Francisation des adultes immigrants : Un échec prévisible

Tania Longpré  |  LaPresse

Lundi, La Presse nous présentait un dossier catastrophique sur la mauvaise gestion de la francisation des adultes immigrants au ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion (MIDI).

Surpris ? Moi, non, évidemment. Enseignante en francisation des adultes depuis 10 ans, je suis à même de constater les ratés sur le terrain de ce système d’évaluation du niveau de langue « en ligne » qui ne donne pas du tout les résultats que donnaient les évaluations faites par un humain. Semblerait-il que cette méthode d’évaluation soit désuète aux yeux du ministère de l’Immigration et de notre gouvernement.

J’enseigne dans un point de service du MIDI, dans une commission scolaire. Au ministère de l’Éducation, du moins, dans les deux commissions scolaires où je travaille, nous considérons encore que la meilleure façon d’évaluer le niveau linguistique d’un étudiant est de prendre la peine (minimale !) de le rencontrer en chair et en os. D’échanger d’humain à humain pour évaluer d’abord le niveau de production orale, une compétence qui n’est pas évaluée par l’examen en ligne dont se sert le MIDI, ainsi que les trois autres compétences, soit la compréhension orale, la production écrite et la compréhension écrite.

Il faut croire que le MIDI considère l’échange en personne comme trop onéreux, et ce, même si le résultat réel est le mauvais classement dans les classes de francisation, ce qui a un coût social important, soit un apprentissage du français inadéquat chez les nouveaux arrivants. Cet apprentissage linguistique est pourtant la pierre angulaire de leur intégration sociale, culturelle, professionnelle et économique.

Investir dans l’avenir

Nous retrouvons dans nos classes des nouveaux arrivants qui ont fait l’examen du Ministère aidés par quelqu’un parce qu’ils ne comprenaient pas les consignes. Leurs résultats ne sont alors pas représentatifs de leurs compétences et on leur indique qu’ils ne pourront pas obtenir l’allocation. Cette aide financière, soit le programme d’aide financière pour l’intégration linguistique des immigrants (PAFILI), est d’un maximum de 140 $ par semaine, soit une allocation de 4,66 $ de l’heure pour chaque étudiant : peut-on parler d’un réel incitatif ?

On se le dira, cette allocation n’est pas un luxe, elle est même insuffisante et ne concurrence pas du tout le salaire minimum sur le marché du travail.

Or, lorsqu’elle est refusée à un étudiant qui n’a même pas été rencontré en personne, j’ai un immense malaise d’iniquité et d’injustice sociale puisque d’autres nouveaux arrivants, dans la même classe et au même niveau linguistique, la reçoivent. Je ressens un immense malaise en tant que didacticienne des langues lorsqu’on fait reposer une évaluation qui aura une influence non seulement sur l’intégration des nouveaux arrivants, mais aussi sur leurs revenus, sur un examen en ligne qui n’équivaudra jamais au résultat de classement d’un spécialiste.

Lorsqu’un examen en ligne décide qu’un élève est « trop bon » en français, et qu’ainsi il se fait refuser la francisation ou doit y aller sans être financé par son nouveau gouvernement, c’est une catastrophe sociale.

Est-on vraiment rendu à considérer la francisation comme une dépense ? Franciser les nouveaux arrivants, c’est investir non seulement dans leur avenir personnel, mais aussi dans notre avenir collectif.