Dany Laferrière, de Petit-Goâve à Paris

par  Nathalie Lesage  | La Presse

 

Dany Laferriere

(Paris) L’Académie ne badine pas avec la tradition. Comme les Immortels qui l’ont précédé, Dany Laferrière a prononcé aujourd’hui, jeudi, un discours en hommage à son prédécesseur du siège numéro deux, l’auteur Hector Bianciotti. De nombreux dignitaires, dont le président de la République François Hollande et le premier ministre du Québec Philippe Couillard, ont assisté à cette cérémonie hautement solennelle.
L’imposant édifice de l’Académie Française est situé en bord de Seine. Devant, le Louvre, le Pont des Arts, à l’ouest, la Tour Eiffel. Sur les trottoirs des bouquinistes, chez qui nous n’avons pas trouvé de Dany Laferrière: «Qui?» Jean vend ses livres, rue du Quai de Conti, depuis neuf ans. Il ne connait pas l’auteur haïtien et sait encore moins qu’il entre aujourd’hui à l’Académie française. «Ah c’est donc ça tout ce boucan! D’habitude, ça ne bouge pas autant à l’Académie».

L’édifice est grandiose, massif. Son architecte, Louis Le Vau, a également construit le Château Vaux-le-Vicomte. Sur le parvis,  le tapis rouge et la fanfare de la Garde républicaine accueillent à 15h précises Windsor Klébert Laferrière.

Les seuls sièges libres sont ceux des rares académiciens absents. Debout, rangée 4, devant la tribune du président de l’Assemblée, du président de la République, et la centaine de personnes tassées sous la Coupole,  Dany Laferrière prend la parole. «Permettez que je vous relate mon unique rencontre avec Hector Bianciotti», dit-il.

Les codes et les conventions pleuvent à l’académie. L’une d’elles est l’interdiction formelle pour le nouveau venu de prendre la parole pendant les premiers mois. Pour observer, comprendre, respecter.  Épreuve pour l’auteur au verbe fleuri?  Nullement.

«Au contraire, dit-il, j’adore. Nous vivons dans un monde tellement d’accélération, de vitesse (…) D’attendre un an et demi avant d’entrer sous La Coupole, tout ça me plait.»

Écrire des lettres manuscrites est également obligatoire entre académiciens.

Ketty Laferrière a fait le voyage depuis Haïti. Son admiration profonde pour son beau prince est abyssale. «Je suis tellement fière de lui», confie-t-elle. En ce jeudi historique, son prince se tenait droit comme un i dans son costume bleu tout neuf. De Petit-Goâve à Port-au-Prince, de Miami à Montréal, puis aujourd’hui à Paris, Dany Laferrière avait la trempe d’un roi solaire.

Le premier ministre Philippe Couillard, l’ex-première ministre Pauline Marois, la secrétaire générale de la Francophonie Michaëlle Jean, l’animatrice et productrice Julie Snyder, le chef du Parti québécois Pierre-Karl Péladeau et la ministre de la Culture Hélène David étaient présents.

«Ma vraie ambition, a dit Dany Laferrière, c’est de me glisser dans le dictionnaire, moi-même.»

FAITS SAILLANTS

Dany Laferrière a été élu au premier tout à l’Académie française le 12 décembre 2013 avec 13 voix sur 23.

Il s’est rendu en Haïti pour partager la nouvelle. «Grosse Affaire», a dit sa mère lorsqu’elle a compris qu’il serait le collègue de collègue de Victor Hugo, Voltaire, Montesquieu et Dumas.

Des 728 Immortels qui ont siégé à l’Académie depuis sa fondation,  Dany Laferrière est le premier étranger non naturalisé. D’autres académiciens étrangers et français nourrissent cependant l’institution: le poète chinois François Cheng, l’écrivain britannique Michel Edwards, le président de l’Académie et libanais Amin Maaloouf.

Jean D’Ormesson, 89 ans, auteur favori des Français et membre de la prestigieuse bibliothèque de la Pléiade est à l’origine de cette admission.

Le poète, écrivain et président de la République du Sénégal de 1960-1980, Léopold Sédar Senghor, a été le 1er homme noir de l’académie. Dany Laferrière est le deuxième.

ILS ONT DIT

Philippe couillard: «En même temps qu’il est reçu à l’Académie française, c’est tout le Québec qui entre dans la lumière et se distingue. Cette consécration dans l’univers de la Francophonie demeure sans commune mesure et symbolise les liens privilégiés qui nous unissent à la France.»

Pauline Marois: «Dany Laferrière a fait ce pont extraordinaire entre nos deux nations, entre Haïti et le Québec.»

Bernard Landry: «Dany est un génie contemporain.»