La maison Chénier-Sauvé est menacée

La maison Chénier-Sauvé, située dans le Vieux-Saint-Eustache, est menacée. Résidence de l’ancien premier ministre Paul Sauvé, le bâtiment patrimonial construit dans les années 1890 se détériore, et la Ville de Saint-Eustache, qui en est propriétaire, soutient qu’il faudrait investir 2,8 millions de dollars pour la restaurer.

Selon une évaluation, la maison où a notamment vécu le premier ministre Paul Sauvé nécessiterait des travaux de 2,8 millions. Photo: Jacques Nadeau Le Devoir
Selon une évaluation, la maison où a notamment vécu le premier ministre Paul Sauvé nécessiterait des travaux de 2,8 millions. Photo: Jacques Nadeau Le Devoir

Représentative des résidences bourgeoises construites à la fin du XIXe siècle, la maison patrimoniale a une valeur historique qui repose aussi sur les propriétaires successifs — dont cinq députés — qui y ont vécu. Le site est étroitement lié au patriote Jean-Olivier Chénier, impliqué dans les rébellions de 1837 et 1838. Chénier a perdu la vie en 1837 lors de la bataille de Saint-Eustache et sa résidence fut alors incendiée. La maison actuelle a été construite sur le site vers 1890 et devint la propriété du député Arthur Sauvé, puis de son fils, Paul Sauvé, qui fut premier ministre du Québec à la suite du décès de Maurice Duplessis.

La maison a aussi appartenu au député Pierre de Bellefeuille, décédé en septembre dernier. Passionnée d’horticulture, son épouse Thérèse Romer, y a créé des jardins comptant plus de 300 espèces végétales. En 2001, la Fondation Maison et Jardins Chénier-Sauvé a acheté la propriété avant de la revendre à la Ville de Saint-Eustache en 2006.

 

Subvention de Québec

Citée comme immeuble patrimonial par la Ville et située dans une aire de protection, la maison a maintenant besoin d’importantes rénovations. En février 2014, la Ville avait obtenu de Québec une subvention de 959 000 $ pour refaire l’enveloppe extérieure, mais depuis, la facture des travaux a grimpé, passant de 1,8 million à 2,8 millions en raison de la détérioration de l’immeuble, soutient la Ville.

« Nous souhaitons conserver la maison. Mais de quelle manière ? À 2,8 millions, la municipalité n’a pas ces fonds-là », indique le conseiller municipal Raymond Tessier.

À l’hiver 2013-2014, le système de chauffage à l’eau chaude a flanché pour une raison inconnue et les tuyaux ont gelé, occasionnant des dégâts considérables à la demeure, relate M. Tessier. Depuis ce temps, les organismes communautaires et culturels qui occupaient l’endroit ont dû trouver d’autres lieux pour leurs activités.

Une étude commandée par la Ville auprès de la firme d’architecture Coulloudon Veilleux Cloutier a estimé à 2,8 millions le coût des travaux requis pour mettre le bâtiment aux normes. En revanche, démolir l’immeuble pour le reconstruire avec une enveloppe extérieure similaire coûterait 1,2 million, précise Raymond Tessier. La Ville hésite. « Je suis dans le dossier depuis le début. Pour moi, la maison a une grande valeur, mais il faut prendre en considération la capacité de payer des citoyens », explique le conseiller municipal, qui dit être impliqué depuis une quinzaine d’années dans la protection de la maison, ayant participé à la création de la Fondation.

La Ville envisage plusieurs scénarios : trouver du financement supplémentaire, vendre la demeure au privé ou la démolir. Pour l’élu, il paraît difficile de limiter la portée des travaux requis pour réduire la facture. « Mais tout est sur la table », soutient M. Tessier, qui a invité des citoyens préoccupés par l’avenir de la maison et des spécialistes en rénovation à réfléchir sur diverses solutions lors d’une rencontre qui aura lieu le 14 janvier prochain. « Il n’y a rien de décidé, mais il est comme minuit moins une et 58 secondes », admet-il. La Ville entend statuer sur le sort de la maison dans les prochains mois.

Ami de Pierre de Bellefeuille, Pierre Amesse émet de sérieux doutes quant au coût des rénovations requises. Lors des funérailles de M. de Bellefeuille en octobre dernier, il s’est étonné de voir à quel point la maison Chénier-Sauvé s’était détériorée. Selon lui, l’ampleur des travaux évoquée par la Ville sert un autre but : « Je crois que c’est juste un prétexte pour dire que c’est trop cher et jeter la maison à terre. Ça ne prend pas 2 millions pour réparer ça. »

 
Trop pour le municipal ?

Pour la directrice générale d’Action patrimoine, Émilie Vézina-Doré, le cas de la maison Chénier-Sauvé soulève une fois de plus des questions sur la capacité des villes à prendre soin de leur patrimoine. « On peut se demander si les municipalités sont vraiment les bonnes gardiennes du patrimoine. Dans le cas de Saint-Eustache, c’est inquiétant de voir qu’un bâtiment qui bénéficie de la situation optimale pour être sauvegardé et en bon état, c’est-à-dire avec une protection municipale et propriété de la Ville, est menacé. En plus, il y a une offre financière du ministère de la Culture de près d’un million, ce qui n’est pas le cas de tous les bâtiments. »

La maison Chénier-Sauvé fait l’objet d’une citation, un statut octroyé par la municipalité, mais elle n’est pas classée par le ministère de la Culture, ce qui limite l’intervention de la ministre pour protéger le bâtiment, rappelle Mme Vézina-Doré. « Donc, l’ensemble du patrimoine du Québec qui a un rayonnement régional ou municipal est en danger si les maires et les élus n’ont pas à coeur la sauvegarde du patrimoine. » Elle cite le cas de la forge Riverin de La Malbaie, citée par la municipalité, mais elle aussi menacée.