Le Québec, manufacture d’anglophones

Claude Richard  | Vigile.net | 22 décembre

Dans la myriade d’articles de magazines, de revues, de journaux, papier ou en ligne, qui nous passent sous les yeux, il y en a un de temps à autre qui nous frappe par son acuité et sa fulgurance. C’est le cas d’un article de Pierre Serré paru dans L’Action nationale de novembre dernier et intitulé Une minorité factice.

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Comment se fait-il qu’après plus de 35 ans de loi 101, qu’après le départ de centaines de milliers d’anglophones depuis 50 ans, la minorité anglophone du Québec, non seulement n’a pas rétréci, mais qu’elle est en expansion continue ? Et que le français, malgré ces puissants facteurs, perd du terrain ?

Pierre Serré (qui n’est pas le candidat à la chefferie du Parti québécois) est implacable. Après avoir démontré, chiffres à l’appui, que la minorité anglophone s’est enrichie de beaucoup plus de locuteurs qu’elle n’en a perdu depuis les années 60, il nous lance en pleine figure que notre supposée défense du français n’est que de la frime et que le recul de notre langue est dû avant tout à notre propre incurie et à notre indécision.

Le bloc anglophone original, soit celui de la minorité britannique qui s’était constituée de 1760 jusqu’aux années 1960, s’est mis à s’effriter à partir des années 1970. Il est passé de 650 000 personnes en 1971 à seulement 251 000 en 2011. Mais le total des anglophones du Québec atteignait malgré tout plus d’un million de personnes en 2011. C’est donc dire que 800 000 néo-anglophones sont venus s’ajouter à cette minorité historique anglo-britannique.

Si la « clause Canada », qui nous a été imposée par la Cour suprême, explique une partie de ces néo-anglophones (environ 16%), le reste ne s’explique pas autrement que par un laisser-aller, une négligence de notre part, se traduisant par le libre choix linguistique généralisé à l’exception de l’école primaire et secondaire. L’obligation de fréquenter l’école française pour les enfants d’immigrants nous a donné l’impression que le travail était fait et qu’on n’avait qu’à attendre les résultats salutaires. Mais ce n’était qu’une amorce qui s’est révélée un leurre.

Car l’immigration au Québec a continué d’alimenter généreusement la minorité anglophone, qui n’a aucunement souffert de la « francisation » puisque ses effectifs ont augmenté. 800 000 personnes en 40 ans, ce n’est pas rien ! Mais ce n’était pas une fatalité. Plus des trois quarts de ce groupe auraient dû joindre les francophones.

S’ils ne l’ont pas fait, c’est que la société québécoise, et singulièrement nos gouvernements successifs, s’est montrée ambivalente. D’un côté, on affirmait sa volonté de promouvoir le français, mais de l’autre, on laissait toute liberté aux institutions anglophones de maintenir et même d’augmenter leur taille en dépit de l’amenuisement du bloc anglo-britannique « aux droits protégés ».

Pourquoi a-t-on conservé le statut bilingue de dizaines de municipalités alors que le nombre d’anglophones le justifiant n’était plus suffisant ? Et surtout, dans le domaine collégial et universitaire ainsi que dans le secteur de la santé, pourquoi avoir laissé les établissements anglophones remplacer au moyen de francophones et d’allophones les anglo-britanniques qui n’étaient plus là ? McGill et Concordia comptent actuellement 85 000 étudiants, dont 7 000 seulement d’anglophones historiques. « Dans le cas des hôpitaux , seuls un ou deux devraient être administrés en anglais. Partout la surfréquentation du réseau anglais se fait au détriment du réseau français. »

Que dire aussi du comportement général de l’État québécois vis-à-vis de ses administrés ? « L’offre de services dans les deux langues à chaque citoyen et non-citoyen, aux municipalités, (…) aux entreprises et autres personnes morales, a massivement soutenu le libre choix de chacun pour tous les services publics. » C’est comme si l’État refusait de s’assumer comme francophone, souvent même contre la loi 101.

De par leur situation en Amérique du Nord, les Québécois doivent se montrer particulièrement vigilants à l’égard du français. Cette vigilance, l’État québécois l’a exercée de façon fort laxiste. À cause de son laisser-faire, cet État « s’est avéré la plus grave menace contre la pérennité du français », de conclure impitoyablement Pierre Serré.

Un coup de barre s’impose. Pierre Duchesne proposait il y a peu un régime différencié de subventions aux universités pour tenir compte des étudiants de première génération. Cette mesure aurait corrigé, quoique très partiellement, le déséquilibre entre institutions francophones et anglophones. On n’en entend plus du tout parler.

Ce silence est peu surprenant de la part du triste gouvernement Couillard. Mais pourrions-nous demander aux aspirants-chefs du Parti québécois de se pencher sur cette question du surfinancement des institutions anglophones et du laxisme de l’État en matière linguistique et de proposer une action adéquate et soutenue ?

Car ne nous faisons pas d’illusions. Au Québec, le vote suit la langue. Si c’est vrai en bonne partie pour les francophones, ce l’est presque à 100% pour les anglophones. Si la minorité anglophone avait rétréci comme il aurait été normal avec des francophones qui se seraient tenus debout après 1977, le vote fédéraliste aurait rétréci et le référendum de 1995 aurait été gagné selon toute probabilité. Si cette minorité continue de grossir en conséquence de notre passivité et de notre angélisme, le vote fédéraliste va grossir. Les indépendantistes-souverainistes ont-ils le choix de se préoccuper de la langue ou pas ?