Enseignante en francisation cherche solutions

NDLR : Tania Longpré est enseignante en francisation aux adultes à la Commission scolaire de Montréal. On lui doit aussi l’écriture d’un essai remarqué et encensé, intitulé Québec cherche Québécois pour relation à long terme et plus, paru chez Stanké en 2013.
Tania Longpré est enseignante en
francisation aux adultes à la Commission
scolaire de Montréal. On lui doit aussi
l’écriture d’un essai remarqué et encensé,
intitulé Québec cherche Québécois pour
relation à long terme et plus, paru chez
Stanké en 2013.

 

ENTREVUE
avec Tania Longpré

Bonjour Tania. En premier lieu, aussi bien vider mon sac, j’ai adoré ton livre. Le propos est clair, direct et étoffé. Ce livre est d’autant plus louable et salutaire que la question de l’immigration, comme elle se pose de façon particulière au Québec, est un sujet périlleux, parfois tabou. Or, il ne devrait pas en être ainsi. Mais on dirait que certaines personnes s’évertuent à ce qu’on se sente coupable même d’oser l’aborder. Ce malaise face à la question devrait pourtant laisser place à une réflexion approfondie du sujet, si on veut poser un diagnostic lucide de la situation et savoir ce qu’il en retourne. Dans ton essai, l’une des premières phrases donne le ton : Nous sommes incapables d’assurer l’intégration pleine et entière de nos nouveaux arrivants. Qu’est-ce qui t’a motivée à aborder un tel sujet et sentais-tu au départ qu’il y avait un quelconque risque – professionnel et/ou politique – à le faire ?

D’abord, merci de me donner la chance de faire cette entrevue avec vous. Merci aussi pour les bons commentaires sur mon livre, ça me fait vraiment plaisir. Puisque je suis enseignante en francisation des immigrants depuis près de sept ans maintenant, je me rendais compte depuis le début qu’il y avait plusieurs lacunes ou manques à gagner dans la formation linguistique des immigrants et dans l’intégration en général (qu’elle soit linguistique, certes, mais aussi économique, culturelle et sociale). Un soir, un ami cher m’a suggéré d’écrire un texte dans la Presse concernant la loi 101 au cégep et les nouveaux arrivants. Dès sa publication, quelques jours après, mon ami m’a suggéré d’écrire un livre. D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours voulu écrire des livres. Par contre, je pensais écrire des romans policiers ! Les choses ont changé, disons comme ça. J’ai continué à écrire plusieurs textes dans les journaux (La Presse et Le Devoir) et j’ai publié mon livre en février 2013. Je ne sentais pas qu’il y avait des « risques ». Moi, quand je dénonce quelque chose, c’est en espérant que les choses changent pour le mieux. Quand je prends la plume, c’est une demande que je fais. Au fond, j’espère que ceux qui peuvent changer les choses le feront. Ma motivation principale, c’était de parler de l’intégration des immigrants, qu’on aborde les problématiques, que la société trouve des solutions, une façon pour moi de mettre de la lumière sur des situations méconnues. Je n’ai jamais peur de ce que je pense, je fonce toujours un peu la tête baissée. Que pourrait-il m’arriver au juste ? Le pire, c’est que les choses évoluent positivement. L’important, ce n’est pas ma petite personne, c’est l’avenir des milliers de personnes qui choisissent le Québec pour recommencer leur vie et l’avenir du Québec, par le fait même.

À travers ton expérience comme enseignante en francisation des immigrants, tu nous révèles toute la beauté du métier exercé, la richesse des rencontres, tantôt stimulantes, mais aussi parfois malheureuses, avec des nouveaux arrivants. Car s’il y a à coup sûr beaucoup d’immigrants qui veulent s’intégrer au Québec et devenir à leur tour des Québécois. Il y en encore quelquesuns qui sont réfractaires, récalcitrants, quand ce n’est pas tout simplement hostiles. Ceux qui refusent de s’intégrer plaident parfois la religion. Il y a aussi l’étrange phénomène que le sociologue Mathieu Bock-Côté appelle « l’inversion du devoir d’intégration », qui revient à dire que c’est à la majorité de s’intégrer aux nouveaux venus plutôt que l’inverse. Comment selon toi empêcher que cette situation prenne de l’ampleur ?

En s’occupant d’eux, évidemment. Si on ne s’occupe pas d’eux, que nous ne les accueillons pas, que nous ne leur disons pas ce que nous sommes et ce que nous leur offrons ici, comment s’y intéresseront-ils ? Il faut aussi baliser des normes de vivre ensemble. La Charte est derrière nous, mais il faut penser à la construction d’une cohésion sociale, qui, du côté des nouveaux arrivants, assurera les fondations d’une nouvelle construction identitaire. De plus, il faut promouvoir nos régions et nos villes en dehors de Montréal. Montréal a donné son maximum, je crois.

Tu reviens souvent dans ton livre sur le problème de la capacité d’accueil, qui est aussi une question de capacité d’intégration. Tu attribues entre autres ces difficultés au manque de ressources financières et de volonté politique de l’État. Tu écris : On devrait privilégier la qualité des intégrations plutôt que la quantité d’admissions. Que réponds-tu à ceux qui y voient une mesure contre l’immigration, un geste de fermeture et d’exclusion ?

