Et la colère?

Pourtant, nous avons tous vu la même chose. Nous avons vu l’infâme Ed Burkhardt s’adresser aux colonisés dans la langue de l’empire. L’homme n’a même pas pris la peine de se faire accompagner d’un attaché de presse parlant minimalement le français. Plus tôt, il avait adressé à la population un communiqué dans un baragouin informe, reflet du plus parfait mépris. Nous l’avons tous entendu accabler d’abord les pompiers, puis son propre conducteur de locomotive avant de reconnaître, au bout d’une semaine, « quelques erreurs ».

«C’était commencer ainsi une de ces conversations de paysans qui sont comme une interminable mélopée pleine de redites, chacun approuvant les paroles qui viennent d’être prononcées et y ajoutant d’autres paroles qui les répètent. Et le sujet en fut tout naturellement l’éternelle lamentation canadienne ; la plainte sans révolte contre le fardeau écrasant du long hiver. » – Louis Hémon

Et pourtant, nous avons vu le ministre fédéral des Transports défendre pied à pied son pré carré en bon petit roi nègre respectueux des compagnies ferroviaires et nous répéter jusqu’à plus soif que l’enquête sera longue. Tellement longue ! Quel contraste avec la bonne volonté manifeste des représentants du Maine et l’efficacité des fonctionnaires québécois.

À Brétigny-sur-Orge, après le déraillement d’un train qui a fait six morts, il n’aura fallu que quelques heures pour que le président, le premier ministre et le président de la SNCF arrivent sur place. Quelques jours après le drame, dès qu’on a soupçonné la défaillance d’une éclisse, la SNCF a aussitôt ordonné la vérification de 5000 aiguillages. Même aux États-Unis, le ministère des Transports a indiqué qu’il inspectait le tronçon américain de la voie ferrée utilisée par la MMA et que d’éventuelles anomalies devront être corrigées sur-le-champ, aux frais de la compagnie.

Où sont les inspecteurs sur les tronçons canadiens des lignes de la MMA ? Et sur les trains de la Quebec North Shore Labrador Railway qui sont eux aussi opérés par un seul homme ? Il est vrai qu’à Schefferville, il ne reste plus que des Indiens ! Seuls les maires de l’Estrie semblent s’émouvoir et manifester un minimum d’esprit civique. Il aura fallu attendre deux semaines avant que le CN et le CP s’interrogent sur la sécurité de leurs voies. À Ottawa, pourtant l’un des pires élèves des pays de l’OCDE en matière de sécurité ferroviaire, on s’est contenté de vérifier la police d’assurance de la compagnie et de répéter que ce sera long. Tellement long ! C’est cela, vivre dans un pays qui n’en est pas vraiment un.

Depuis deux semaines, devant l’incurie d’Ottawa et de la MMA, j’ai attendu une révolte, un cri. Dans n’importe quel autre pays, il y aurait eu des manifestations, des pancartes, des esclandres, des banderoles devant le Parlement. Ici, rien n’est venu. Est-ce à cause de l’été, des vacances, de la chaleur ? Peut-être.

« La plainte sans révolte contre le fardeau écrasant du long hiver », écrivait l’auteur de Maria Chapdelaine.

Article de Christian Rioux,
publié dans Le Devoir, le 19 juillet 2013

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