L’assimilation tranquille, pensées d’un immigrant

Philippe Dujardin | Le Patriote – sept 2016

 

Assimilation, ce mot honni par les défenseurs du multiculturalisme porte un lourd héritage de l’époque coloniale, principalement de l’histoire française et son assimilation culturelle, politique d’État voulant créer sur l’ensemble de ses territoires un citoyen homogène. Le fameux « Nos ancêtres les Gaulois » que l’on imposait en Afrique et en Indochine. Ce n’est pas de cette politique d’assimilation proche d’un ethnocide dont nous allons vous parler ici. Pas plus que celle semblable vécue par le Québec sous la tutelle de la nation canadienne. Nous n’allons pas non plus évoquer une politique gouvernementale, mais la finalité d’une intégration réussie dépendant principalement de la volonté du nouvel arrivant. Il est le principal acteur de ce succès.

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Ulrick Chérubin (1943-2014), maire d’Amos en Abitibi, natif de Jacmel en Haïti.

Une valise trop petite
Comme le disait Boucar Diouf : on ne peut pas mettre tout son pays dans une valise. Il faut voyager léger, comme la noix de coco. De cette évidence nous pouvons comprendre que ce que nous n’avons pas pu amener dans nos bagages, nous allons devoir le trouver à destination, dans notre pays d’adoption. Il y aura alors sur un long terme un phénomène d’acculturation qui n’a aucun rapport avec un quelconque ethnocide. Notre immersion continue au sein de notre société d’accueil va tout simplement modifier notre modèle culturel. Nous allons nous enrichir de cette nouvelle langue, culture et histoire. D’un autre côté les immigrants vont eux aussi dans la durée influencer et modifier les modèles culturels locaux.

C’est un échange interculturel normal et courant dans l’histoire des civilisations. Tout aussi normal que la peur que ces changements peuvent nous inspirer, car émigrer c’est prendre des risques, faire des sacrifices, s’adapter. Et tout aussi naturel que la méfiance au sein de la population envers les nouveautés que nous représentons et qui peut parfois inspirer un réflexe relevant de la xénophobie. Claude Lévi-Strauss bien que critiquant l’ethnocentrisme occidental précisait à ce sujet : Une certaine dose de xénophobie n’est pas inutile à la pérennité d’une société et ne doit pas être confondu avec le racisme… Bref tout est dans le dosage. La méfiance possiblement, le rejet non ! C’est valable pour tout le monde.

Pour tout le monde, car certains immigrants vont résister à cette acculturation, encouragés par les politiques multiculturalistes et aussi par l’exclusion qui peut les frapper. Ils font en effet partie d’un groupe économique vulnérable. Pratiquant parfois un communautarisme protecteur fermé et de transculturation, adoptant quelques parties de la culture locale, ne mettant pas en danger leurs traditions, leur culture, leur identité, ils se créent une bulle sécuritaire, ce qu’on appellerait aujourd’hui un « safespace ». Ces identitaires nostalgiques ont un côté très conservateur, une vision altérée de la culture de leur pays d’origine s’aggravant de génération en génération.

Une vieille carte postale décolorée
C’est ce que j’appelle le syndrome de la carte postale. Ce cliché figé du pays qu’on a emporté avec nous et collé sur la porte du frigo. Ce fantasme que l’on a de cette terre quittée dont on n’arrive pas à faire le deuil. La carte postale vieillit, jaunit et ne nous renvoie plus les réalités de notre société qui elle a continué de progresser. Refermés sur nous-mêmes, continuant de pratiquer les mêmes traditions d’antan, nous n’évoluons plus, gardien d’un temps révolu, nous nous isolons dans une logique identitaire sclérosée. J’ai toujours trouvé amusant ces voyages dans le temps, qui feraient la joie d’un ethnologue, lorsque l’on visite certaines communautés ethnoculturelles montréalaises. C’est un musée vivant, une fenêtre sur le passé, une fenêtre close ! Dire que certains « progressistes » nous vendent cela pour de la richesse et de la diversité, accusant au passage quelques Québécois de ne pas être assez ouverts aux autres et trop réactionnaires. C’est le comble.

