Le français en perte de vitesse au Québec

Sarah R. Champagne, Annabelle Caillou | LE DEVOIR

Entre 2011 et 2016, le pourcentage de population de langue maternelle anglaise au Québec a bondi de 9 à 9,6%.

Le français recule au Québec, tant comme langue maternelle que comme langue d’usage, selon les données du recensement 2016 de Statistique Canada. Cette tendance à la baisse, qui s’accentue à chaque recensement, divise la classe politique québécoise et inquiète les organismes pour la défense de la langue française.

 

Le recul de la langue de Molière dans la province s’est fait au profit de l’anglais comme langue d’usage — langue dans laquelle une personne se sent plus à l’aise de communiquer — en hausse de près d’un point de pourcentage depuis le dernier recensement 2011.

« C’est l’augmentation la plus importante qu’on ait connue depuis longtemps », expose Jean-Pierre Corbeil, spécialiste en chef de la section de la statistique linguistique à Statistique Canada.

En 2016, 14,4 % de la population québécoise déclarait ainsi être plus à l’aise en anglais lorsqu’elle devait choisir entre les deux langues officielles. « Il faut remonter en 1981 pour avoir une proportion comparable », souligne M. Corbeil.

14,4 %

de la population québécoise déclare être plus à l’aise en anglais qu’en français, en ce qui a trait aux deux langues officielles.

C’est aussi au Québec que l’augmentation de l’anglais comme langue d’usage a été la plus marquée parmi les provinces. « On parle d’une croissance de 102 000 personnes au Québec qui ont l’anglais comme [langue d’usage], comparativement à 149 000 pour le français », détaille le spécialiste.

Cette évolution est aussi attribuable à la progression du nombre d’immigrants qui s’installent au Québec et dont la langue maternelle est une langue « tierce », selon lui. « Une partie non négligeable de ces immigrants ne connaît que l’anglais. Ils finissent par apprendre le français et travailler en français, mais en matière de langue d’usage, c’est certain que l’anglais semble une tendance lourde. »

On parle d’une croissance de 102 000 personnes au Québec qui ont l’anglais comme première langue officielle parlée, comparée à 149 000 qui ont le français

Jean-Pierre Corbeil, spécialiste en chef de la section de la statistique linguistique à Statistique Canada

 

L’île reste stable

À Montréal, le recul du français est toutefois moins marqué que dans le reste de la province : le nombre de personnes parlant juste le français y est passé de 738 135 à 729 020 entre 2011 et 2016.

La métropole est souvent considérée comme la ville déterminante quant à l’avenir du français au Québec puisqu’elle accueille la majorité des immigrants de la province. Parmi les nouveaux arrivants, 18 % ont pour langue maternelle l’arabe et 12,9 %, l’espagnol. Or, ces deux groupes de locuteurs sont en majorité plus à l’aise avec le français lorsqu’ils doivent choisir entre les deux langues officielles.

Dans les 15 à 20 prochaines années, le français ne devrait donc pas reculer de façon importante sur l’île, croit M. Corbeil. Il fait plutôt remarquer que la situation change surtout du côté des couronnes nord et sud de Montréal. « L’anglais [comme langue d’usage] sur l’île a crû d’un peu moins de 23 000 personnes, alors qu’a l’extérieur de l’île ça a cru de presque 38 000. »

La ville de Laval a connu la plus forte croissance de la population utilisant l’anglais comme langue d’usage, passée de 14,6 % à 15,9 % entre 2011 et 2016, donne-t-il pour exemple.

Le gouvernement Couillard montré du doigt

 

Le président général de la Société Saint-Jean-Baptiste, Maxime Laporte, s’inquiète pour l’avenir du français alors que « c’est la première fois depuis 1971 que la proportion du français comme langue d’usage est passée sous le seuil de 80 %. […] Et dire que le gouvernement Couillard s’inquiétait de l’assimilation des anglophones au Québec. » « Nos dirigeants ne font rien pour changer la situation », déplore-t-il.

 

Même son de cloche du côté du député du Parti québécois Stéphane Bergeron, qui rappelle que Québec « a coupé de façon dramatique dans les services en francisation ».

« Je dis toujours : la loi 101 est là. Elle est là pour être respectée. […] On doit demeurer vigilant quant à la langue française au Québec », s’est défendu le ministre libéral Luc Fortin, rappelant que le montant d’argent alloué à la protection et à la promotion du français atteindra un « sommet historique » cette année. « Aujourd’hui, ce qui est présenté par Statistique Canada, ce n’est pas un scénario apocalyptique pour la vitalité du français au Québec. »

La députée de la Coalition avenir Québec Claire Samson estime quant à elle nécessaire de rendre la francisation des immigrants obligatoire afin d’inverser la tendance.

Il apparaît pourtant « utopique » selon le démographe Marc Termote d’obliger les immigrants à parler le français. « On ne change pas de langue comme de chemise, c’est difficile, dit-il. On ne peut pas compter sur le transfert linguistique pour changer la situation. »

De son côté, M. Corbeil se veut rassurant : « La proportion de la population qui peut parler le français, 94 %, reste stable depuis plusieurs recensements. » Le nombre de locuteurs affirmant pouvoir tenir une conversation en français est en croissance à l’échelle nationale, mais ils ne le parlent pas nécessairement comme « langue prédominante ».

 

Diversification du paysage linguistique

Au Canada, le taux de bilinguisme français-anglais a atteint un nouveau sommet, passant de 17,5 à 18 % entre 2011 et 2016. Le bilinguisme reste géographiquement concentré au Québec, où près de 45 % de la population parle les deux langues officielles.

Mais les autres provinces du pays rattrapent leur retard. Alors que la croissance du bilinguisme entre 2006 et 2011 était due à 90 % aux « nouveaux » bilingues de la Belle Province, leur contribution est passée à 64 % entre 2011 en 2016 de la croissance totale du bilinguisme au Canada.

Un changement attribuable au « fort engouement pour les programmes d’immersion française à l’extérieur du Québec », note M. Corbeil, précisant qu’il y a deux fois plus de jeunes âgés de 5 à 19 ans qui étaient inscrits dans ces programmes en 2016 par rapport à 2011.

Ces chiffres doivent néanmoins être considérés avec « de grosses pincettes », puisque la réponse des Canadiens à la question « Êtes-vous capable de soutenir une conversation en anglais ou en français ? » reste très subjective, d’après M. Termote.

Si le français et l’anglais demeurent des « langues de convergence », le recensement montre aussi que de plus en plus de Canadiens utilisent plus d’une langue dans une même journée. L’apport de l’immigration est incontestable : « Huit immigrants sur dix n’ont pas le français ou l’anglais comme langue maternelle », rappelle M. Corbeil. Le plurilinguisme s’affirme beaucoup dans la sphère privée, mais quant à savoir s’il se répercute sur le monde du travail, il faudra attendre l’analyse des données sur la langue de travail cet automne.

 

 

 

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