Charles forcé d’entrer par la petite porte

Article de Bryan Miles paru dans Le Devoir édition du 11 novembre 2009.

De concert avec la Société Saint-Jean-Baptiste, des syndicalistes et des ténors du mouvement souverainiste, le Réseau se prépare à livrer bataille sur l’arrêt récent de la Cour suprême qui a invalidé la loi 104 (sur l’obligation de fréquenter l’école en français).

D’ailleurs, la SSJB faisait circuler des tracts à deux volets hier. Recto pour dire non à la monarchie et au prince Charles, ce «représentant d’une Couronne responsable de l’ethnocide» de la majorité canadienne-française en Amérique du Nord. Verso pour inviter les militants à participer à une table ronde sur l’arrêt récent de la Cour suprême.

Le prince Charles et son épouse Camilla ont trouvé à la porte du Black Watch (le Régiment royal écossais du Canada) le plus important contingent de curieux de leur courte visite d’une demi-journée au Québec. Sauf que les 200 antimonarchistes, militants indépendantistes et autres membres du Réseau de résistance du Québécois (RRQ) n’étaient pas venus souhaiter la bienvenue au couple royal…

La manifestation devant le Black Watch, rue de Bleury (en face des bureaux du Devoir), a retardé l’arrivée du couple royal de 45 minutes et l’a forcé à entrer par la porte du côté, au son caractéristique de la cornemuse. Mince consolation pour les opposants à la monarchie que cette arrivée à la dérobée des altesses royales, pourtant habituées aux plus grands égards.

Le couple royal avait connu jusque-là un parcours tranquille au Québec, avec une très faible mobilisation populaire à l’aéroport Pierre-Trudeau, devant les bureaux montréalais du premier ministre, Jean Charest, au Cirque du Soleil et au Biodôme. Au cirque, les employés ont même réagi plus vivement à la présence de Jean-René Dufort, d’Infoman, qu’à celle du couple royal.

Par contraste, le «comité d’accueil» massé devant le Black Watch a nécessité le déploiement de l’escouade tactique du Service de police de Montréal (SPVM). Le SPVM a rapporté l’arrestation de trois personnes qui ont écopé de contraventions pour des infractions au Code de la sécurité routière.

Sous les slogans «Majesty go home!», «À bas la monarchie!» et «Nous vaincrons!», la foule brandissant des drapeaux de la rébellion des Patriotes a clairement fait entendre son opposition à la visite du prince de Galles et à la duchesse de Cornouailles. Le prince Charles est le colonel en chef du Black Watch, et il était venu honorer les 250 militaires de ce régiment implanté à Montréal depuis 1862.

Le RRQ n’a rien contre Charles, l’homme. Mais… «Il n’était aucunement question qu’on laisse débarquer le prince Charles en toute impunité au Québec. Il ne peut pas fouler le sol québécois sans qu’on réagisse, a expliqué Patrick Bourgeois, le président du Réseau. Cette monarchie, qui a les mains rougies du sang des peuples que les Anglais ont exploités partout à travers le monde — et les Québécois ont goûté à leur médecine — elle n’est toujours pas la bienvenue au Québec.»

Patrick Bourgeois, éditeur du journal Le Québécois et porte-étendard du mouvement indépendantiste, a exhibé ses talents de harangueur de foule, en exhortant ses troupes à ne pas abandonner un centimètre carré de bitume aux forces policières. Il a reproché à Pauline Marois, chef du Parti québécois, de ne pas s’être mouillée sur la visite des altesses royales. «C’est deux rapports politiques qui s’affrontent autour d’un symbole, la monarchie britannique. C’est sûr que ça ne représente plus grand-chose dans notre réalité politique […], mais dans les luttes de libération nationale, les symboles sont importants. Nous, on fait de la politique quand Mme Marois ne veut pas en faire», a expliqué Bourgeois.

La manifestation s’est déroulée dans le calme pendant plus d’une heure. Peu après 16h, les manifestants qui se trouvaient de l’autre côté de la rue de Bleury, en face du Black Watch, ont foncé vers la caserne de pierre grise. «On va leur montrer comment ça se bat, des Québécois», a lancé un manifestant pendant que ses semblables balançaient des oeufs sur la façade du bâtiment.

Étrange impression. En face du jeune homme se trouvaient des militaires presque aussi jeunes que lui, revenus tout récemment de la campagne militaire en Afghanistan, où ils ont connu des batailles autrement plus corsées. Le Black Watch a d’ailleurs perdu un homme en Afghanistan, le caporal Jason Warren, tué le 22 juillet 2006 lors d’une attaque à la voiture piégée.

Le major à la retraite Michel Boire, maître de cérémonie hier au Black Watch, faisait peu de cas de la manifestation. «Ces gens défendent leur droit de s’exprimer. Je ne suis pas du tout intimidé. Ce sont mes concitoyens», a dit M. Boire, professeur d’histoire au Collège militaire royal du Canada, à Kingston. «C’est grâce à nos interventions à l’étranger que les Canadiens ont pu sauvegarder cette possibilité de manifester», a ajouté le major Boire, qui compte 43 ans de service au sein des Forces canadiennes.

L’anti-émeute a finalement repoussé la foule jusqu’à l’angle des rues Président-Kennedy et de Bleury vers 18h. Tout juste après, les policiers ont procédé aux premières arrestations. Comme le prince Charles et son épouse sont entrés par la porte de côté, leur regard et ceux des manifestants ne se sont jamais croisés. Plusieurs journalistes ont même raté l’arrivée du couple (y compris l’auteur de ces lignes).

Le rassemblement a aussi servi à mesurer l’étendue des appuis du RRQ et sa capacité de mobilisation des troupes. De concert avec la Société Saint-Jean-Baptiste, des syndicalistes et des ténors du mouvement souverainiste, le Réseau se prépare à livrer bataille sur l’arrêt récent de la Cour suprême qui a invalidé la loi 104 (sur l’obligation de fréquenter l’école en français).

D’ailleurs, la SSJB faisait circuler des tracts à deux volets hier. Recto pour dire non à la monarchie et au prince Charles, ce «représentant d’une Couronne responsable de l’ethnocide» de la majorité canadienne-française en Amérique du Nord. Verso pour inviter les militants à participer à une table ronde sur l’arrêt récent de la Cour suprême.

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