Comme les Américains

Extraits de la chronique de Christian Rioux dans Le Devoir du 29 juillet 2011

[…] À Paris, à Rome ou à Berlin, ces grandes productions passent plusieurs fois par année. Mais elles font rarement la une des médias généralistes. On en parle évidemment dans les pages culturelles et les médias spécialisés. Ici, dès qu’une grande vedette anglo-saxonne débarque, le grand choeur des colonisés se répand en courbettes. C’est comme si Metallica nous faisait une faveur inestimable. Comme si les nouveaux dieux nommés Bono ou Lady Gaga nous avaient désignés comme le nouveau peuple élu.
Christian Rioux
[…]Partout où il va, Paul McCartney prononce quelques mots en allemand, en chinois ou en slovène, et cela n’étonne personne. Sauf ici, où nous avons poussé le mépris de nous-mêmes jusqu’à ne plus juger de notre réussite culturelle qu’à l’aune du regard des autres. C’est ce que disait à une autre époque Hubert Aquin. […| Cinquante ans plus tard, Aquin ne serait peut-être pas étonné de nous entendre nous vanter à ce point de la venue de quelques grandes vedettes rock ou, ce qui revient au même, des fabuleux succès à l’étranger du Cirque du Soleil. Toujours le regard de l’autre.

En passant, il faut tout un culot pour prétendre comme on l’a fait qu’assister à un concert d’une icône du rock anglo-saxon relève de l’«ouverture sur le monde». Je n’ai rien contre les 100 000 spectateurs de Metallica. Mais convenons qu’ils ne sont pas allés découvrir l’oeuvre d’un poète africain méconnu, ni celle d’un obscur rocker catalan. Ils sont simplement allés entendre le prêt-à-consommer de la gigantesque machine du showbiz anglo-saxon. Un «produit culturel» dans le vrai sens du terme, qui tourne à plein régime sur les radios du monde au détriment de centaines d’artistes locaux méconnus dont la découverte relèverait, elle, justement, de la véritable «ouverture à l’autre». […]

Il y a dans le film sur la vie du chanteur d’Offenbach, Gerry, une scène qui mérite à elle seule le détour. Après avoir réuni des milliers de fans au Forum, l’homme à la voix «presque étranglée», comme l’écrivait le poète Gilbert Langevin, s’exclame et dit à peu près: «On l’a fait. Comme les Américains!»

Tel est le leitmotiv de ce film, dont la réalisation et le scénario ne sont malheureusement pas à la hauteur du talent de Gerry Boulet.

Mais pour s’ouvrir, dirait Aquin, il faut peut-être commencer par cesser de ne mesurer nos succès qu’en fonction des autres. Et mettre un terme à ce désir, en partie suicidaire, qui consiste à toujours vouloir faire comme les Américains. «J’sais pas si c’est moé / Qui est trop p’tit / Pt’être ben qu’le vent m’emporte / J’sais pas si c’est moé / Qui est trop grand / Pt’être ben qu’j’mélange / La vie pis les vues», disait Gerry Boulet. La chanson s’appelait Faut que j’me pousse.

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