Louis Cyr, notre contemporain

Chronique de Christian Rioux, dans le Devoir du 26 juillet 2013

Il y a deux ans, Paul McCartney avait chanté au stade de Bercy à Paris. Je ne me souviens pas d’en avoir entendu parler. Pas plus qu’en 2009 d’ailleurs. […] Rien à voir avec les pleines pages que viennent de nous servir une fois de plus les médias québécois. […] Cette avalanche médiatique a quelque chose d’insolite. Le Québec n’est pas le Yukon ni une province du Niger. Les grandes vedettes du show-business anglo-américain sont toute passées chez nous et y repassent régulièrement. Alors, pourquoi cet émoi ? Probablement parce qu’une partie de notre classe médiatique prend le Québec pour le Yukon ou une province du Niger. Comme si le grand homme nous faisait la charité de venir saluer les pauvres provinciaux que nous sommes. Comme s’il fallait le remercier à genoux de s’être abaissé à prononcer trois mots dans la langue des autochtones. Une langue que les lords britanniques ont pourtant toujours parlée couramment. LouisCyr

Cet événement participe de l’ambiance actuelle du Québec. Que nous sommes loin, tellement loin, de cette époque où les Dufresne, Vigneault et Charlebois tenaient la dragée haute à tous les McCartney de ce monde! Comme si nous avions remonté le temps pour nous réveiller à l’époque de… Louis Cyr. […]

Toutes proportions gardées, l’époque actuelle a quelques points communs avec celle de Louis Cyr. Contrairement à la Constitution de 1867, adoptée de justesse, celle de 1982 nous a été carrément imposée. Elle a notamment permis de décapiter la loi 101. Par voie de conséquence, les deux grands courants politiques qui avaient porté le Québec pendant un demi-siècle se sont effondrés. Le « fédéralisme renouvelé » est mort et enterré alors que la souveraineté a essuyé deux échecs cuisants. Tout cela alors que la mondialisation, si elle n’engendre pas la misère de l’époque de Louis Cyr, fait du Québec une simple feuille au vent.

Comment s’étonner que les Québécois aient besoin de se réconforter en renouant avec leurs héros populaires ? Louis Cyr est l’un de ceux-là, même si une partie de nos élites le trouve terriblement folklorique et affreusement ringard. Le peuple, lui, ne s’y trompe pas. Il sent implicitement que nous traversons des temps difficiles et que nous aurions besoin de plus de Louis Cyr. De gens qui, à défaut de remporter la victoire définitive, acceptent au moins de nous défendre. […]

Dans un registre plus populaire, Louis Cyr rejoint cette nouvelle cinématographie québécoise où l’on trouve des films comme Camion, Laurentie et l’oeuvre de Bernard Émond. Chacun à leur façon, ces cinéastes tentent de mesurer la profondeur de la crise et de renouer avec ce que nous sommes. Malgré leur côté parfois noir et déprimant, ces oeuvres lucides et courageuses sont une véritable promesse.