Charles Duquette : Trois petits tours et puis s’en va

par Jean-Pierre Durand

Natif de Montréal, le 25 juillet 1869, Charles Duquette, fils de Louis Duquette et de Marceline Tremblay, fit ses études primaires chez les frères des Écoles chrétiennes, puis poursuivit des études commerciales au collège Saint-Henri. En 1901, il devient inspecteur en chef de l’Alliance Nationale, société de secours mutuel canadiennefrançaise. Il grimpera différents échelons dans cette société pour en devenir en 1922 le président-directeur-général. Il épouse Dorothée Maheux en 1894, qui mourut en 1919, et se remaria en secondes noces avec Albina Beaudoin. Aucun enfant ne naîtra de ces unions.

charles duquetteÀ la SSJB de Montréal, il fut d’abord président de la section Saint-Charles, puis membre du Conseil général en 1912. En 1914, il devenait notre 42e président, succédant au fameux et ô combien bouillant journaliste Olivar Asselin. On se rappelle qu’Asselin, grand pamphlétaire devant l’éternel, soulevait par ses écrits comme par ses propos de nombreuses vagues à l’époque, en réclamant notamment la séparation du national et du religieux. N’oublions pas que le clergé en menait large en ce temps béni et qu’Olivar Asselin pouvait passer pour un être insolent. Asselin était un progressiste, alors que le discours dominant au Canada français était celui des curés, comme ce bon abbé Louis Adolphe Paquet, qui déclarait, lors de la fête nationale en juin 1902 : Notre mission est moins de manier des capitaux que de remuer des idées : elle consiste moins à allumer le feu des usines qu’à entretenir et faire rayonner au loin le foyer lumineux de la religion et de la pensée. On est encore loin d’un Pierre Karl Péladeau qui brandit le poing dans les airs lors de la dernière campagne électorale ! Sous la gouverne d’Asselin, la SSJB s’était engagée dans les combats pour la défense du français. Il faut dire que les rebuffades qu’essuient les Canadiens français en dehors du Québec quant à leurs « droits » linguistiques ont de quoi préoccuper les nationalistes comme Henri Bourassa ou Asselin.

Ainsi, en mars 1912, le français n’aura plus de statut officiel au Manitoba. Et, en Ontario, ce n’est guère mieux, alors que les Orangistes, forcément francophobes, antipapistes et très influents, déclarent que l’usage du français dans les écoles publiques et séparées de l’Ontario constitue une grave menace à l’intégrité de la province en tant que communauté anglophone. Le fameux Règlement 17 s’ensuivra. Pourtant, dans la bonne et bonasse province de Québec, aucun francophone n’aurait osé songer à réclamer la même médecine pour ses concitoyens de langue anglaise. Voilà un peu pourquoi on rencontre aujourd’hui dans le Reste du Canada tant de gens aux patronymes bien français qui ne connaissent pas un traitre mot de français. En d’autres termes, l’Ontario avait ses Orangistes et le Québec ses inclusifs ! Cherchez l’erreur ! Qui a prétendu que les Anglais avaient le sens du fair-play ?

Le 13 juin 1914, Asselin, qui ne fait pas l’unanimité et qui dérange l’Archevêché en compliquant par le fait même ses rapports avec la SSJB, démissionne comme président de la SSJB et Charles Duquette le remplace. Entre-temps, l’Angleterre aura déclaré la guerre à l’Allemagne (4 août 1914). Mais Duquette ne resta pas longtemps à la présidence, puisqu’il abandonna le poste en 1915, vu les exigences de ses fonctions dans l’Alliance Nationale. C’est néanmoins pendant qu’il était en poste comme président que notre Société a été réorganisée sur le système fédératif et qu’il y eut une refonte complète des règlements.

Duquette occupa aussi des fonctions comme gouverneur pour les hôpitaux Notre-Dame et Saint-Mary’s, président de la Chambre de commerce de Montréal, membre de la Ligue de sécurité de la province de Québec, etc. Un beau jour, Ésioff-Léon Patenaude, avocat influent montréalais, voulant freiner la carrière de Médéric Martin, qui avait été maire de Montréal pour cinq mandats consécutifs (de 1914 à 1924), suggéra à Duquette, un homme de tout repos, laborieux et au passé inattaquable de briguer les suffrages. Duquette, en raison de sa grande popularité, réussit à défaire, qui plus est avec une forte majorité, Médéric Martin, le temps d’un mandat, car Martin reprit son poste à l’élection suivante (1926).

Le mandat comme maire fut marqué par l’inauguration de l’hôpital du Sacré-Coeur (1924) et du nouvel Hôtel de ville (1926). Il fut surtout marqué par l’enquête du juge Coderre, ouverte en septembre 1924, sur la police de Montréal. Le rapport de cette enquête, rendu public en mars 1925, révèlera des faits troublants : des policiers assuraient la protection à des maisons de jeux et à des maisons closes ! Le maire Duquette, fervent catholique de surcroît, ne prit pas ces choses à la légère et, à la suite des recommandations du juge, nettoya les écuries d’Augias.

C’est toujours au cours de son mandat que le maire Duquette accueillit en octobre 1924 à Montréal, avec les honneurs, sa gracieuse majesté le roi Georges V. J’aime m’imaginer que la rue Georges-V dans l’Est montréalais, surtout avec son restaurant à hot-dogs et ses frites graisseuses, vise à nous rappeler l’illustre monarque ! Le roi est mort, vive le roi… de la patate ! Autres temps autres moeurs.
Charles Duquette mourut le 30 décembre 1937 à Montréal. •••

SOURCES CONSULTÉES
COURTOIS, Charles-Philippe, « Le républicanisme au Québec au début du XXe siècle : les cas de figure de Wilfrid Gascon, Olivar Asselin et Ève Circé-Côté », in Bulletin d’histoire politique, vol. 17, no 3 (printempsété 2009).
GRENON, Hector, « Charles Duquette – un autre maire au terme unique », in Montréal, vol. 1, no 32 (22 septembre 1978), page 38.
LACOURSIÈRE, Jacques, Histoire populaire du Québec, tome IV : De 1896 à 1960, Québec, Septentrion, 1997.
LAHAISE, Robert, « Le Québec de l’architecte Venne de 1867 à 1930 », in Sur les traces de Joseph Venne, sous la direction de Soraya Basil, Michel Allard et René Binette, Québec, Septentrion, 2013, p. 57 à 64.
PELLETIER-BAILLARGEON, Hélène, Olivar Asselin et son temps, tome I : Le Militant, Montréal, Éditions Fides, 1996.
RUMILLY, Robert, Histoire de la Société Saint- Jean-Baptiste de Montréal – Des Patriotes au Fleurdelisé 1834/1948, Montréal, Éditions de l’Aurore, 1975.