Cachez ce déclin du français que l’on ne saurait voir

Christian Gagnon  | Le Patriote

 

Statistique Canada et les médias fédéralistes nous font le coup presqu’à chaque recensement. Toujours en quête de manchettes rassurantes et particulièrement sous un gouvernement libéral, ils nous émettent immanquablement des communiqués et manchettes bienheureuses pour faire état de nouvelles études dont le contenu l’est pourtant nettement moins. Les techniques de camouflage retenues pour rendre invisible l’attrait de l’anglais chez les allophones sont souvent les mêmes. La première méthode classique consiste à comparer la situation linguistique d’aujourd’hui avec celle d’avant la Loi 101 pour ainsi afficher de grands progrès et ne pas laisser paraître le déclin constant des années plus récentes. L’autre façon de faire est d’amoindrir les mauvaises tendances de l’île de Montréal en les diluant dans celles de l’ensemble de la région métropolitaine de recensement, incluant des villes aussi lointaines et francophones que Saint-Jérôme.

Dans l’actualité récente, c’est l’Office québécois de la langue française (OQLF) qui, le 31 mars dernier, a lancé le bal en rendant publiques deux études portant sur la langue d’enseignement au Québec, l’une sur les enseignements préscolaire, primaire et secondaire, et l’autre sur les nouveaux inscrits au cégep. Dans la première étude, on note la très forte part du fardeau d’intégration linguistique des écoles de l’île de Montréal, là où depuis 2011, les élèves allophones (41,2 %) sont plus nombreux que les francophones (39,8 %). On montre aussi depuis 1996 une lente mais constante augmentation de la part des élèves allophones fréquentant l’école française. Ces deux constats s’expliquent évidemment par l’effet combiné de la forte concentration de l’immigration récente à Montréal et par l’obligation faite aux enfants issus de cette immigration par la Loi 101 de fréquenter l’école française.

Ces chiffres ne sont donc aucunement l’indice d’un pouvoir d’attraction grandissant du français chez les allophones puisque ce mouvement est contraint par la loi. Dans son édition du 1er avril, le quotidien La Presse intitule tout de même son article sur le sujet Les allophones fréquentent les écoles francophones du Québec et insiste pour s’émerveiller que la part d’élèves allophones à l’école française soit passée de 15 à 89 % depuis… 1971! Évidemment, le bond vertigineux de 75 points se divise en deux phases, soit un premier choc de 65 points en 25 ans, puisque tous ces allophones autrefois massivement acquis à l’école anglaise ont subitement été forcés par la Loi 101 de 1977 à fréquenter l’école française. Au cours des 19 années suivantes (de 1996 à 2015), la progression n’a cependant été que de 9,5 points. Cette façon de La Presse de référer au passé le plus lointain possible pour magnifier les progrès rappelle le populisme navrant d’un certain Jean Chrétien qui, à une certaine époque, s’évertuait à nier les problèmes du français au Québec en lançant, On était 60 000 francophones au moment de la Conquête [de 1759] et aujourd’hui, on est 6 millions! C’est quoi le problème? Mais qu’arrive-t-il lorsqu’à la fin de leur 5e secondaire, les allophones ne sont plus obligés d’étudier en français? C’est là l’objet de la seconde étude de l’OQLF.

Le principal constat de l’étude sur la fréquentation des cégeps est que la proportion des allophones issus de l’école secondaire française ayant choisi le cégep français a augmenté, passant de 54 % en 1985 à 69 % en 2015. Cette hausse de 15 points en 30 ans réjouit Marc Termote, ex-président du comité de suivi de la situation linguistique de l’OQLF. Dans Le Devoir du 10 février dernier, l’éminent démographe écrit, Il est évidemment regrettable qu’un certain nombre de diplômés du réseau secondaire francophone continuent d’être attirés par les cégeps anglophones. Mais de combien de personnes parlonsnous ? En 2014, moins de 1 900 élèves [allophones] sont passés du secondaire francophone au cégep anglophone, ce qui représente 31 % des personnes concernées (un pourcentage en net recul depuis les 46 % observés en 2001).