Je pense qu’ils s’imaginent qu’immigrer, c’est doux et sucré comme de la barbe à papa, qu’ils vivent un peu dans une bulle de Noël. Pour moi, limiter l’immigration, c’est bonifier la qualité de notre intégration : moins, mais mieux, disons ainsi. C’est comme les ratios dans une classe : 33 enfants dans une salle de classe seront entassés et n’auront pas assez d’attention de la part du maître. Je vois un peu les ratios migratoires ainsi : « entasser » des gens comme du bétail sans s’occuper d’eux, ou si peu, pour moi, c’est cruel. Personne ne sait véritablement combien de gens par année peuvent intégrer le Québec. Il tarde de trouver la réponse à cette question avant de continuer à hausser les seuils d’immigration. Les gens qui viennent ici, il faut les franciser, leur donner du travail, leur donner accès à des médecins, à l’éducation, à la société, leur faire connaître les programmes sociaux, etc. Présentement, le gouvernement délègue beaucoup de ses mandats à des organismes multiples. Je serais pour la création de « bureaux de services migratoires » gouvernementaux où les immigrants seraient véritablement pris en charge, où on leur apprendrait les fondements de notre société, où on les aiderait. Je sais, je rêve en couleurs, mais j’aime rêver.

Tu définis un Québécois comme un individu qui se rattache à la société québécoise – définie par sa langue, sa culture, son histoire, ses repères culturels et ses modes de vie – et qui se considère comme partie intégrante de celle-ci. Vue ainsi, la maîtrise du français ne devrait pas être considérée automatiquement comme unique vecteur d’intégration. Comme tu le dis si bien, une Moldave ne parlant pas un mot de français, mais vêtue comme n’importe quelle Québécoise, aura probablement plus de facilité à s’intégrer qu’une femme se réfugiant sous son tchador. Est-ce que la montée de l’intégrisme religieux t’inquiète et y a-t-il réellement péril en la demeure ? Enseignante en francisation cherche solutions ENTREVUE avec Tania Longpré

Je ne suis pas la seule à m’en inquiéter. Partout en Occident nous pouvons constater les ravages du multiculturalisme et du « laisser-aller » de l’intégration des immigrants. Personnellement, je suis athée. Je respecte les gens qui croient, par contre. Je considère la religion comme une valeur privée qui devrait se pratiquer à la maison ou dans des lieux de culte, et non pas à l’école ou au travail. Je crois à l’instauration de normes sociales communes. C’est un sujet toujours très délicat, mais le Québec devrait avoir un système plus républicain, laïque, et les nouveaux arrivants devraient en être avisés. On devrait aussi leur expliquer pourquoi la religion ne guide plus nos vies. Je me fais souvent poser cette question-là. « Madame, pourquoi les gens ne se marient pas ici ? », « Comment ça se fait que les gens habitent ensemble sans se marier ? », etc. Il faut expliquer le cheminement social du Québec, leur apprendre notre histoire afin qu’ils comprennent nos réalités.

Sur la question de la difficulté pour certains de s’intégrer, tu pointes du doigt le fameux multiculturalisme canadien et ses effets pervers : la ghettoïsation des immigrants, favorisant l’isolement des communautés ethniques et l’exclusion sociale. Pour contrer ce phénomène, d’ici à ce que le Québec devienne indépendant, tu sembles préconiser l’intégration hors de Montréal ou la régionalisation de l’immigration. L’idée est belle et semble aller de soi, mais encore une fois la volonté politique d’aller dans ce sens y est-elle ?

Pas du tout. En fait, on ne priorise pas les régions lors des entrevues de sélection. Encore une fois, ce sont des organismes qui s’occupent des projets individuels de régionalisation. Je ne veux pas casser le bras de qui que ce soit afin qu’il s’installe à Rouyn-Noranda, comprenons-nous bien ! Par contre, si j’étais ministre de l’Immigration demain matin (!) je modifierais les informations que je donne aux futurs Québécois, c’est-à-dire que je les informerais des possibilités d’emploi en région ou dans les banlieues, par exemple. Du coût de la vie un peu partout, aussi. Je crois que je développerais un programme visant à attirer les gens en région par une diminution de l’exigence « d’expérience de travail québécoise » qui brime plusieurs immigrants dans leur recherche d’emploi. Je pense que le Québec regorge d’opportunités et que plusieurs emplois ne sont pas comblés à l’extérieur de Montréal, car il n’y a pas assez de nouveaux arrivants dans les régions où on a besoin de gens, malheureusement. Et quand je parle de région, je ne parle pas nécessairement de Blanc-Sablon là ! Mais de grandes villes telles que Chicoutimi, Sherbrooke, Québec, etc. !