Lorsqu’on ne vit pas dans ce communautarisme de ségrégation, l’acculturation agissant naturellement sur les nouveaux arrivants finira après une ou deux générations le plus souvent par une assimilation culturelle presque totale des descendants. Même en gardant quelques contacts estivaux avec son pays d’origine, un petitfils d’immigrant qui n’aura pas été confiné dans un ghetto culturel aura peu de chance d’avoir gardé la culture du pays d’origine de ses grands-parents, en dehors possiblement de quelques traditions culinaires ou folklores identitaires qui se pratiqueront au sein de la cellule familiale. Dans la collectivité, il sera impossible de le différencier culturellement avec ses concitoyens. Et si l’envie lui prenait d’aller vivre dans la région d’origine de sa famille, il passerait alors pour un véritable étranger, peu aux faits des réalités quotidiennes des habitants du coin. Pour s’intégrer il devra de nouveau s’assimiler, subir une nouvelle acculturation.

Pour résumer on pourra citer de nouveau Boucar Diouf : S’intégrer à une nouvelle culture, c’est comme lire un livre plusieurs fois. La première lecture, généralement, c’est pour se familiariser avec les personnages. À la deuxième lecture, on s’intéresse davantage à l’histoire. Mais à la troisième lecture, si on est capable de raconter l’histoire avec passion, c’est qu’elle est devenue aussi la nôtre, et les personnages des membres de notre propre famille.

Le mot clef est bien ce « nôtre » qui semble effrayer les multiculturalistes et autres interculturalistes. Le mot est pourtant un signe clair d’intégration à la société d’accueil. Rien de négatif et prétendant qu’on aurait perdu toute trace culturelle de nos origines. Je ne vois d’ailleurs pas comment il serait possible en tant qu’individu d’oublier d’où on vient ! Par quelle magie serions-nous frappé d’amnésie, oubliant nos racines, notre passé. Ce « nôtre » a bien un aspect collectif et non individuel. C’est d’intégration dont on parle, une assimilation tranquille faisant de nous un citoyen à part entière de cette nation, un pure-laine !

Je me souviens de ce grand Québécois, un homme de valeur qui n’a jamais oublié ses racines haïtiennes, se nommant luimême l’« Haïtibien », Ulrick Chérubin, maire d’Amos. Lors d’une discussion avec les Algonquins il leur dit à sa plus grande surprise : Vous savez, nous autres les Blancs… Il était des nôtres, partie prenante du peuple québécois. Un exemple flagrant d’une intégration parfaitement réussie. Sans que cela ne le diminue de quoi que ce soit ou ne le dépossède de ses origines.

Des Québécois à part entière Pour paraphraser une citation du premier archevêque noir d’Angleterre, John Sentamu, né en Ouganda, quand nous ne vivons pas dans un modèle multiculturel, l’intégration passe par une assimilation faisant de la culture et de l’histoire commune la nôtre. Et pas une liste d’épicerie sur laquelle on ne choisirait que les côtés agréables, ce qui nous sied. Non. C’est en faisant nôtre les victoires, les joies, les souffrances et les combats de ce peuple. Nous nous les approprions, ils nous appartiennent. Nous devons en assumer les aspects peu glorieux, comme nous devons être fiers des réussites. Comment prétendre appartenir à un peuple si nous sommes incapables de ressentir cette histoire collective, la raconter avec passion et partager la même culture que celui-ci ?

