Les francophones privés « d’apprendre » l’anglais? – Un mythe

Josée Legault | Journal de Montréal

 

C’est vraiment une très, très mauvaise idée.

Dans le but de solidifier son vote de confiance qui aura lieu ce samedi au congrès du Parti québécois, son chef Jean-François Lisée tente d’amadouer certains militants qui, sur la question linguistique, s’inquiètent avec raison du recul de la langue française.

Comme le rapportait Le Devoir,  pour les convaincre, l’«idée» serait donc de «réduire progressivement le financement» des cégeps anglophones.

En d’autres termes, au lieu d’étendre l’application de la Loi 101 aux cégeps anglophones – ce à quoi le chef péquiste est fermement opposé -, il leur fermerait peu à peu la valve des fonds publics dans le but à terme de limiter les inscriptions à ces cégeps aux membres de la communauté anglophone historique.

Le nombre de francophones et d’allophones qui s’inscrivent à un cégep anglophone étant en nette progression depuis au moins 20 ans, l’objectif, pour le dire crûment, serait surtout de cesser de subventionner l’anglicisation des allophones.

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Être clair

Maintenant, on peut être pour ou contre l’application de la Loi 101 aux cégeps anglophones. Encore faut-il être super clair sur le sujet. D’autant plus quand on dirige un parti politique.

Au PQ, plusieurs militants y sont favorables, mais leur chef, trouvant le sujet trop «divisif» – et craignant de perdre encore plus d’appuis chez les électeurs francophones qui y sont opposés -, ne l’est pas.

Ce genre de marchandage pré-congrès risque surtout d’accoucher d’une proposition soi-disant de «compromis» visant à limiter le financement des cégeps anglophones. Ce qui serait tout sauf clair.

Inapplicable dans les faits, son principal défaut est de refuser de fonctionner à visière levée. Ou le PQ propose d’étendre la loi 101 aux cégeps anglophones ou il s’y oppose. Point.

En continuant de refuser d’étendre la loi 101 aux cégeps anglophones, M. Lisée approuve dans les faits le «libre choix» de la langue d’enseignement au niveau collégial.

Et puisqu’il l’approuve, à tort ou à raison, il doit aussi en assumer le prix.

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Le prix du libre choix

Le prix à payer pour le «libre choix» de la langue d’enseignement au cégep est en effet de voir de plus en plus de francophones et d’allophones délaisser les cégeps francophones pour des institutions anglophones.  Car qui dit «libre choix» dit liberté de choisir.

Lorsque M. Lisée décrit maintenant les cégeps anglophones comme un «bar ouvert extensible», ils le sont précisément parce qu’il y a «libre choix» de la langue d’enseignement à ce niveau. Un libre choix qu’il appuie par ailleurs.

Avant l’adoption de la loi 101 en 1977, le «libre choix» de la langue d’enseignement existait aussi aux niveaux primaire et secondaire. Résultat : au fil des ans, 85% des enfants d’immigrants choisissaient l’école anglaise.

La seule manière de briser cette tendance lourde à visière levée était de mettre fin au libre choix au primaire et au secondaire pour les francophones et les nouveaux arrivants.

Chercher dorénavant à contourner le «libre choix» qui existe encore au niveau collégial en proposant de vider une partie des budgets des cégeps anglophones est contraire à la «logique» du «libre choix».

Bref, en appuyant depuis longtemps le libre choix de la langue d’enseignement au niveau collégial, le chef du Parti québécois doit être cohérent et conséquent avec lui-même. Il ne peut pas réduire l’accès aux cégeps anglophones de manière contournée.

Ou il le fait clairement en appuyant dorénavant l’application de la Loi 101 aux cégeps anglophones. Ou, vote de confiance ou pas, il accepte de boire le calice du «libre choix» jusqu’à la lie.

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La très grande irresponsabilité de M. Couillard

Philippe Couillard s’est également fort mal sorti la tête de l’eau sur le même sujet.

En réaction aux militants du PQ favorables à l’application de la loi 101 aux cégeps anglophones, le premier ministre s’est exclamé : «pas question !».

Va pour la clarté de la position. C’est dans ses propos suivants que ça s’est gâché.

«La plupart des parents francophones du Québec, et je le sais pour leur avoir parlé dans toutes les régions du Québec, ils aimeraient bien, en fait, pouvoir donner l’occasion à leurs enfants, au niveau collégial, de faire un peu de scolarité pour devenir bilingues».

