Nicole Boudreau

Nicole Boudreau
Nicole Boudreau

Dans cette série d’articles portant sur les anciens présidents, il me semble plus simple de traiter des figures anciennes et depuis longtemps disparues que des personnes vivantes et toujours actives. Ces dernières pourraient nous reprocher des choses, nous accuser d’être à côté de nos pompes, d’avoir omis l’essentiel, etc. Bien que sachant cela, je tenais quand même à faire porter ce texte sur Nicole Boudreau, qui fut présidente de notre Société de 1986 à 1989. D’abord parce qu’elle est une femme et que les femmes n’ont pas été légion à la barre de notre organisation. En fait, madame Boudreau fut la seule femme jusqu’à présent… et cela mérite bien d’être souligné à la veille de notre 175e anniversaire.

La vraie raison qui m’amène toutefois à aborder la présidence de madame Boudreau, c’est que les défis de son « règne » sont plus que jamais actuels, si bien que, vingt ans plus tard, les propos qu’elle a tenus à l’époque sont toujours d’actualité et peuvent même nous inspirer dans notre action au service de la nation.

Madame Boudreau est la première à reconnaître que les années 1986 à 1989 furent à la fois exaltantes et effervescentes, une période qui vous marque à jamais. L’événement-phare de son mandat fut sans contredit la marche pour le français du 17 avril 1988. Ce dimanche-là, à 1 heure 01 minute (les plus perspicaces auront remarqué le côté symbolique des chiffres), près de 30 000 personnes défilèrent dans les rues de Montréal, à l’appel de la SSJB et du Mouvement national des Québécois. Une foule immense mobilisée pour le « droit de vivre en français ». Un tel rassemblement sur la question linguistique, cela ne s’était jamais vu au Québec.

Le cortège, qui n’avait rien de funèbre, s’ébranlait sur 3,5 kilomètres et était formé de gens de tous âges scandant « Québec français ! » et « Montréal français ! ». Les participants tenaient des milliers de ballons de toutes les couleurs avec pour seule mention les chiffres « 101 »… qui disaient tout ! Des membres du Parti québécois, du NPD-Québec, de toutes les centrales syndicales, des cégépiens et des élèves du secondaire… une marée humaine criait à qui voulait l’entendre que le Québec se tenait debout pour défendre sa langue. La foule était bigarrée à souhait : jeunes, vieux, hommes, femmes, des néo-Québécois aussi, fiers de partager la même langue. Et les artistes ne manquaient pas à l’appel non plus, comme le grand Gilles Vigneault, Raymond Lévesque, Gérard Poirier, Luce Guilbault… Des écrivains aussi, comme Yves Beauchemin, Gaston Miron, Michel Tremblay, Michèle Lalonde, VLB, Marie Laberge, Pierre Vadeboncoeur, Pierre Perreault… Et pas un leader syndical qui ne réponde absent, sans oublier les hommes politiques comme Jacques Parizeau et Camille Laurin.

Les journaux rapportèrent que l’héroïne de cette manifestation – la plus grande à avoir jamais été tenue au Québec sur cette question – était  nulle autre que Nicole Boudreau. Quel moment émouvant ce devait être d’entendre à la fin du défilé le docteur Laurin confier à la foule : Cette Loi 101 doit être améliorée. Nous n’avons fait que la moitié du chemin. Il faudra aller jusqu’au bout ! Vers 16 heures, on lut à la foule le télégramme que Félix Leclerc avait fait parvenir aux organisateurs : L’étudiante de 17 ans est partie à l’épouvante quand on lui a dit que la langue française était dehors, dans un panier d’ordures, mourait de froid et de faim. Elle l’a emportée, soignée, guérie et sauvée. Existe-t-il de plus belles paroles d’espoir que celles-là ?

