La dérive de Lisée

Texte de Michel David dans Le Devoir du 21 février 2013

Jacques Parizeau n’a pas été tendre envers son ancien « conseiller à l’ouverture », Jean-François Lisée, qualifiant de « dérive » sa proposition d’augmenter le niveau de bilinguisme à la Société de transport de Montréal (STM). « Dans toutes les sociétés, il y a des apôtres de la bonne entente, des bon-ententistes », a déclaré l’ancien premier ministre dans une entrevue au Journal de Montréal, rappelant le célèbre discours du théâtre Centaur que M. Lisée avait inspiré à son successeur, Lucien Bouchard, qui n’a jamais pu se le faire pardonner par les militants péquistes.

Personne n’est à l’abri d’un faux pas, mais plusieurs se demandent comment un aussi fin observateur de la société québécoise a pu s’aventurer sur un terrain aussi glissant. Il faut dire qu’en sa qualité de ministre responsable des relations avec la communauté anglophone, il a le mandat d’arrondir les angles, et la haute opinion qu’il a de lui-même l’amène peut-être à se croire capable de résoudre la quadrature du cercle.

Que ce soit dans son rôle de journaliste, de conseiller ou d’essayiste, il a amplement démontré son ingéniosité, même si ses trouvailles, indéniablement séduisantes sur papier, ne passaient pas toujours le test de la réalité politique. Quand il conseillait les premiers ministres, quelqu’un se chargeait de faire le tri ; il doit maintenant travailler sans filet.

Même un gouvernement voué à la souveraineté devrait être suffisamment responsable pour envisager la possibilité que les Québécois décident malgré tout de demeurer au sein de la fédération canadienne, dont la démographie et la dynamique politique jouent lourdement contre le français.

Il serait imprudent, même au nom de la courtoisie, de favoriser une tendance à la bilinguisation de Montréal, qui ne peut que freiner l’intégration des immigrants à la majorité francophone et qui pourrait bien devenir irréversible.