Outre la difficulté de s’intégrer convenablement quand on réside à Montréal, il y a aussi le fait que l’anglais y occupe une place privilégiée et que les entreprises de moins de 50 employés ne sont pas assujetties à la Charte de la langue française. Comme si ce n’était pas assez, plusieurs groupes communautaires offrent des cours d’anglais gratuitement aux nouveaux arrivants. Dans ton livre, tu ne mentionnes pas spécifiquement le Quebec Community Groups Network (QCGN), qui regroupe un grand nombre d’organismes fortement subventionnés par Ottawa pour la promotion de l’anglais et du bilinguisme institutionnel, mais crois-tu qu’il y a justement un allié objectif à l’anglicisation et à la difficulté d’intégration des immigrants à la société québécoise ?

Je pense que nous devrions obliger la francisation des immigrants, ce n’est pas plus compliqué que cela. La loi 101 et les mesures coercitives ont donné d’excellents résultats chez les jeunes générations, par contre, ce sont les adultes que nous sélectionnons. Nous nous devons de rendre la francisation obligatoire. C’est bien beau de dire que les gens apprendront le français par « amour », mais c’est assez faux. Les gens apprennent s’ils sont motivés, s’ils ont besoin d’une langue, s’ils veulent intégrer une communauté, pour travailler. Il faut leur donner le français, pas attendre qu’ils veuillent l’apprendre comme par magie. Je crois que la communauté anglophone a toujours été accueillante, c’est notre tour maintenant d’ouvrir les bras. Qui plus est, je crois aussi au réseau social, aux contacts. Si vous avez des voisins nouveaux arrivants, parlez-leur ! Ils sont souvent seuls ici, et l’amitié sera un bon prétexte pour apprendre notre langue !

Au bout du compte, tous les efforts déployés pour intégrer les nouveaux arrivants à la société québécoise se heurtent à un obstacle de taille : le fédéralisme canadien. Ne serait-ce qu’avec ces cérémonies d’obtention de la citoyenneté canadienne, tout est mis en oeuvre pour que l’immigrant reçu se perçoive d’abord comme un Canadien et non comme un Québécois. Alors, Tania, toi, vois-tu quelque part la lumière au bout du tunnel ?

Pas vraiment en fait. L’immigrant est confronté à deux modèles d’intégration différente, le fédéral, qui favorise le bilinguisme et le multiculturalisme, et le modèle québécois, qui favorise l’intégration en français dans la société. L’immigrant, il vient au Canada, il se joint au plus fort. Il s’identifie au Canada. Il faut donner et créer un sentiment d’appartenance. Le Canada, lui, ne se prive pas de le faire. À notre tour maintenant ! Prouvons-leur que le Québec a du potentiel. Tant que le Québec ne sera pas fier de ce qu’il est, ou ne sera pas un pays, les immigrants auront de la difficulté à s’y identifier.

Lors d’une élection partielle dans la circonscription de Viau en 2013, tu t’es présentée comme candidate du Parti québécois. Deux autres candidats provenant de formations indépendantistes s’y présentaient aussi. Je dois t’avouer que je n’étais pas peu fier alors de ne pas résider dans Viau ! En effet, j’étais alors membre de Québec solidaire (ce n’est plus le cas, mais cela est une autre histoire), j’avais beaucoup d’estime pour le candidat d’Option nationale, Patrick Bourgeois, que j’avais côtoyé au Réseau de résistance du Québécois, et j’avais le malheur (façon de parler !) de lire et d’aimer ce que tu écrivais. Quel dilemme ! Comment as-tu vécu cette première expérience électorale ?

Je ne sais pas trop en fait, sur le coup, les premiers jours, j’ai trouvé ça très difficile d’être exposée de la sorte. J’ai trouvé ça plus dur que je ne l’aurais pensé. Le « baiser de bienvenue » en politique ne m’a pas épargnée ! Cela dit, j’aime la politique. Actuellement, je pense que je préfère l’observer de l’extérieur que d’en être. Par contre, je viens d’avoir 30 ans, je ne sais pas ce que l’avenir me réserve ! Je demeure toutefois convaincue que de participer activement à la politique, c’est de pouvoir changer les choses… comme écrire, d’ailleurs !

Ton travail d’enseignante en francisation se poursuit et on peut lire et apprécier à juste titre ton blogue sur le site du Journal de Montréal… as-tu des projets – comme l’idée d’un second livre – qui s’annoncent dans un proche avenir ?

Puisque tu en parles ! J’ai effectivement un second livre qui sera publié en févriermars 2014 (je n’ai pas encore la date) toujours chez Stanké. C’est un livre plutôt axé sur l’éducation en général (mais j’y parle abondamment d’immigration et de langue française aussi), mais c’est moins politique, disons comme ça ! J’écris actuellement mon mémoire de maîtrise sur l’intégration linguistique des immigrants à Montréal (je termine une maîtrise en didactique du français langue seconde). Je caresse aussi l’idée d’écrire un roman, dans un futur plus lointain, ou encore… un livre de recettes ! Pour le reste, j’ai un blogue que j’alimente toutes les semaines au Journal de Montréal, je vous invite à m’y lire en attendant le deuxième livre et aussi, à lire celui-ci !

Propos recueillis par Jean-Pierre Durand