De l’Écosse au Québec : ressemblances & différences

JOSÉE LEGAULT | LE JOURNAL DE MONTRÉAL | 07 AOÙT 2014 |

yesno Comme on le sait, l’Écosse tiendra son référendum sur l’indépendance le 18 septembre prochain.

Ce mardi avait d’ailleurs lieu le premier débat télévisé, fort attendu, entre Alex Salmond, premier ministre écossais et chef du camp du Oui, et Alistair Darling, chef du camp du Non. […]

Au Québec, on commence à peine à s’y intéresser. À part, bien sûr, le député et possible candidat à la chefferie péquiste, Bernard Drainville. Revenu récemment d’un séjour en Écosse, l’homme se disait gonflé à bloc tout en se convertissant, tout à coup, aux vertus d’une question claire.

Quelques rares commentaires y ont vu des grandes similitudes avec le référendum québécois de 1995. Voire même celui de 1980. Mais qu’en est-il vraiment?

[…] [voici] un premier tour des ressemblances, mais aussi des différences majeures entre les deux événements.  Comme quoi, le Québec est le Québec. Et l’Écosse est l’Écosse. À ne pas confondre. Enfin, pas trop.

Voici […] mon analyse.

 

 ***

Une première différence : la question

Celle du référendum écossais est courte, simple et claire : «Should Scotland be an independent country?». L’Écosse doit-elle être un pays indépendant? Doublement claire, les mots «indépendant» et «pays» s’y trouvent même côte à côte…

Au Québec, la question posée au premier référendum du 20 mai 1980 était aux antipodes de la question écossaise.

Longue, verbeuse, ambiguë à souhait, la question de 1980 ne portait pas sur l’indépendance, mais sur un mandat de négocier une nouvelle entente d’égal à égal avec le Canada. Même si le Oui l’avait emporté, la question prévoyait en plus un second référendum pour parapher, ou rejeter, le résultat des négociations.

La question de 1980 était tout, sauf claire. L’étapisme sous sa forme la plus politiquement suicidaire.

La question du 30 octobre 1995 était déjà plus claire. Il y aurait un seul référendum, pas deux. Celle-ci portait sur le projet de souveraineté en y adjoignant une offre de partenariat avec le Canada. Mais sans rendre la réalisation de la souveraineté conditionnelle au partenariat.

C’était d’ailleurs un secret de Polichinelle que Jacques Parizeau, lui, voulait une question courte et claire à la manière de celle posée aujourd’hui en Écosse. Or, des pressions internes majeures au sommet du camp du Oui l’ont obligé à abandonner son approche.

Pis encore, comme le rapporte Pierre Duchesne dans le dernier tome de sa biographie non autorisée de Jacques Parizeau, Lucien Bouchard, alors chef du Bloc québécois, faisait même pression pour un retour à l’étapisme de 1980 avec une question débouchant sur un deuxième référendum si le premier était gagnant. Ce que M. Parizeau a refusé sans hésitation.

N’empêche qu’en 95, les Québécois ont voté sur l’enjeu de fond. Et ils l’ont fait avec un taux de participation frôlant les 94%.

***

 

Une autre différence de taille : le «processus»

Ici, on parle d’une très grosse différence ici entre l’Écosse et le Québec.

En Écosse, le premier ministre britannique, David Cameron, et son homologue écossais, Alex Salmond, signaient une entente le 15 octobre 2012 (PDF) prévoyant, entre autres éléments déterminants, la tenue d’un référendum  avant la fin de 2014; une question sur l’indépendance seulement; le respect de la règle de la majorité simple pour une victoire du Oui ou du Non, soit le fameux «50% + 1».

L’entente couvre plusieurs autres aspects du «processus». Surtout, elle prévoit qu’une victoire du Oui serait exécutoire après une période de négociations entre l’Écosse et le Royaume-Uni. 

En fait, l’entente «permet» avant tout au Parlement écossais de tenir un référendum puisqu’il n’en avait pas le droit légalement. Ce qui a permis à David Cameron d’exclure toute question qui offrirait un choix entre l’indépendance et une dévolution majeure de pouvoirs. 