Le multiculturalisme autorise les autres cultures à s’exprimer, mais il empêche la culture de la majorité d’exprimer ses victoires, ses combats, ses joies, ses souffrances. — John Sentamu – Archevêque de la ville d’York

Comment ne pas baisser les yeux quand on nous parle des pensionnats autochtones ou des orphelins de Duplessis ? Comment ne pas être touché par la tristesse d’un peuple quand on évoque le drame de la polytechnique ? Comment ne pas être fier des progrès incroyables menés pendant la révolution tranquille et des grandes réalisations québécoises ? Et la joie lorsque par exemple monte sur scène un monstre sacré de la chanson, comme Jean-Pierre Ferland lors de la dernière Fête nationale à Montréal, une acclamation spontanée de la foule et une complicité, un frisson, une profonde émotion. Et là je ne vous parle pas de ce que j’ai ressenti, de mes goûts, mais bien de cette communion collective propre à un peuple.

Loin de l’idée de devenir des citoyens de seconde zone, nous avons le devoir lorsque nous désirons accomplir une intégration réussie de nous fondre à cette culture, de Ulrick Chérubin (1943-2014), maire d’Amos en Abitibi, natif de Jacmel en Haïti. l’adopter. Nous ne pouvons pas en même temps exprimer collectivement notre appartenance à une autre identité et exiger qu’on la reconnaisse comme partie prenante de cette société, institutionnalisant de ce fait des cultures étrangères, et réclamant d’un même souffle que l’on nous considère comme l’égal des citoyens établis ici depuis des centaines d’années. Ce devoir d’intégration ne nous empêche pas de vivre avec notre entourage élargi nos traditions, de célébrer les joies et les peines qui lui sont liées. Mais nous n’avons pas à être reconnus par l’État comme une sous-classe de citoyens définis par nos origines.

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La députée bloquiste de Repentigny, Monique Pauzé, que l’on aperçoit ici avec des Québécois originaires d’ici et d’ailleurs lors de la Fête nationale du Québec

Kenan Malik, intellectuel indien, expliquait clairement ce penchant multiculturaliste à créer des citoyens de seconde classe, les empêchant alors de se réclamer de la population historique du pays : Le multiculturalisme est un ensemble de dispositifs visant à gérer la diversité en mettant les gens dans des cases ethniques, en définissant les besoins et les droits des individus en vertu de ces cases et en utilisant ces mêmes cases pour orienter les politiques publiques. Mettre des individus dans des cases, leur coller des étiquettes, les définir non pas comme citoyens d’une nation, mais selon leur religion, leur langue maternelle, leur origine, et nous faire croire que cela mènera à une intégration. Voici le projet de société que certains tentent de nous vendre comme « tolérant, ouvert et inclusif » ! Ce modèle est un échec partout où il a été appliqué, ça ne marche pas !

Dans une société pluraliste on ne peut pas prendre le risque d’hétérogénéiser l’espace social sans craindre de créer des tensions communautaires pluriconflictuelles. Comme l’expliquait Francis Cousin, docteur en philosophie : L’hétérogénéité des populations, qui vivent à côté, ne peut jamais produire un mouvement d’ensemble de subversion sociale. C’est le nec plus ultra de la domestication capitaliste, avec des ghettos ethniques. […] Ce chaos migratoire va créer des juxtapositions, qu’on va nous présenter comme des « richesses »… oui, des richesses consommatoires de la servilité marchande. On en revient à cette richesse humaine exploitable telle que je la dénonçais dans mon article sur l’immigration économique, paru dans l’édition de mai 2016 du Patriote. Nous sommes en plein dans les dérives sociétales du néolibéralisme.

Dans une société libre et démocratique, l’assimilation culturelle des nouveaux arrivants à l’ensemble de la collectivité est une vision universelle, ouverte, réellement inclusive, souhaitable qui ne rentre pas en conflit avec le droit individuel de vivre chez soi et avec ses amis dans la diversité culturelle qui est la nôtre. Aucune liberté n’est brimée, ce ne sont pas des lois coercitives, mais l’idée de ne pas encourager et faciliter l’exclusion communautaire sous le couvert fallacieux de l’ouverture aux autres. •••