La réplique du mathématicien bien connu Charles Castonguay ne s’est pas fait attendre. Dans sa chronique du 19 avril de L’Aut’ Journal, l’expert en démolinguistique reproche à son confrère de négliger la baisse de près de 2 % de fréquentation des cégeps français par les francophones au cours de la même période. Puisque dans la population, les francophones sont bien plus nombreux que les allophones, ce petit 2 % représente néanmoins 2 100 étudiants francophones au cégep anglais s’ajoutant aux 1 900 allophones. Pour la seule année 2014, Castonguay précise donc que ce sont 4 000 élèves provenant du secondaire français (et non 1 900) qui ont tourné le dos au cégep français (4 200 pour l’année 2015). Il souligne de plus que si depuis quelques années, ce phénomène est stable chez les finissants allophones du secondaire français, il est en forte accélération chez les francophones, ayant grandi deux fois plus entre 2010 et 2015 qu’au cours des 25 années précédentes. Toutes langues maternelles confondues, Castonguay montre également qu’en 2010, le cégep anglais attirait 18,5 % des nouvelles inscriptions, même si au sein de toute cette cohorte, les anglophones ne comptent que pour 8,9 %. C’était pire en 2015 avec 19,4 % des nouvelles inscriptions bien que les nouveaux collégiens anglophones n’aient représenté que 8,2 % de l’ensemble.

Au recensement de 2011, les anglophones comptaient pour 18 % de la population sur l’île de Montréal. D’après l’édition la plus récente des Statistiques de l’enseignement supérieur, en 2012 le cégep anglais y accaparait 36 % de l’effectif étudiant collégial à temps plein et à temps partiel. Au pré-universitaire, c’était 44 %, insiste M. Castonguay. Ajoutons à cela la forte propension des allophones et même des francophones ayant fait leurs études postsecondaires en anglais à recourir à l’anglais une fois sur le marché du travail, comme l’a démontré Le choix anglicisant, étude publiée en 2010 par l’Institut de recherche sur le français en Amérique. Le Québec finance à même les fonds publics l’anglicisation d’une partie importante – et croissante – de son élite de demain., conclut donc le mathématicien émérite, qui n’hésite pas à qualifier le libre choix au cégep de suicide linguistique. Voilà qui devrait faire réfléchir les militants du PQ de Jean-François Lisée. Mais si ce n’était que cela.

Dans Le Devoir du 4 avril, Charles Castonguay revient à la charge, cette fois contre le concept de première langue officielle parlée (PLOP) brandi par Statistique Canada. Le chroniqueur de L’Aut’ Journal rappelle que dès la Commission Laurendeau-Dunton de la fin des années 1960, on considérait que le critère de la langue maternelle était insuffisant pour détecter l’assimilation des francophones et qu’il fallait y ajouter celui de la langue parlée à la maison. M. Castonguay reproche à Statistique Canada de gonfler trompeusement la part de Canadiens ayant le français pour première langue officielle parlée en y incluant 450 000 francophones assimilés, c’est-à-dire qui ont eu le français pour langue maternelle mais maintenant l’anglais comme langue d’usage à la maison.

Portant ce même regard sur l’île de Montréal, il constate que Statistique Canada redistribue à parts égales du côté des francophones et des anglophones les 8,2 % de gens qui ont à la fois le français et l’anglais pour première langue officielle parlée, sans qu’on sache trop laquelle des deux langues est maternelle ou d’usage. La PLOP de Statistique Canada cacherait donc un certain nombre de Montréalais francophones assimilés. Ajoutant qu’en 2011, l’île de Montréal comptait trois allophones bilingues (anglais et français) de langue d’usage anglaise pour deux qui s’étaient francisés, l’expert pointe du doigt les artifices utilisés par l’auteur des récentes Projections linguistiques pour le Canada, 2011 à 2036, Jean-Claude Corbeil, pour prétendre à un maintien des « deux tiers » de Montréalais « à l’aise en français » jusqu’en 2036. Castonguay estime que le sort du français sur l’île de Montréal dépendra du rapport de force de cette langue avec l’anglais et de l’influence qu’aura cette concurrence linguistique sur les allophones présentement sur la clôture. Rien de rassurant…

Mais quelle chance de pouvoir compter sur Charles Castonguay pour démasquer les préposés au camouflage de l’OQLF et de Statistique Canada! •••