La langue de bois inclusive

par Philippe Dujardin  |  Le Patriote

Qui d’entre nous n’a jamais été témoin de discours manipulateurs ? Conçus par de véritables faussaires en politique et servant à déformer la réalité et les faits. Un phénomène qui contribue à augmenter le cynisme envers la politique chez des citoyens se sentant alors abusés, sans pour autant être capables d’en cerner la raison profonde. Les dernières élections fédérales ne nous ont d’ailleurs pas épargnés ce fléau. Nous avons entendu des gens appeler à voter pour un parti avec l’argument qu’il fallait sauver des vies, voire l’humanité toute entière. Rien de moins !

George Orwell, auteur du roman 1984.
George Orwell, auteur du roman 1984.

Aucun parti ou groupe politique n’est épargné

On peut constater que des mouvements se démarquent nettement par rapport à d’autres dans l’utilisation de ce langage. Plusieurs d’entre vous auront entendu parler de la croissance négative lors d’une récession ou la réussite différée pour nous parler d’un échec scolaire. Nous avons aussi découvert en 2011 le Crédit d’impôt pour solidarité remplaçant le remboursement de la TVQ. On comprend vite l’aspect trompeur de ces termes. Il n’y a pas plus de croissance, que de la réussite ou de la solidarité.

Certains se spécialisent dans une catégorie propre à la langue de bois, la novlangue, soit enlever des termes ou les remplacer par d’autres, pour empêcher la population de définir ses réalités, expliquer ses frustrations, ses désirs, ses colères. Nous sommes en plein dans le célèbre 1984 de George Orwell. On se souviendra tous du Ni-Ni de François Legault : ni souverainiste, ni fédéraliste, tout en acceptant de fonctionner sous les règles de la fédération canadienne, donc du fédéralisme. On n’oubliera pas le renouveau du fédéralisme si cher aux fédéralistes autonomistes et le fédéralisme asymétrique qui vu sous un angle provincial est sympathique pour les dix provinces, mais lorsque vu sous un angle national nous fait constater que c’est une bonne affaire une fois pour la nation québécoise et neuf fois ensuite pour la nation canadienne ! Ce qui est en effet très asymétrique, mais sûrement pas à notre avantage !
Une des plus grosses impostures politiques des quarante dernières années et qui fâche beaucoup de monde dans le milieu indépendantiste quand on met le doigt dessus, reste la confiscation du mot indépendance pour le remplacer par celui de souveraineté. La novlangue par excellence! On comprend rapidement qu’indépendanceassociation est un non-sens et que pour vendre ce projet autonomiste espérant un renouvellement du fédéralisme canadien, il fallait tuer l’indépendance. D’où la naissance au sein de ce courant politique d’un mouvement d’émancipation frileux, espérant toujours un geste du père canadien, une main tendue, une bonne entente. Des gens allant nulle part de peur d’aller trop loin, pour reprendre les bons mots de Pierre Falardeau. Toujours en réaction aux gestes posés par le gouvernement canadien.

Des échardes aux lèvres

Récemment nous avons vu se lever une nouvelle vague de langue de bois. Cette foisci elle est venue d’une certaine gauche que je décrirais comme une dérive multiculturelle du social-libéralisme nord-américain, antinational, et libertaire chez les plus radicaux. Celle qui se désigne elle-même comme progressiste, inclusive, ouverte et tolérante. Autant de qualificatifs qui d’emblée font passer leurs adversaires pour des réactionnaires, prônant l’exclusion, fermés sur eux-mêmes et intolérants.
Ces inclusifs, dans un débat, ont rapidement recours à des expressions toutes faites : les heures sombres de notre histoire, la fange brune, et franchissent rapidement le point Godwin, soit les comparaisons douteuses avec le IIIe Reich ! Discussions qui tournent généralement court, car trop souvent ils n’ont pas sur eux un échantillon des valeurs qu’ils se donnent avec tous ces adjectifs positifs et joviaux. Dès qu’on leur met le nez dans leurs incohérences, dès qu’ils sont face à leurs contradictions, ils adoptent trop souvent l’attitude des gens qu’ils prétendent combattre. Champions de l’argument ad hominen, maîtres des procès d’intention, experts en sophismes, en amalgames douteux et projections de leurs propres turpitudes sur leurs adversaires. Je vous le dis, les mêmes méthodes que ceux qu’ils dénoncent.