À l’opposé, au Québec, en 1980 et 1995, aucune entente n’existait, ni n’était possible dans les faits entre Ottawa et Québec. Et ce, pour des raisons bien spécifiques qui témoignent de certaines distinctions majeures entre le contexte politico-constitutionnel dans lequel évoluent le Québec d’un côté et l’Écosse, de l’autre.

Primo : l’Assemblée nationale, comme toutes les législatures provinciales canadiennes, a le pouvoir d’agir seule pour la tenue d’un référendum. Il y a même une loi sur les consultations populaires.

Secundo : ici, les référendums ne sont pas exécutoires, mais consultatifs.

Tertio : tous les partis au Québec s’entendent quant à la souveraineté de l’Assemblée nationale sur l’entièreté du processus référendaire, incluant la rédaction et l’adoption de la question.

Du côté d’Ottawa, tout a changé après le référendum de 1995. En fait, on a tenté de carrément changer les règles du «jeu» démocratique. Et ce, de manière unilatérale.

Sous le gouvernement libéral de Jean Chrétien – le même qui avait failli perdre le référendum -, la Loi sur la clarté est donc adoptée en 2000. (Son vrai nom est « Loi de clarification ».)

Inspirée d’un renvoi de la Cour suprême sur la sécession, elle tente de conférer au gouvernement fédéral le pouvoir ultime de juger de la clarté de la question et de la majorité requise pour enclencher des négociations suite à un éventuel et hypothétique Oui victorieux au Québec.  Le tout, sans préciser la hauteur de cette présumée majorité «claire».

Bref, la Loi sur la clarté est tout sauf claire.

En fait, c’était avant tout une opération politique visant deux clientèles très spécifiques. Aux Québécois, le «message» de cette loi était que le processus devenait tout à coup complexe et très risqué.

Aux Canadiens-anglais inquiets à l’époque des suites du résultat serré de 1995, le «message» envoyé était que qu’Ottawa aurait le dernier mot dans tout référendum  à venir.

Par conséquent, lorsque Stéphane Dion, le ministre-géniteur de cette loi, salue aujourd’hui la conversion de Bernard Drainville à la clarté, on peut prendre le tout avec un gros grain de sel. Pourquoi?

Parce que la tenue d’un autre référendum est très hypothétique. Parce que l’entente Cameron-Salmond confirme quant à elle la règle démocratique du 50% + 1 alors que sa loi, et la majeure partie des élites politiques fédérales et candiennes-anglaises, la rejettent.

Quant à Bernard Drainville, il refuse aussi toute «entente» qui retirerait à l’Assemblée nationale son pouvoir de juger seule de la question.

Bref, pour les raisons mentionnées, on est ici sur une toute autre planète politique qu’en Écosse.

***

 

Un point commun : la promesse du «changement» en échange d’un Non

Comme au Québec en 80 et 95, les leaders britanniques opposés à l’indépendance de l’Écosse lui proposent tous du «changement» si le Non l’emporte. En fait, David Cameron en parle depuis 2012 en termes fort vagues.

Ce mardi, soit quelques heures avant la tenue du débat Salmond-Darling, une sortie orchestrée du premier ministre britannique David Cameron et des chefs travailliste et libéral-démocrate sous forme de déclaration commune dans les journaux, promettait «plus de pouvoirs» à l’Écosse en matière fiscale et sociale.

La phrase clé de la déclaration était : «Nous appuyons un parlement écossais fort dans un Royaume-Uni fort». Un peu plus et on croirait entendre une version britannique de la fameuse formule ironique d’Yvon Deschamps sur un «Québec indépendant dans un Canada fort»…

Mais attention. Le changement promis est imprécis. Les partis signataires s’engagent en fait à ne soumettre aux Écossais leurs promesses respectives de «changement» qu’à l’élection britannique de 2015. Bref, c’est du vent.

Dans le court terme, l’objectif politique de cette déclaration crevait les yeux. Primo : déstabiliser Alex Salmond à quelques heures seulement du débat. Secundo : tenter de persuader les indécis de voter Non pour du «changement».

