L’anglicisation est un tabou pour des étudiants de HEC

Plusieurs d’entre eux ressentent un malaise, mais ont peur d’en parler avec la direction

Annabelle Blais | Journal de Montréal

L’anglicisation est un sujet tabou chez les étudiants francophones de HEC, affirme un diplômé de 2015. Selon lui, plusieurs étudiants craignaient d’en parler à la direction de peur de s’attirer des ennuis.

«Dans le milieu des affaires, la question du français n’est pas toujours bien vue et on se faisait souvent répondre que “les affaires, ça se fait en anglais”, explique l’ancien étudiant diplômé du MBA francophone qui a requis l’anonymat. Plusieurs n’osaient pas dénoncer publiquement un enjeu qui, pourtant, les affectait directement.»

Depuis 2000, la maîtrise en administration des affaires (MBA) de HEC Montréal compte une cohorte en français et une autre entièrement en anglais. uniquement en anglais

Le discours de cet ex-étudiant rejoint celui de professeurs publié hier dans nos pages. Ceux-ci estiment que l’anglicisation fait de leur institution une pâle copie de l’université américaine Harvard.

Le diplômé à qui nous avons parlé explique que pour plusieurs conférences, et plus particulièrement pour celles qui sont offertes aux deux cohortes du programme, les invités s’exprimaient uniquement en anglais.

«Un homme d’affaires anglo-montréalais a commencé son allocution en français, mais on lui a demandé de parler anglais, illustre-t-il. On a aussi demandé à des francophones de faire leur conférence en anglais, mais certains le baragouinaient et ça peut finir par être pénible à écouter.»

Il précise que ces conférences étaient obligatoires et matière à examen et à évaluation.

Il ajoute que dans plusieurs cours, les manuels étaient uniquement en anglais et que les professeurs ne faisaient pas toujours l’effort de trouver des textes en français.

«Je comprends l’anglais, mais ça me dérangeait quand même, dit-il. Pour moi, c’était une question de principe, on m’a vendu un MBA en français.»

Cet étudiant a longuement hésité avant d’en parler à la direction et à l’association étudiante du MBA. «Je ne voulais pas passer pour un radical de la loi 101!» dit-il.

Finalement, l’association étudiante n’a pas souhaité aborder la question de front pour ne pas nuire à ses relations avec l’administration, selon cet étudiant. Il a donc rencontré la direction à titre personnel.

Rien n’a changé

«Malgré ma rencontre, rien ne semble avoir changé à HEC depuis deux ans, bien au contraire», déplore-t-il.

L’association étudiante du MBA avait refusé de parler au Journal en mai au sujet de la controverse sur l’album des finissants en anglais. Elle a de nouveau refusé de commenter, tout comme son ancien président.

Anne Shiraishi, secrétaire générale de l’association, a précisé que le directeur du MBA, Louis Hébert, a rappelé en mai l’importance du français dans ses communications.

Quant au 1er cycle, l’association des étudiants de HEC a déclaré qu’elle appréciait la possibilité de suivre des cours en anglais. Elle a toutefois insisté sur l’importance de maintenir une formation entièrement en français.

Plusieurs étudiants rencontrés à la cafétéria de l’établissement ont aussi partagé ce point de vue et ont vanté l’importance de parler anglais dans le milieu des affaires.

 

« HEC trahit sa mission »

Maxime Laporte
Président, Société Saint-Jean-Baptiste
 
 
La Société Saint-Jean-Baptiste s’inquiète de l’anglicisation de HEC. La Société a joué un rôle important dans la création de l’institution en 1907, rappelle son président Maxime Laporte. «Le but était de favoriser l’émancipation économique des francophones, mais, aujourd’hui, HEC trahit sa mission historique», croit-il. Il est d’avis que cette université s’inscrit désormais dans une logique affairiste néolibérale qui ne sert en rien les intérêts du Québec. Il déplore aussi le fait que des francophones enseignent à d’autres francopho­nes en anglais. «C’est une aberration, fustige-t-il. Ça ne sert à rien de faire concurrence à Harvard. HEC Montréal est un des chefs de file dans le marché francophone et doit le rester et l’être davantage. C’est une question de dignité.»
 
 
 

L’anglais dans les autres universités

  • L’Université de Sherbrooke offre depuis 2014 un baccalauréat en administration des affaires (BAA) bilingue où le tiers de la formation se fait en anglais. On compte deux groupes dans le cheminement bilingue contre cinq dans celui en français. Pour le moment, ils n’ont pas de MBA uniquement en anglais. Des conférences non obligatoires peuvent se dérouler en anglais.
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  • Depuis 2011, l’Université Laval offre la possibilité aux étudiants au BAA qui le souhaitent de suivre jusqu’à 50 % de leurs cours en anglais, mais aucune mention «bilingue» n’apparaît sur le diplôme. L’Université offre aussi depuis 2011 un MBA où un minimum de 60 % des cours en anglais est exigé, mais il peut aussi être fait entièrement en anglais.
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  • L’École de gestion de l’UQAM offre une trentaine de cours en anglais par année au 1er cycle et au 2e cycle. Pour les étudiants qui le souhaitent, il est possible de suivre la moitié des cours du BAA de l’ESG en anglais. Sur les quelque 2500 étudiants au BAA, environ 1000 suivent au moins un cours en anglais pendant leur formation, nous précise le vice-doyen à l’international, Benoit Bazoge. L’ESG n’offre pas de MBA en anglais au Québec. «Ce serait bizarre pour nous étant donné que McGill et Concordia répondent déjà à cette demande», dit-il. Les conférences où les invités parlent en anglais ne sont pas obligatoires.

 

 

 

 

 

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