La peur de la troisième défaite

MATHIEU BOCK-CÔTÉ | LE JOURNAL DE MONTRÉAL | 13 JUIN 2014

C’est un ami qui m’a suggéré cette formule hier soir lors d’un souper : les souverainistes, disait-il, doivent se libérer de la peur panique de la troisième défaite. Terrorisés à l’idée qu’un autre échec référendaire serait fatal pour le projet souverainiste, et peut-être même pour le peuple québécois, qui verrait là s’anéantir son dernier espoir d’être un jour indépendant, les souverainistes n’en finissent plus de chercher une stratégie alternative pour éviter d’en venir au troisième référendum, pourtant inévitable pour ceux qui veulent faire du Québec un pays. Ils sont tétanisés par la perspective de cet ultime échec et préfèrent se présenter comme les gardiens de l’espoir plutôt que comme des naufrageurs sacrificiels au service d’un idéal si puissant qu’il les rendrait aveugles au réel. Il n’a pas tort de présenter les choses ainsi. À bien des égards, il parlait des souverainistes comme moi.

Car cette peur, je la ressens intimement. Je ne suis évidemment pas le seul. Elle est dominante chez les indépendantistes qui sont persuadés qu’il ne reste au Québec qu’une seule chance. […] Le parti souverainiste doit-il miser sur l’indépendance ou plutôt la mettre en veilleuse? Faut-il souhaiter le rassemblement de tous les nationalistes dans un seul parti fondé sur un nouveau pacte autonomiste ou doit-on espérer qu’ils se partagent la carte électorale dans une grande coalition antilibérale? Une seule certitude autour de la table: l’indépendance n’est pas pour demain. […]

Faut-il pour autant faire une ode au volontarisme indépendantiste, en redécouvrant l’entêtement admirable de Jacques Parizeau en 1995? Peut-être bien. On s’en souvient, personne, à ce moment, ne voulait du référendum, et au sein de son propre gouvernement, Parizeau manquait d’alliés. Et pourtant, Parizeau était convaincu d’une chose : il fallait foncer. Forcer les Québécois à choisir, à trancher. Une chose est certaine pour lui : l’indépendance ne viendra pas toute seule. Les grandes réalisations historiques reposent à bien des égards sur une décision : l’homme politique d’exception sait qu’il s’engage dans un quitte ou double. En 1995, Parizeau a perdu, mais il aurait bien pu réussir. Parizeau a joué seul contre à peu près tout le monde. Quiconque étudie l’histoire constatera que les grands destins ont souvent ce visage.

On sait que la situation est difficile pour les indépendantistes. Si les Québécois étaient soumis à un référendum en ce moment, ils en profiteraient certainement pour se débarrasser définitivement du camp national. La tentation est forte au Québec en ce moment de se délivrer de soi-même et d’en finir avec un idéal marqué du sceau de l’échec. Et c’est la tentation nihiliste d’en finir avec soi qui se dissimule sous certaines représentations discutables du progrès, généralement assimilé au déracinement. Le système médiatique pousse à l’abandon de l’indépendance en entretenant cette exaspération. Mais la question se pose : comment les souverainistes pourraient-ils inspirer un peuple s’ils sont convaincus eux-mêmes du caractère inéluctable de leur défaite? A-t-on déjà inspiré une nation avec des soupirs et des lamentations?

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