Notre État contre nous-mêmes

Éditorial de L’Action nationale mise en ligne le 26 novembre 2009.

Le jugement de la Cour suprême du Canada invalidant la loi 104 – une loi votée à l’unanimité par notre Assemblée nationale pour mettre fin aux stratagèmes de contournement de la loi 101 – n’aura pas fait beaucoup de bruit. Quelques déclarations ici et là, une décevante prestation du Bloc québécois, pourtant aux premières loges pour lancer la charge, mais rien de substantiel, comme si la résignation avait déjà pavé la voie à ce tribunal étranger. Il aura fallu l’action de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal pour que les choses commencent à prendre forme.

La soirée du 16 novembre dernier a constitué le premier véritable moment de mobilisation alors qu’une quinzaine de groupes et organisations ont répondu à l’appel de Mario Beaulieu et de la SSJBM. Fait marquant de la soirée, l’engagement clair et ferme des trois principales centrales syndicales à mener la bataille. Les quelque six cents personnes qui ont assisté à l’événement ont pu sentir une ferveur qui ne s’était guère manifestée de telle sorte depuis longtemps. Une détermination et une volonté d’en découdre avec les forces hostiles au français y sont apparues sous un jour prometteur. Il est désormais pensable de voir la société civile se mettre en marche. La mobilisation, autour de cet acte usurpateur, dépassera, et de loin, les seuls aspects juridiques requis pour bricoler une réponse acceptable aux yeux de l’ordre juridique canadian illégitime. Il ne s’agira pas seulement de réclamer une parade, cela sera l’occasion de reprendre la lutte pour instaurer un ordre français dans notre vie nationale.

Ce jugement aura – il a déjà – l’effet d’un catalyseur : il va faciliter la cristallisation de toutes les inquiétudes montantes au sujet de la détérioration de la place et du statut du français. Une nouvelle définition de la situation commence à prendre forme et à servir de référence commune à un nombre grandissant d’acteurs du combat national. Des acteurs de la société civile, pour l’essentiel. Car les partis politiques en cette matière comme en bien d’autres ne sont plus en phase avec le mouvement national. Leurs discours et les positions qu’ils tiennent traduisent un inquiétant décalage : ils ne saisissent guère la nouvelle donne linguistique. Comme des généraux devisant sur la ligne Maginot, les partis souverainistes s’entêtent à lire la situation avec une grille d’analyse périmée. Le monde a changé et les pressions qui s’exercent sur le français dans le Canada post-référendaire et surtout dans un ordre provincial inconditionnellement consentant à la minorisation de notre peuple ont radicalement changé les données du problème et, du coup, l’espace des solutions qui s’imposent.

Ces partis politiques déphasés finiront bien par rejoindre le courant des forces vives, mais, à l’évidence, ils devront d’abord prendre acte du nouvel ordre des choses que ce jugement révèle bien davantage qu’il n’inaugure. Le Canada n’a jamais accepté la volonté du Québec de faire du français la langue commune et normale de sa vie nationale. L’establishment anglo-montréalais et une partie importante des communautés anglicisées non plus. L’État canadian et ceux qui le servent ici n’ont eu de cesse de financer à même nos impôts le travail de sape de l’ordre linguistique, cela, c’est connu. De jugements en contestations, la loi 101 a été totalement dénaturée et rendue inoffensive. Au fur et à mesure que le temps passait, le régime linguistique antérieur se réinsérait dans l’ordre social, y induisant une logique institutionnelle qui s’est fort bien accommodée des changements démographiques et des pressions fédérales (guerre de propagande culpabilisatrice sur l’ouverture au monde, sur le nécessaire bilinguisme, etc.) et de l’action constante des lobbys anglophones pour multiplier les brèches dans l’ensemble des institutions québécoises.

Le tort des politiciens provinciaux souverainistes aura été de s’accommoder de chacune des agressions qu’on a fait subir à la loi 101 au nom d’un ordre constitutionnel illégitime en s’acharnant à essayer de minimiser les pertes et, du coup, en cautionnant chacun des reculs par un consentement tacite à cette constitution dont ils se gaussaient pourtant n’avoir jamais vu notre Assemblée nationale la signer. Ils se sont coulés dans la gouverne provinciale renonçant à réorganiser les rapports majorité/minorité comme l’exigeait l’économie générale de la Charte de la langue française. De recul en recul, la restriction mentale a fini par primer tout le reste. Tripotage des données, manipulations des rapports, concepts fumeux, génuflexions devant les puissances anglos et peur démissionnaire de faire la chicane, l’esprit du Centaur aura fini d’atrophier la pensée des professionnels de la politique souverainiste, les amenant à dresser un état de situation qui aura laissé libéraux fort aise de continuer la besogne. La peur pleutre aura pavé la voie au consentement hypocrite.