Au Québec, ça ramène des souvenirs. En mai 1980, à six du référendum, au centre Paul Sauvé, le premier ministre fédéral Pierre Trudeau déclarait «solennellement» que les députés fédéraux du Québec mettaient leurs «sièges en jeu» pour «avoir du changement»

Il interdisait même au Canada-anglais d’interpréter un Non «comme une indication que tout va bien puis que tout peut rester comme c’était auparavant». On connait tous la suite…

En octobre 1995, à cinq jours avant le référendum, dans une adresse télévisée à la nation, c’était au tour du premier ministre fédéral Jean Chrétien de refaire le coup.

Dans son cas très inquiet d’une possible victoire du Oui, il dit alors aux Québécois des choses fort importantes, mais qui seront toutes oubliées dès la victoire serrée du Non.

Il averti les Québécois que s’ils votent  Oui, leur décision sera «irréversible». Ce qui laisse entendre clairement qu’il reconnait alors la règle du 50% +1.

Il juge la question posée ambiguë, mais dit trouver l’option claire : la «séparation du Québec». Donc, il reconnait la clarté de l’enjeu.

Surtout, il promet plus de décentralisation, la reconnaissance du Québec comme société distincte et jure qu’aucun changement constitutionnel ne se fera à l’avenir sans le consentement des Québécois. (Notez toutefois qu’il dit «Québécois» et non Assemblée nationale.)

Une telle déclaration prenait tout de même un certain culot de la part d’un farouche opposant à l’Accord du lac Meech et du négociateur en chef du rapatriement unilatéral de 1981…

 

***

Un slogan du Non qui rappelle celui de 1980

Menée sous la bannière parapluie du «Better Together», le slogan plus récent de la campagne écossaise du Non rappelle aussi celui du camp québécois du Non en 1980. En fait, c’est le même «No Thanks!» – «Non merci!».

 

***

Une campagne plus «positive» en Écosse qu’au Québec?

On entend aussi dire que la campagne du Oui en Écosse serait beaucoup plus «positive» que celle du Oui au Québec en 1995. Je dirais plutôt qu’elles se ressemblent sur ce point, mais qu’on l’a oublié.

La camp écossais du Oui insiste beaucoup sur les arguments économiques, c’est vrai. Qu’une Écosse indépendante serait prospère et surtout plus juste, plus social-démocrate. L’indépendance y est aussi présentée comme un antidote aux politiques d’austérité de Londres.

Or, ce qu’on oublie est qu’en 1995, c’était aussi le discours du camp du Oui. À quelques nuances près.

À l’époque, pour les fins de la campagne, même Lucien Bouchard se disait progressiste! Le Oui était alors présenté comme un bouclier contre le «vent froid de la droite qui soufflait de l’Ouest canadien»!

Jacques Parizeau avait même fait commander une série d’études fouillées, entre autres, sur les avantages économiques du Oui. Une controverse importante entourant la gestion politique du dossier sous son ministre responsable en avait toutefois miné la sortie.

 

 

***

 

Un Oui sans nationalisme «identitaire» en Écosse?

On entend également dire que la campagne du Oui en Écosse, contrairement à celle d’ici en 1995, serait dénuée de toute trace de nationalisme dit identitaire.

En fait, en 1995, la campagne du Oui, jusqu’au soir même du référendum, baignait dans le nationalisme dit civique, ouvert, mondialiste.

À l’époque, j’étais chroniqueure politique au quotidien Le Devoir. J’ai couvert cette campagne-là sous toutes ses coutures. Les arguments «identitaires» ou faisant appel aux appartenances communautaires comme déterminantes d’un choix, on les entendait beaucoup plus dans les rallyes ou les réunions fédéralistes tenues dans la communauté anglophone ou par des organisations représentant certaines des communautés culturelles importantes du Québec et du Canada.

Ce qui, a contrario, n’exclut pas l’importance du nationalisme identitaire au sein même de certains segments du mouvement souverainiste. Le fait demeure toutefois que le discours de la campagne de 1995 se voulait ouvert à une indépendance civique.