En mêlée de presse, il a même ajouté ceci : «La possibilité d’étudier en langue anglaise, c’est un avantage

Primo – et le premier ministre est loin d’être le seul à faire cette grave erreur d’analyse -, le libre choix de la langue d’enseignement au niveau collégial a aussi pour effet potentiel d’angliciser à terme une partie des mêmes Québécois allophones que la loi 101 a cherché à franciser en leur imposant l’école primaire et secondaire en français.

Deuxio, par ses paroles imprudentes, le premier ministre encourage carrément les allophones et les francophones à délaisser les cégeps francophones, même temporairement, pour s’inscrire dans un cégep anglophone.

Pour le chef du gouvernement du seul État francophone d’Amérique, c’est d’une irresponsabilité sans nom.

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Le mythe des francophones unilingues

Cette obsession d’étudier en anglais au cégep découle d’une seule chose : le mythe, tenace, des francophones supposément unilingues. De plus en plus minoritaires au Canada, les Québécois de langue française, toutes origines confondues, seraient donc désavantagés par leur présumé unilinguisme.

L’enseignement de l’anglais dans les écoles françaises étant aussi supposément déficient, pour apprendre la lingua franca du continent, les francophones n’auraient donc d’autres choix que d’étudier en anglais dans un cégep ou une université anglophone.

Beau mythe, en effet.

Le problème est que ce n’est pas vrai.

Comme je le notais ici :

«Aujourd’hui, c’est au Québec, en Ontario et au Nouveau-Brunswick que 86% de la population bilingue du pays réside. Le taux élevé de bilinguisme chez les francophones minoritaires (et majoritaires au Québec) y est évidemment pour beaucoup. Tout comme celui des Anglo-Québécois – leur taux de bilinguisme était de 67,8% en 2011 -, ce qui veut dire que même 35 ans après l’adoption de la Loi 101, près d’un Anglo-Québécois sur trois ne peut toujours pas soutenir une conversation en français.

Comparativement, le taux de bilinguisme chez les francophones hors Québec est de 87%.

Récapitulons:

– pendant que le français recule de manière générale dans la grande région de Montréal et sur l’Île, le bilinguisme chez les jeunes Anglo-Québécois demeure élevé, mais a néanmoins diminué de 3 points depuis 2001;

–  la connaissance de l’anglais chez les francophones, quant à elle, continue de progresser. Leur taux global de bilinguisme, toutes régions et toutes tranches d’âge confondues, frôlant les 40%;

– chez les immigrants, ils sont même 51% à dire connaître le français et l’anglais.

C’est toutefois entre 20 et 30 ans que la connaissance de l’anglais chez les francophones atteint des sommets. Statistique Canada note même que cette connaissance se maintient dans les années subséquentes.

Comme le rappellele mathématicien Charles Castonguay :

«(…) parmi les 20-29 ans au Québec en 2011, 78% des anglophones se déclaraient bilingues, comparé à 57% des francophones. Dans la région de Montréal, l’écart se rétrécit encore plus, à 80 et 70% respectivement. Dans l’île, c’est 78 et 79%.

Ces jeunes francophones montréalais seraient donc rendus un tantinet plus bilingues que les anglophones – dont on chante sur tous les toits le degré de bilinguisme! Ils n’ont pourtant reçu ni l’anglais dès la première année ni l’anglais exclusif. L’enseignement normal de l’anglais paraît avoir fonctionné assez bien merci.»

En entrevue, M Castonguay rappelle également ceci:

«En 2001, le taux de bilinguisme chez les jeunes adultes anglophones âgés de 20-29 ans au Québec était de 81%. Autrement dit, dans ce groupe d’âge aussi, on constate une recul de 3 points de pourcentage dans le bilinguisme des jeunes adultes anglo-québécois entre 2001 et 2011. Bref, le recul du bilinguisme que l’on constate chez les jeunes anglophones dans le ROC se retrouve aussi au Québec. À un moindre degré, bien évidemment, mais compte tenu du statut – du moins théorique – du français au Québec, ce recul n’en est pas moins remarquable».

Bref, lorsqu’on vous entendrez dire qu’au Québec, on «prive» les francophones d’«apprendre» l’anglais, vous saurez que c’est une véritable légende urbaine entretenue parfois par ignorance et parfois, à des fins politiques.»