Cette mobilisation était en soi tout un exploit et, forcément, avait nécessité beaucoup de travail, notamment pour soulever l’enthousiasme des jeunes. À un journaliste de Vie ouvrière, Nicole Boudreau déclarera plus tard : J’ai participé à beaucoup de panels où l’on parlait du manque de relève, de l’apathie de la jeunesse. J’étais toujours furieuse en entendant cela. Depuis 1980 (NDLR : année du premier référendum), de quoi les jeunes auraient-ils pu s’inspirer ? Où étionsnous tous, nous qui avions confortablement et absolument passivement intégré l’ère du confort et de l’indifférence ? Nous étions terrés dans nos maisons de banlieue à mesurer si notre gazon était aussi vert que celui du voisin. Devant cet apolitisme des jeunes, Nicole Boudreau profite des occasions qu’elle a d’aller les rencontrer dans les cégeps pour leur parler de notre situation en Amérique du Nord, leur dire qu’on est 2 % de la population nord-américaine. L’image qui nous représente et qu’on doit toujours conserver, c’est celle du carré de sucre à côté d’un gallon de café.

Réaliste, Nicole Boudreau sait par contre que la prise de conscience populaire doit s’exprimer au quotidien et non pas seulement dans les manifestations ponctuelles. Quand on jette un leur pertinence encore aujourd’hui, notamment sur la question de l’immigration et de la francisation des milieux de travail : Une langue qui ne serait pas utile et nécessaire pour travailler, communiquer, transiger, enseigner et même pour chanter sera-t-elle une langue qu’adopteront les nouveaux venus ? Et plus loin : Nous ne pouvons pas demander aux autres de nous manifester plus de respect que celui que nous nous portons à nous-mêmes. Déjà, madame Boudreau demande le recours à des mesures coercitives pour assurer la francisation des entreprises et pas seulement de simples mesures incitatives et des campagnes publicitaires. Elle suggère aussi que les budgets de francisation augmentent au même rythme que le nombre d’immigrants, nous assurant ainsi d’une intégration harmonieuse plutôt qu’une ghettoïsation des nouveaux immigrants. N’estce pas là des propos actuels et toujours valides en 2008

Madame Boudreau était (et sûrement le demeure) une battante. C’est bien connu que les femmes en politique n’ont pas toujours la partie facile et qu’elles doivent avoir la couenne dure. Mais peut-être fallait-il aussi une femme pour tenir tête à l’organisme anglophone Alliance Québec. Déjà que certains adversaires dans la presse ne nous ménageaient pas, pas plus d’ailleurs Lysiane Gagnon pour ne pas les nommer. C’est ainsi que dans La Presse du 5 novembre 1988, une journaliste jeta tout son fiel et dit le plus grand mal qu’elle pensait de la SSJB, en utilisant les expressions éculées qu’affectionnent tant ceux qui nous détestent, parlant ainsi de notre « réflexe nationaleux », de notre nationalisme « grincheux », décrivant la SSJB comme nostalgique du passé, rongée par son complexe de persécution et se complaisant dans la victimisation. La même journaliste va jusqu’à écrire que la SSJB devrait cesser d’exploiter à son avantage nos craintes séculaires face à l’assimilation pour se concentrer sur ce qui se passe vraiment et que le spectre de l’assimilation que brandit la SSJB est surfait. Ah vraiment ?

Vingt ans plus tard, ces propos, en regard de ce que les statistiques nous apprennent, auraient de quoi nous faire rire, si la situation du français n’était pas si alarmante. Si le spectre de l’assimilation – assimilation d’ailleurs séculaire, qui a toutes les allures d’un ethnocide – est surfait, alors comment expliquer que des citoyens sentent le besoin, voire l’urgence, de se rassembler dans des organismes comme Impératif français et le Mouvement Montréal français ? Non, la bataille pour la pérennité du français n’est toujours pas gagnée.

Au lendemain de l’incendie du siège social d’Alliance Québec, le 30 décembre 1988, son président, Royal Orr, reprochait aux leaders de la communauté francophone de ne pas vouloir s’asseoir avec son organisation pour discuter. Il laissait même entendre à propos de cet incendie que celui qui ne dit mot consent. Bref, le message était malicieux et sous-entendait qu’un organisme comme la SSJB était de mauvaise foi. Plutôt que de s’esquiver et de laisser ainsi la voie libre à l’organisme anglophone pour qu’il s’attire la sympathie des francophones et en même temps ne les culpabilise, Nicole Boudreau décida de le confronter et d’entamer le dialogue. Bien entendu, cette stratégie souleva, disons, quelques vagues au sein de notre Société, mais bon, on ne fait pas d’omelette sans casser des oeufs.

C’est que madame Boudreau avait bien sa petite idée en tête : Si Alliance Québec veut dialoguer