Les élections fédérales du 2 mai 2011 et les partis « nationaux » : l’abandon du Québec

Par Pierre Serré, Ph.D. sc. politique

Parce que non défendu par les partis fédéraux « nationaux » au cours des campagnes électorales fédérales tenues depuis 1995, le thème du pacte des deux nations (le Canada français – puis le Québec – et le Canada anglais) pour expliquer les origines du Canada ne serait-il plus d’actualité ?

Il n’en est rien. Quand deux communautés politiques partagent un même territoire et même un État « national », le défi des partis politiques est d’aménager les institutions de manière à ce que les deux communautés – la minoritaire en particulier – s’y reconnaissent et s’en disent suffisamment satisfaites pour bâtir une communauté unifiée capable de s’attaquer d’un commun accord aux principaux problèmes qui les confrontent.

L’atteinte d’un tel accord entre communautés, fondé sur le dialogue et non sur la répression, représente un stade supérieur du développement démocratique. La recherche du consentement de la minorité à des structures politiques communes, le plus souvent conçues par la majorité mais incluant les adaptations institutionnelles et fiscales jugées nécessaires par la minorité, est la clé de la stabilité politique et du développement économique et social des deux partenaires.

Ainsi, lorsque les structures communes parviennent à intégrer dans l’« honneur et l’enthousiasme » les deux partenaires, elles représentent alors LE point de départ pour construire l’avenir d’une communauté authentiquement binationale. À cet égard, l’échec des démarches d’intégration n’invalide en rien la valeur de ces démarches, fondées sur le dialogue, rappelons-le, plutôt que sur la répression. À choisir entre la répression, aboutissant à l’effacement ou à l’affrontement, ou le dialogue, aboutissant à l’entente ou au divorce, il n’y a qu’une seule voie qui soit démocratique, incluant absolument l’acceptation du choix de l’indépendance de la part de la minorité.

Le Canada, ou l’échec d’une communauté authentiquement binationale

Le Canada français, puis le Québec, et le Canada anglais ont eu dès leurs débuts la tâche épuisante mais incontournable de construire une communauté binationale. Malheureusement, les institutions politiques choisies ont permis et permettent toujours la construction d’une communauté politique capable de ne refléter que la volonté de la communauté canadienne anglaise, sans inclure l’adhésion de la communauté minoritaire, le Québec.

Le Québec est soumis à un système politique injuste qui confère la totalité du pouvoir entre les mains de la communauté canadienne anglaise, par le biais d’un parti « national » habituellement majoritaire aux sièges (parfois même minoritaire aux sièges, comme l’a montré l’exemple conservateur) mais largement minoritaire aux voix. Le Canada des partis « nationaux » canadiens anglais a été, est et sera encore plus dominateur dans un avenir prévisible (compte tenu de la diminution du poids démographique du Québec) face au Québec.

Plus ou moins hostile selon les périodes et selon les partis, le Canada anglais pratique ouvertement l’exclusion. Ce dernier a gouverné d’abord pour lui-même, combattu les revendications du Québec par une répression démocratique plutôt que par la mise en place de gouvernements de coalition reposant sur une majorité des suffrages et reflétant une véritable entente binationale.

Cette répression démocratique, enracinée dans le nombre et le partage constitutionnel des pouvoirs et des ressources, s’est manifestée par le rejet des revendications québécoises devant les desideratas des partis « nationaux » et par l’inclusion de quelques Québécois soigneusement choisis pour leur ultranationalisme canadien. Cooptés au sein des partis « nationaux », ces Québécois ont été incapables de défendre le Québec et ont dû se replier sur la défense de leurs intérêts individuels.

Le régime ainsi mis en place depuis 1837-1938, force est de le constater, a bien servi le caractère anglais du Canada partout sur son territoire, produisant au mieux l’adoucissement de la volonté de domination de la majorité canadienne anglaise (telles les tentatives – cependant ratées – d’intégration nationale des Accords du Lac Meech en 1990 et de Charlottetown en 1992), et au pire la légitimation d’entorses démocratiques commises à l’encontre de la minorité (tel l’appui de 73 des 74 députés libéraux fédéraux au rapatriement de la Constitution de 1982, au mépris de la parole donnée par le premier ministre Pierre Elliott Trudeau lors de la campagne référendaire de 1980).

Si le Québec français a réussi à traverser les époques, il demeure néanmoins plus menacé que jamais en raison des contraintes nouvelles imposées par les gouvernements libéraux successifs depuis Pierre Elliott Trudeau jusqu’aux gouvernements conservateurs de Stephen Harper, et de celles découlant de la mondialisation. Son besoin d’assurer sa sécurité nationale et identitaire est demeuré aussi juste et aussi vigoureux qu’à l’époque de la fondation du Canada. Le Québec d’aujourd’hui cherche encore plus que jamais sa place au soleil, que ce soit hors du Canada ou au sein de celui-ci.

L’abandon des fédéralistes québécois

Depuis les échecs des Accords du Lac Meech et de Charlottetown, le Canada des partis « nationaux » n’offre plus la possibilité d’un pacte entre fédéralistes québécois et fédéralistes canadiens anglais. Le ressac contre le Québec est tel que les partis « nationaux » sont incapables d’accepter des coalitions binationales susceptibles d’assurer une place mutuellement satisfaisantes aux deux partenaires. L’un dicte, l’autre obéit. Le Canada est à prendre tel quel, pas à laisser, ainsi que le conçoit la Loi sur la Clarté référendaire.

Avec l’émergence du Bloc québécois, la situation a dorénavant le mérite d’être claire. Auparavant délaissée par les souverainistes, la scène fédérale était le terrain de jeu d’ultranationalistes québécois qui rivalisaient entre eux pour livrer le Québec aux constructeurs d’un Canada nationalement unifié. Depuis 1993, le Bloc québécois ne fait que rappeler l’échec des partis « nationaux » dans l’unification du pays.

Il est malheureux que les fédéralistes québécois n’aient jamais considéré une autre voie politique que celui de travailler à l’intérieur de l’un ou de l’autre des partis « nationaux » pour faire avancer les intérêts du Québec. Il eut été plutôt souhaitable qu’ils se battent de manière autonome et qu’ils proposent aux citoyens québécois leur vision d’un Canada fondé sur l’adhésion libre et enthousiaste du Québec au sein d’un Canada binational.

La pertinence du Bloc québécois

Même si les institutions fédérales actuelles gênent, voire bloquent l’émergence de tels arrangements politiques, un blocage qui génère une culture politiquement dominatrice envers le Québec, le ralliement des fédéralistes québécois autour d’un parti fédéraliste québécois qui aurait été incontournable dans la constitution des gouvernements fédéraux aurait pu servir de base à l’établissement de gouvernements de coalition véritablement binationaux. Qui plus est, cette option d’un Canada binational aurait pu battre durablement le Bloc québécois sur le terrain de la défense des intérêts du Québec.

Ne pas évoquer cette obligation pour les fédéralistes québécois témoigne de l’intoxication culturelle des Québécois. Tant que la relation Québec-Canada restera fondée sur la domination et que les fédéralistes québécois se satisferont de l’abandon du Québec, un vote pour le Bloc québécois sera pertinent.