Au paradis perdu des nations non-souveraines

GILLES LAPORTE | HUFFINGTON POST QUÉBEC | 16/09/2014

Alexander Smith
L’Assemblée des six-comtés (Manifestation des Canadiens contre le gouvernement anglais, à Saint-Charles, en 1837). de Charles Alexander Smith (1890)

Pas d’hier que les luttes nationales menées ailleurs en Occident inspirent les nationalistes québécois. Déjà en 1837, les journaux patriotes s’enthousiasmaient pour les révoltes en Amérique latine contre l’Empire espagnol, en Grèce contre l’Empire ottoman, en Belgique contre les Provinces-Unies, en Pologne contre l’Empire russe ou en l’Italie contre l’occupation autrichienne. […] Durant la Guerre froide, les premiers indépendantistes québécois (à commencer par René Levesque à l’émission Point de mire) sont fascinés par les mouvements de décolonisation en Égypte contre le protectorat britannique, en Algérie contre le colonisateur français ou au Viêt Nam contre l’impérialisme américain. Au tournant du XXIe siècle, on s’intéresse à leur tour aux États-nations issus de la décomposition du bloc soviétique: Slovaquie, Slovénie et républiques baltes notamment.

[…] Les cas récents de l’Écosse et de la Catalogne en sont des démonstrations éclatantes. Personne ne niera combien le rappel de l’ancien royaume d’Écosse a compté dans la genèse du projet actuel de souveraineté écossaise. À lui seul, le film populaire Braveheart, produit et interprété en 1995 par Mel Gibson pour rappeler l’épopée de William Wallace (1272-1305), a révélé au monde l’histoire méconnue de l’Écosse souveraine. Durant le Moyen Âge, le royaume écossais participe bel et bien au concert des nations, s’alliant même à la France contre l’Angleterre durant la guerre de Cent Ans.  […]

De son côté, les Catalans rappellent de bon droit l’époque où le royaume d’Aragon dominait la méditerranée occidentale, fer-de-lance de la Reconquista au XVe siècle. […]

L’histoire est bien sûr tout autant au cœur de l’argumentaire souverainiste québécois. Depuis la Conquête de 1760 foisonnent les cas d’abus envers le peuple québécois de la part de la métropole britannique, puis du Canada anglais. L’histoire du Québec est cependant dépourvue d’un épisode où son peuple ait pu exercer sa souveraineté et ainsi assoir les assises juridiques de sa capacité à assumer sa destinée. À ce compte, les Premières Nations sont mieux en mesure que les Canadiens français d’invoquer l’histoire pour renouer avec une souveraineté confisquée.

Reste la Nouvelle-France. À l’instar des antiques royaumes d’Écosse ou d’Aragon, le Québec peut-il trouver à l’époque du régime français l’exemple d’une souveraineté perdue ? Bien sûr que non. Plus que jamais, le territoire du Québec était alors une colonie soumise à la France, les émissaires français, de Frontenac à Montcalm, ne se gênant pas pour rappeler aux «Canadiens» leur statut de coloniaux quand ces derniers tentent d’organiser la guerre aux colonies anglaises ou de signer eux-mêmes des traités avec les Autochtones. […]

[…] Privé d’exemple de souveraineté dans son histoire, le peuple du Québec ne peut guère s’abreuver qu’à la source de l’amertume afin d’étancher sa soif d’indépendance. Il se retrouve donc d’autant plus face à un déficit de fierté, de confiance et de légitimité pour se prouver à lui-même sa capacité à pleinement assumer sa souveraineté. L’indulgence envers nous-mêmes devrait donc être tout autant de mise que notre détermination.

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