Ces moralistes nouveau genre n’ont rien à envier à nos anciens curés des valeurs morales, imposant à tous ce qui semble bon ou mauvais. Jugeant et excommuniant d’un revers de goupillon. Ces nouveaux apôtres de la « tolérance » dressent la liste des citoyens fréquentables et ceux qui ne le sont pas, avec qui tout contact est à éviter au risque de se faire accuser par des procès d’association douteux de tenir les mêmes propos. Ne citez jamais une de leurs têtes de turc, ils vous pointeront le messager au lieu du message pour vous démontrer que vous cautionnez l’inacceptable et que vous partagez l’ensemble de ses idées. Ils vous classent rapidement dans les supporteurs du Front national si vous osez critiquer les quotas d’immigrants. Si vous défendez votre langue nationale vous êtes sûrement un nationaleux identitaire ou un fidèle lecteur de Mathieu Bock-Côté. Si c’est la laïcité vous devez être une Janette, voire un xénophobe ayant peur de la différence. Ces nouveaux juges sèment la terreur au sein de nos penseurs, chassant les sorcières, s’inventant une mission d’antifa (les traqueurs de fascistes), pensant sauver le monde d’un destin funeste et totalitaire.
Vous aurez beau leur expliquer les principes du travail au rabais et des attaques de nos acquis sociaux par le néolibéralisme instrumentalisant une immigration massive, rien n’y fera. Au contraire, ils instrumentaliseront à leur tour les communautés culturelles, considérées alors comme une minorité attaquée par la majorité. Pourtant à aucun moment il n’a été question de protéger une majorité fantasmée par ces communautaristes reprenant les termes de l’extrême-droite, mais bien de la défense de la collectivité dans son ensemble, donc des travailleurs québécois de toutes origines. Il n’y a aucun parti politique au Québec proposant de renvoyer des immigrants… sauf au fédéral, vu que l’immigration est de leur compétence. C’est bien Ottawa qui renvoie des migrants du Québec souvent bien intégrés dans notre société depuis des années. Ce sont les conservateurs qui entre autres ont voté dans l’indifférence la loi renforçant la citoyenneté canadienne permettant de retirer la citoyenneté à des binationaux, créant ainsi deux classes de citoyens : les vrais Canadiens et ceux qui le sont moins. Mais là, notre gauche progressiste n’a pas déchiré sa chemise, préférant dépenser son énergie à dénoncer le projet de loi sur la charte des valeurs. Un projet de loi qu’ils ont qualifié de raciste et violent. Certains le disant copié sur le Front national français, tandis qu’il a été principalement influencé par les politiques du Parti socialiste français.

Là encore la langue de bois nous montre « Il me paraît clair que l’idéal indépendantiste implique une critique du capitalisme, de la situation religieuse, du système d’éducation, du syndicalisme, de la culture, etc. L’indépendantisme se présente donc comme un moyen de renouveler notre vision. Il est d’essence révolutionnaire. » toute sa démesure. Ils reprochent aux défenseurs de la charte de ne pas avoir d’étude sur le sujet. Expliquant qu’aucune statistique ne donne le nombre de personnes concernées par les mesures de cette charte des valeurs. Mais d’un même souffle, ils nous expliquent que le nombre d’employés visés ne représente rien, une infime minorité, sans préciser leur source. Et deux lignes plus loin, on peut lire dans leurs argumentations que des milliers de femmes risquent de perdre leur emploi, d’être stigmatisées. Donc à les écouter : aucune statistique ne confirme qu’une écrasante minorité d’employées de la fonction publique va perdre des milliers d’emplois! C’est magique! Et cela, en supposant que leurs prévisions paranoïaques soient exactes et donc qu’aucune de ces travailleuses ne se plie à la nouvelle loi. Tandis que suivant l’expérience des pays ayant appliqué de telles mesures, l’écrasante majorité s’est conformée aux nouvelles règles. Eh oui, les gens obéissent aux lois!

Ces inclusifs, avec leurs discours alarmistes, participent à augmenter la méfiance et le ressentiment entre les communautés créant du ressentiment entre les diverses composantes culturelles de notre société, donnant naissance à une fermeture des uns et sur les autres, la montée de l’intolérance et des peurs. Et ils nous disent travailler pour ramener une meilleure paix sociale. Mais en réalité, ils s’emploient à pourrir les débats majeurs collectifs. Ils prétendent lutter pour le peuple, mais ils détestent ceux qu’ils appellent la majorité « oppressante » pour leurs minorités. Ils affirment combattre le 1 % et défendent pourtant certaines mesures applaudies par le patronat et les chambres de commerce.

Ces « progressistes » ne travaillent pas comme ils le devraient à créer une opinion publique unifiée sur l’ensemble du territoire pour lutter contre le néolibéralisme et construire une société libre et démocratique. Au lieu de faire preuve du pragmatisme qui devrait être le leur, ces métaphysiciens du social vont nous pondre des principes philosophiques de leur société utopique. Trop souvent confortés dans leurs doctrines, car appuyés par certains professeurs de philosophie et de sociologie de nos universités se faisant passer pour des philosophes. Voulant appliquer leurs dogmes et frustrés de ne pas y arriver, ils préféreront une terre brûlée plutôt que de voir leurs adversaires gagner. Pour cela ils utiliseront l’hypocrisie propre à la langue de bois, pour se faire comme d’autres du capital politique, trompant ainsi leurs concitoyens sur les véritables enjeux collectifs.

Cette gauche a besoin de se fabriquer de toute pièce une extrême droite pour vendre au peuple cette imposture politique qu’elle serait progressiste et défendrait ses intérêts. Or, il n’en est rien. •••