Lettre imaginaire du curé Labelle, bâtisseur et visionnaire

LE PATRIOTE | MQF

  Cet automne, le Mouvement Québec français des Laurentides organisait un concours de création littéraire.   Il s’agissait d’imaginer, en cette année où l’on commémore les 125 ans de la mort de ce personnage historique qu’était le curé Labelle, ce que le célèbre curé aurait écrit comme lettre à ses concitoyens à la veille de sa mort pour leur transmettre ses ambitions et ses inquiétudes concernant l’avenir du Québec.   Les textes devaient être écrits par des résidents des Laurentides et soumis avant le 20 octobre. C’est un résident de Lorraine, Michel Séguin, qui remporta la palme.   Voici son texte :  

 

Québec, décembre 1890
 
À tous les enfants que j’ai baptisés et à tous leurs descendants.
 
Ces derniers jours ont été difficiles puisque je viens de remettre ma démission comme sous-ministre. La santé, qui m’a toujours accompagné dans mes projets, commence à montrer des signes de fatigue et je sens que je ne pourrai plus visiter mes chers colons et leur famille.

Mon fidèle collaborateur Arthur Buies aurait su, mieux que moi, mettre en mots les sentiments qui m’animent aujourd’hui; toutefois je tiens à le faire moi-même, et ce malgré l’avis contraire de certains de mes supérieurs immédiats.

Sachez l’admiration sans bornes que je porte à tous ces colons qui ont travaillé tellement fort pour s’établir dans cette contrée, pour défricher une terre rocailleuse, et pour ouvrir une brèche dans la forêt qui nous entoure. Ce sont de vrais héros et ils méritent qu’on se souvienne d’eux en continuant le développement de notre région pour que leurs efforts ne tombent pas dans l’oubli.

Certains m’ont baptisé « Le roi du nord » et il est vrai que notre région est un grand royaume : riche en matières premières, pourvu en ressources naturelles, maintenant peuplé de belles familles canadiennes-françaises… mais je crois que le souverain ainsi nommé n’est autre que le sang royal qui circulera jusque dans vos veines, vous les descendants des premiers colonisateurs.

Pour occuper ce territoire, le bel héritage que vous laisseront mes colons se veut d’abord, une langue française belle comme une journée d’été, une volonté forte comme le chêne et enfin une foi aussi solide que le roc. Nous avons réussi là où d’autres nous annonçaient l’échec : à preuve notre chemin de fer enfin rendu à Saint- Jérôme, les nouveaux ateliers et de bonnes industries. À vous de les exploiter et d’en inventer d’autres.

Nous avons vécu de belles histoires dans les « pays d’en haut », il faudra bien qu’un jour quelqu’un les raconte.

Dans le même ordre d’idée, je souhaite vraiment que l’exode malheureux de nos familles vers les États-Unis soit enrayé par vos générations fières et populeuses; car c’est ici notre pays, du moins le pensait ma mère adorée.

Je sais que l’énergie que j’ai mise au travail pour développer notre belle région saura se rendre jusqu’à vous, telle la sève d’un érable qui, à partir de ses racines, accède aux plus lointains rameaux pour y nourrir les nouveaux bourgeons. Ce sera à vous, amis présents et futurs, de favoriser l’entraide entre vos familles pour ainsi décupler la force démographique de notre présence au Canada.

Je n’ai pas de regrets; j’aurais bien sûr aimé que l’Église m’appuie encore plus dans mes démarches pour répandre le catholicisme canadien-français en Outaouais, mais il faut reconnaître que mon projet ne pouvait se réaliser sans une économie plus solide. J’aurai au moins permis à plusieurs familles de s’y établir.

Enfin, soyez assurés que si vous parvenez à mener une vie heureuse et fructueuse ici, nos efforts n’auront pas été vains.

Bien à vous,
Antoine Labelle, ptre