Quant à l’Écosse, il est tout aussi réducteur d’affirmer que le nationalisme identitaire n’est pas une composante importante du mouvement indépendantiste. Il ne fait peut-être pas partie du discours officiel de la campagne, mais quiconque connaît un tant soit peu la complexité de l’histoire et du contexte politique actuel de l’Écosse, sait que le nationalisme identitaire y est aussi une donnée politique et sociologique réelle.

***

De l’Écosse au Québec en 2014

Une fois les ressemblances et les différences comprises, ce sera intéressant de voir si impact politique il y aura, au Québec et au Canada, selon les résultats du référendum écossais.

On ne peut présumer de rien, mais une victoire du Oui est, pour le moment, peu probable. Possible, mais peu probable.

Comme je le soulignais dans mon billet précédent, le Non est en avance depuis plusieurs mois.

Le Globe and Mail notait toutefois cette semaine que deux groupes clé d’électeurs – les jeunes et les travailleurs – ont  aussi tendance à être sous-représentés dans les sondages faits par téléphone en Écosse.

Quant aux indécis, certains sondages les placent entre 10 à 20% de l’électorat. D’autres, à moins de 10%. Ce sont là des différentiels importants.

Ce qui, en partie, explique pourquoi en 2011, aucun sondeur n’avait prédit la victoire électorale du Scottish National Party.

Tout juste avant le débat, un sondage IPSOS Mori plaçait le Oui à 40% chez les électeurs affirmant être sûrs de voter, et le Non, à 54%. 7% se disant encore indécis. C’est une progression de quatre points pour le Oui depuis juin, tandis que le Non fait du sur-place. Après répartition des indécis, le Oui serait à 42% et le Non, à 58%.  Ce qui ne va pas sans rappeler la situation au Québec à quelques mois du référendum de 1995.

Ce qui, par contre, ne permet aucunement de prévoir un résultat final le 18 septembre en Écosse semblable à celui du 30 octobre 1995 au Québec. Encore une fois, le Québec est le Québec. Et l’Écosse est l’Écosse…

 

***

 

Si le Non l’emporte

Si le non l’emporte, ce ne sera toutefois rien pour insuffler un vent d’optimisme soudain au Parti Québécois. Surtout pas à l’aube d’une course à la chefferie et avec des appuis en chute libre. Ni tout juste avant un choix existentiel à faire au PQ quant à la voix qu’il empruntera sur son option pour les prochaines années.

Un Non en Écosse serait plutôt rapidement utilisé comme argument pour renforcer le discours ambiant voulant que l’indépendance serait un concept dépassé.

 

Si le Oui l’emporte

En fait, même si le Oui l’emportait en Écosse, c’est presque à se demander si un tel résultat influerait réellement sur l’opinion publique québécoise. Du moins, considérant l’état de léthargie politique généralisée dans lequel baigne le Québec.

C’est plutôt au PQ même que l’influence d’un Oui en Écosse se ferait le plus sentir.

Si le Oui l’emportait suite à un processus aussi «clair», les futurs candidats à la chefferie qui prôneraient la continuation de la stratégie du «bon gouvernement» s’en trouveraient désavantagés d’office. À l’opposé, si le Non l’emporte, les candidats, disons, plus parizeauistes, risquent alors d’être critiqués fortement par leurs adversaires, disons, plus bouchardistes.

En attendant, une seule chose est sûre.

La souveraineté chutant dans les sondages, le Parti libéral étant au pouvoir jusqu’en 2018 et le PQ étant à moins de 20% dans les sondages depuis l’élection du 7 avril, ça prendrait toute une victoire du Oui en Écosse pour remettre un peu de pep dans le soulier de l’option souverainiste au Québec.

Pour le moment, ce n’est pas tout à fait ce qui se pointe à l’horizon.

Josée Legault est une journaliste et une chroniqueuse politique québécoise.

SOURCE

LECTURE CONSEILLÉE
Référendum en Écosse : retour sur le débat Salmond-Darling

 

«La SSJB a besoin de vous. Faites un don, devenez membre et restez informé.»