était particulièrement évident le 8 décembre dernier, lorsque le ministre des Finances, Bill Morneau, a annoncé que l’effigie de la militante néo-écossaise des droits civiques des Noirs, Viola Desmond, allait remplacer sur le billet de dix dollars celle de… John A. Macdonald! Normalement, cette décision libérale aurait dû être vertement critiquée par l’opposition conservatrice, le gouvernement Harper ayant tenté de nous faire célébrer le bicentenaire de la naissance de Macdonald durant toute l’année 2015. Mais en 2016, ce sont plutôt les douloureuses audiences de la Commission de vérité et réconciliation qui ont mis en évidence l’héritage toxique de l’instigateur des pensionnats autochtones, ce même John A. Macdonald. Ce que le rapport de la Commission qualifia sans détour de « génocide culturel » a achevé de rendre Macdonald définitivement infréquentable. De là découle le mutisme sur l’expulsion du père de la Confédération de notre monnaie, non seulement chez l’opposition conservatrice mais aussi dans les médias canadiens en général.

Il faut dire qu’au cours des récentes années, le bilan dans l’histoire canadienne du tout premier titulaire du poste de premier ministre n’a cessé d’être gravement assombri et d’embarrasser l’ensemble des Canadiens. Après tout, Macdonald a aussi créé les réserves indiennes dans le but précis d’exterminer par la famine les Amérindiens des Prairies en vue de faciliter le passage du chemin de fer du Canadien Pacifique, comme l’a indéniablement établi l’historien James Daschuk en 2013. Le contrat de chemin de fer en question a d’ailleurs fait l’objet du plus gros scandale de corruption de l’histoire de ce pays, scandale qui, en 1873, poussa Macdonald et tout son gouvernement à la démission. Mais si ce n’était que cela…

L’an dernier à pareille date, le très maladroit communiqué de la ministre Joly sur Macdonald lui avait valu une volée de bois vert. C’est que la ministre avait invité les Canadiens « à en apprendre davantage sur sa vie et sa vision d’un pays qui valorisait la diversité, la démocratie et la liberté. » Or, l’histoire nous enseigne que Macdonald a plutôt prôné la suprématie raciale des Anglo-Saxons. À cet effet, il fit imposer en 1885 une lourde taxes d’entrée aux immigrants chinois et retira le droit de vote à tous les Canadiens « de race chinoise ou mongole », sans quoi « le caractère aryen de l’avenir de l’Amérique britannique serait détruit. ». Ses convictions racistes n’étaient pas récentes. Au début de sa carrière politique, John A. Macdonald, qui continuait à pratiquer le droit privé, se mit au service des Copperheads, faction du Parti démocrate américain qui regroupait les opposants à l’abolition de l’esclavage. Durant la guerre de Sécession (1861-1865), Macdonald prenant la parole à un banquet, il insista pour rendre hommage à « la brave défense menée par la République Sudiste ». Le remplacement de ce sinistre personnage sur notre monnaie par une pionnière des droits civiques des Noirs n’est donc que juste retour des choses.

D’une minorité à l’autre, L’antipathie de Macdonald à l’égard des francophones n’était guère moindre, lui qui fut membre de la loge orangiste de Kingston dès l’âge de 25 ans. Après l’abolition des écoles françaises de la Nouvelle-Écosse en 1864, le Nouveau-Brunswick fit de même en 1871. Les Acadiens demandèrent aussitôt au premier ministre Macdonald d’intervenir, ce qu’il refusa de faire, prétextant qu’il s’agissait d’une juridiction provinciale. Pourtant, entre 1867 et 1896, le gouvernement fédéral exerça 65 fois contre des lois provinciales son pouvoir de désaveu, fondé sur l’article 90 de la Constitution de 1867, pour des questions autrement moins fondamentales que les droits scolaires des Canadiens français. De retour au pouvoir en 1873, Macdonald afficha la même indifférence complice face aux Canadiens français de l’Île-du-Prince-Édouard dont les écoles avaient été abolies l’année précédente. Il en fit de même au moment de l’abolition des écoles franco-manitobaines en 1890, même si le Conseil privé de Londres lui suggéra de voter une loi réparatrice. Entrepris sous son règne, le saccage des écoles françaises de Canada s’est poursuivi après la mort de Macdonald, en Alberta et aux Territoires du Nord-Ouest en 1892, en Saskatchewan en 1902 et en Ontario en 1912. Il faut savoir qu’encore aujourd’hui, les francophones de tout le « Rest of Canada » réclament pour leurs écoles surpeuplées et sous-financées l’égalité de traitement avec les écoles anglophones. Et que la mauvaise foi des gouvernements provinciaux concernées les mènent généralement jusqu’en Cour suprême. D’où folle envie des Canadiens de 2017 de parler d’autre chose.

Principale ombre au tableau de ce 11 janvier, le visage apaisant de Viola Desmond ne remplacera celui de Macdonald sur nos billets mauves qu’en 2018. Il nous faudra donc feindre de ne pas l’y voir durant toute l’année des célébrations des 150 ans de la mal nommée « Confédération ». Mais l’aveuglement volontaire est une spécialité canadienne, ce que nos gouvernements québécois et canadien sauront assurément démontrer le 17 avril prochain, jour des 45 ans de l’exclusion constitutionnelle du Québec. Pour s’en convaincre, il n’y a qu’à lire le communiqué émis aujourd’hui par Mélanie Joly sur le Très Honorable père de la Confédération. Alors, à quand l’abolition de la journée Sir John A. Macdonald?

 

 

Signature Maxime Laporte