Les pissous

Michel David  |  LeDevoir

S’il semble de plus en plus difficile d’imposer le français comme « la langue normale et habituelle du travail » dans le secteur privé, on était au moins en droit d’espérer qu’elle soit indiscutablement celle de l’État québécois.

Depuis 40 ans, tous les gouvernements, peu importe le parti dont ils étaient issus, ont pourtant contrevenu de façon systématique à l’esprit de l’article 16 de la Charte de la langue française, qui leur faisait obligation d’utiliser le français dans leurs communications avec les entreprises établies au Québec.

En 2002, le gouvernement Landry avait inclus dans la loi 104 sur les écoles-passerelles, qui a été adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale, un article précisant que ces communications devaient se faire « uniquement » en français, mais il a omis de le mettre en vigueur et il resté sur la tablette.

Cette semaine, une coalition réunissant le PQ, Québec solidaire, le Bloc québécois, ainsi que des syndicats représentant les employés de l’État et des groupes voués à la défense du français s’est jointe à la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal, qui a intenté une poursuite contre le gouvernement Couillard pour le forcer à mettre cet article en vigueur. La CAQ n’a pas rejoint la coalition, mais le rapport de la députée d’Iberville, Claire Samson, qui lui tient lieu de politique linguistique, va dans le même sens.

Encore une fois, le PLQ fait cavalier seul. La ministre responsable de la Charte de la langue française, Marie Montpetit, n’avait donné aucune suite à la mise en demeure que la SSJB lui avait adressée l’automne dernier, et la perspective d’une poursuite ne l’a manifestement pas émue davantage.

Le président du Syndicat de la fonction publique et parapublique du Québec (SFPPQ), Christian Daigle, a dénoncé l’approche « service à la clientèle » qui permet non seulement aux entreprises de communiquer avec l’État dans la langue de leur choix, mais qui s’applique aussi aux communications avec les individus, particulièrement les nouveaux arrivants.

Le phénomène n’est pas nouveau. Une étude du Conseil supérieur de la langue française datée de 2010 évaluait déjà qu’à peine 44 % des interactions avec les allophones se faisaient en français. Le pourcentage tombait à 36 % dans le cas des interactions au moyen d’un formulaire. Le nombre de plus en plus élevé d’immigrants qui ne connaissent pas le français à leur arrivée ne peut que faire encore baisser cette proportion.

Personne ne conteste le droit historique de la communauté anglophone de souche de recevoir des services dans sa langue, mais un des grands objectifs de la loi 101 était de faire en sorte que les immigrants n’y soient plus systématiquement associés.

Pourtant, les nouveaux arrivants se voient toujours attribuer un « code » qui détermine la langue, généralement l’anglais, dans laquelle les divers organismes publics communiqueront avec lui sa vie durant. Cela nécessite que les employés de l’État soient de plus en plus bilingues.

La loi 101 stipule que « pour être nommé, muté ou être promu à une fonction dans l’Administration, il faut avoir de la langue officielle une connaissance appropriée à cette fonction », mais l’article 20 du « Règlement concernant le processus de qualification » dans la fonction publique ajoute : « La connaissance d’une langue autre que le français peut toutefois être un critère d’évaluation éliminatoire. »

Les conventions collectives des employés de l’État définis comme « fonctionnaires » ou comme « ouvriers », de même que celle des employés de l’Agence de revenu du Québec, prévoient que « l’employé doit utiliser la ou les autres langues qu’il connaît aux fins de communication externe selon les besoins du service et conformément aux lois ».

L’actuel président du SFPPQ en a fait personnellement l’expérience quand il était agent de réclamation à l’aide sociale. Puisqu’il était bilingue, M. Daigle avait été affecté à une clientèle allophone et travaillait uniquement en anglais.

Cette situation est connue de tous les gouvernements, qui répètent comme une litanie que la situation fragile du français requiert la plus grande vigilance sans jamais passer de la parole aux actes. Pas plus les péquistes que les libéraux n’ont voulu s’imposer l’obligation de communiquer « uniquement » en français avec les entreprises établies au Québec. Et ce ne sont pas les syndicats qui ont réclamé que les conventions collectives imposent aux fonctionnaires de travailler en anglais quand ils en ont la capacité.

L’exemplarité de l’État est une condition essentielle à la sauvegarde du français. Actuellement, il donne plutôt l’exemple du bilinguisme. « On a des gouvernements pissous », a lancé la députée de Sainte-Marie–Saint-Jacques, Manon Massé. Il y a plus de deux siècles que Joseph de Maistre a énoncé son célèbre axiome : « Toute nation a le gouvernement qu’elle mérite. » Certaines choses ne changent pas.

 

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