Le Canada fossile

Pour Justin Trudeau, l’implantation d’un oléoduc entre deux provinces est de « compétence fédérale » en plus d’être « d’intérêt national ». Ottawa devrait-il forcer l’implantation de Trans Mountain contre l’avis de la Colombie-Britannique ?

S’il est une question qui, ces jours-ci, sourd des sols de la Colombie-Britannique, au-delà du seul débat sur l’acceptabilité de l’oléoduc de la Kinder Morgan, c’est celle de la viabilité et de la légitimité du régime canadien tel qu’on le connaît.

Dans ce énième élan d’un néocolonialisme qui, loin d’être étranger à la nature du Canada, gît au plus creux de notre boue constitutionnelle, Ottawa entend forcer l’implantation de ce projet aux répercussions potentiellement écocides, à l’encontre de la volonté de Victoria et de plusieurs peuples autochtones.

Plus que jamais, en ce siècle de transition énergétique, il me semble que l’heure est venue, y compris pour les provinces anglophones, de se demander s’il est légitime que l’État central jouisse encore de telles prérogatives.

Face à la toute-puissance du fédéral en ces matières dites « d’intérêt national », il appert que nous, les simples mortels, nous, les humbles sujets de Sa Majesté, ne faisons pas le poids… Pour compenser un tant soit peu l’impuissance à laquelle nous astreint l’ordre institué, nous avons dû nous mobiliser comme jamais, ces dernières années. Telles des « bêtes féroces de l’espoir », nous avons pris la rue, saisi toutes les tribunes et investi tous les forums, histoire de faire ravaler aux pétrocrates qui nous gouvernent leurs diktats successifs.

Hélas, tant que le Canada existera dans sa forme actuelle, les luttes à mener pour libérer l’humanité des énergies fossiles demeureront, ici, captives d’un éternel recommencement. Toujours, les spoliateurs voudront passer, et quoi qu’on dise, quoi qu’on fasse, le passage leur restera accessible en vertu des paramètres en vigueur. Autant dire qu’avec sa Constitution, le Canada lui-même, et pas seulement son pétrole, fait figure de « fossile ».

Créé en l’an 1867 pour mieux maintenir les intérêts de l’Empire sur ce continent tout en facilitant le commerce entre les élites industrielles des différentes colonies de l’Amérique du Nord britannique, le Dominion fédéral est intrinsèquement destiné à servir des fins économiques révolues. Pour que ce modèle réussisse, il fallait, dans la logique des Pères fondateurs, un État central fort, capable d’imposer ses vues, à l’image de ce qu’avait réussi jusque-là la métropole. C’est ainsi que le fédéral eut toujours pleine latitude, jusqu’à écraser des populations entières, notamment les Métis, pour faire construire tous les ouvrages jugés « à l’avantage du Canada », sans compter que ceux-ci furent aussi largement à l’avantage de ceux qui s’y graissèrent la patte…

Avec le temps, au gré de l’apparition des nouveaux modes de transport et de communications, l’essor naturel des États fédérés s’est fait sentir. Mal à l’aise dans ce carcan, le Québec en viendra presque au point de rupture. Quant au Canada anglais, une volonté d’émancipation démocratique et économique s’y est certes affirmée, mais sans jamais transgresser la profondeur du loyalisme anglo-canadien qui, encore aujourd’hui, consacre l’autorité fédérale en tant que seul gouvernement d’appartenance nationale.

Il va sans dire qu’il faudra bien un jour que ce paradigme soit dépassé, d’abord dans l’esprit de tous ceux et celles qui, dans le ROC, rêvent d’une démocratie rapprochée, respectueuse de l’environnement, et donc affranchie des gros sabots d’Ottawa.

Autrement, n’allons pas nous bercer d’illusions ! Soit dit avec euphémisme, le Canada n’est assurément pas à la veille d’une révolution verte…

Cancre des cancres en ce domaine parmi tous les États de la planète, son modèle de développement ne va nulle part. L’exploitation du pétrole étant devenue au fil du temps le socle de l’économie canadienne, il ne faudrait pas s’imaginer que la couleur du parti au pouvoir puisse y changer quoi que ce soit. D’ailleurs, n’est-ce pas un gouvernement néo-démocrate qui, par les temps qui courent en Alberta, joue les gros bras dans le dossier Kinder Morgan ! Quant à Justin Trudeau, le moins qu’on puisse dire, c’est que les belles paroles s’en sont vite allées chez le diable…

Plus ça va et plus le fétichisme économique du Canada en faveur du pétrole, avec ses petits airs autoritaires hérités d’hier, prend l’allure d’un sombre cirque. Le pari du pétrole n’est pas gagnant. La preuve en a pourtant été faite et refaite, et elle est accablante : l’avenir de l’or noir n’est pas autrement que noir !

En cette Journée nationale des Patriotes, je ne peux m’empêcher de réaffirmer que chez nous, un Québec vert passera nécessairement par un Québec libre. Mais si j’étais britanno-colombien, je militerais assurément pour une réouverture de la Constitution dans le but d’y enchâsser ne serait-ce qu’un droit garanti au respect de l’environnement, comme cela s’est déjà fait ailleurs dans le monde. Je réclamerais quelque chose comme une souveraineté-association, comportant un nouveau partage des compétences et un renforcement majeur du statut des peuples autochtones. D’une manière ou d’une autre, pour entrevoir une suite heureuse à ce monde, il faudra tirer un trait sur 150 ans d’excès et de néocolonialisme de la part d’Ottawa.

Pour sortir des énergies fossiles,
sortons tout d’abord du Canada fossile.

 

Signature Maxime Laporte

Me Maxime Laporte
Président général, Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal

 

 

 

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