École anglaise au Québec: la Cour suprême donne raison aux parents

Article de Fannie Oliver (La Presse canadienne) paru dans Le Devoir, édition du jeudi 22 octobre 2009.

La Cour suprême du Canada a administré un sévère coup à la loi 101 dans un jugement immédiatement décrié par le gouvernement du Québec et les défenseurs de la langue française.

Le plus haut tribunal du pays a déclaré inconstitutionnelles les dispositions ajoutées à la Charte de la langue française en 2002 dans le but de contrecarrer un stratagème qui permettait à des parents d’inscrire leurs enfants à l’école anglaise subventionnée par l’Etat.

Dans un jugement unanime rendu jeudi, les magistrats ont ainsi donné raison aux parents et renvoyé l’Assemblée nationale faire ses devoirs. La ministre québécoise responsable de la Charte de la langue française, Christine St-Pierre, s’est dite «déçue et choquée» de la décision.

Le gouvernement du Québec disposera d’un an pour modifier sa loi.

Au Québec, il n’est généralement pas possible pour les parents n’ayant pas étudié dans la langue de Shakespeare de confier leurs enfants au réseau scolaire anglais.

Pour déjouer les dispositions de la Charte de la langue française, des parents avaient recours à une astuce en envoyant leurs enfants dans une école non-subventionnée pour une courte période de temps, ce qui leur permettait ensuite de passer dans le réseau subventionné par l’Etat.

Le séjour de ces enfants dans ces écoles dites «passerelles», très chères, n’était parfois que de quelques semaines et permettait à tous les autres enfants de la famille de se greffer par la suite au système scolaire anglophone.

En 2002, devant ce qui semblait être une incongruité, l’Assemblée nationale avait adopté unanimement la loi 104 pour empêcher de tels transferts d’un régime à l’autre.

Dans son jugement jeudi, la Cour suprême a maintenu la décision de la Cour d’appel du Québec et a affirmé que cette législation adoptée à l’époque où Bernard Landry était premier ministre constitue une atteinte aux droits des personnes impliquées.

La Cour affirme que de ne pas tenir en compte le temps passé par un enfant dans une école passerelle pour déterminer s’il a fait «la majeure partie» de son cheminement scolaire en anglais pour acquérir le droit de passer à l’école subventionnée viole l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés.

«Le refus de prendre ce parcours est total et sans nuance», écrit le juge Louis LeBel pour l’ensemble des sept magistrats ayant examiné l’affaire.

Il admet que le réseau anglais non-financé par les deniers publics gagne en popularité, ayant passé de 2100 élèves en 2001 à plus de 4000 en 2007, mais il croit que cela reste malgré tout assez marginal.

«Malgré cette augmentation, les effectifs en cause demeurent relativement faibles par rapport aux clientèles des réseaux scolaires anglophone et francophone», conclut-il.

Le président de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal s’est dit préoccupé par cette conclusion et y voit une menace pour l’intégration des immigrants dans la province.

«On sait que les mesures scolaires de la loi 101 sont les mesures qui ont été les plus efficaces pour franciser les nouveaux arrivants», a rappelé Mario Beaulieu.

Cas particuliers

Les enfants dont les parents ont mené cette bataille juridique ne peuvent cependant pas crier victoire sans nuance.

Ils ne recevront pas immédiatement leur laissez-passer pour l’école subventionnée puisque leur dossier devra être réévalué par le ministère de l’Education en prenant compte des conclusions de ce jugement, exception faite d’un enfant au cas tout particulier.

Cela déçoit l’avocat des familles, Brent Tyler, qui aurait aimé voir les 25 dossiers qu’il défend depuis maintenant sept ans, enfin clos.

«Ca fait depuis l’automne 2002 que les procédures sont entamées. Nous sommes heureux avec une partie du jugement, la partie qui déclare les dispositions invalides, mais on aurait aimé un résultat final pour les enfants concernés», a-t-il noté.

La présidente de l’Association des commissions scolaires anglophones du Québec (ACSAQ), Debbie Horrocks, s’est déclarée pour sa part «encouragée» par la décision. Elle estime que le nombre d’inscriptions dans son réseau pourrait croître d’environ 500 élèves, sans plus.

Mais le chef bloquiste Gilles Duceppe assure que le problème ira en grandissant si rien n’est fait.

«Il n’y en a pas beaucoup maintenant. Ca ouvre la porte à ce qu’il y en ait beaucoup et c’est là qu’est le problème», a-t-il déploré à la sortie de la période de questions aux Communes.

Il est d’avis que les juges de la Cour suprême manquent d’impartialité en servant non pas les intérêts de la nation québécoise, mais à son avis ceux du Canada anglais.

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