Les libéraux au pouvoir n’ont pas manqué de s’en trouver réjouis de n’avoir qu’à laisser aller les choses pour que l’ordre ancien regagne le terrain. La pensée démissionnaire a vite fait de se draper dans les oripeaux du bilinguisme et, de l’administration publique aux institutions d’enseignement, des services de santé aux messages d’accueil, l’esprit « press nine » a tout contaminé. La vertu de tolérance donnait prétendument bonne conscience et il ne manquait pas d’occasions pour que le conformisme lâche ne facilite le consentement à la minorisation. La loi 101 émasculée donnait bonne bouche à tout le monde. Et fournissait le plus formidable paravent derrière lequel les forces hostiles ont pu avancer pour instrumentaliser l’ensemble de nos institutions et les retourner contre nous-mêmes. Les coups de gueule de France Boucher couvrant aisément les murmures embarrassés des péquistes accablés des analyses des Charles Castonguay, Marc Termote et autres empêcheurs de se rassurer dans le noir, le « dossier » linguistique prenait le dessus sur la condition du français au point d’en devenir « ringard » pour la rectitude politique bien-pensante tellement heureuse de se proclamer ailleurs, bien au-delà de ce sujet dépassé et de se savoir affranchie de ce temps jadis.

Le jugement contre la loi 104 vient de sonner la fin de la démission béate. Plus moyen de se laisser porter par les poncifs de l’ouverture et de la tolérance. Les juges canadian ont frappé pour tuer : c’est le retour au libre choix… pour ceux qui peuvent se le payer et convaincre les fonctionnaires qui leur tâteront le parcours scolaire authentique. Plus moyen désormais de se faire accroire que la paix linguistique donne de savoureux fruits. C’est le retour du refoulé, le vieux compromis bancal de la loi 63 et de ses tests revient hanter la législation provinciale. L’ineffable Christine Saint-Pierre n’a pas fini de dire des insignifiances : tout le jugement dirige le législateur provincial dans un véritable marécage. Car il n’y a pas de voie mitoyenne : le français fait la norme ou il est accessoire, il s’impose ou l’on en dispose.

Les commissions scolaires anglophones qui se sont réjouies de pouvoir enfin renouer avec la croissance ne se trompent guère. C’est cela qu’elles recherchaient, c’est cela que leur donne le jugement, quelle que soit l’avenue que retiendra le gouvernement provincial. Tel est son vœu, tel est son ordre. Et à cet ordre, les libéraux et autres pseudofédéralistes souscrivent inconditionnellement. Il n’y aura pas de conflit linguistique, juste un autre compromis canadian. Le Canada se sent fort, l’establishment anglo-montréalais se sent fort, l’aspiration nationale leur apparaissant désormais faible et inoffensive, le retour à la normale est commencé. Et toutes les bonnes âmes, tous les savants mesureurs de vertus sont prêts pour l’enchère. Ils sont prêts à tout pour tasser le Québec, y compris à laisser transformer leur Charte des droits en encan dès lors qu’il s’agit de casser le Québec. Peu leur chaut, en effet, de laisser les riches s’acheter des droits, de dresser ainsi le barguignage comme règle de droit : Canada knows best ! Cette Charte qu’ils vénèrent, il ne leur fait rien de la dévoyer pourvu que cela serve à réduire les frenchies à leur bourgade. La belle affaire !

On va voir ce qu’on va voir.

La question linguistique se pose désormais dans les ruines du fair-play auquel trop de politiciens ont voulu faire semblant de souscrire. Les moulins broient lentement, mais toujours ils profitent des vents. L’État canadian aura mis plus de trente ans pour y parvenir, mais il a finalement restauré l’intégralité de sa logique dans la politique linguistique de la province. Ceux-là qui faisaient carrière à faire semblant de trouver un moyen de moyenner n’ont plus d’alibi. Si le Québec veut vivre en français, il devra rompre. Si les Québécois veulent que leur Assemblée nationale traduise leur volonté nationale, ils devront rompre. Cela est plus évident que jamais.

Mais ce qui désormais saute aux yeux avec une aveuglante clarté, c’est que cette rupture passera d’abord par une révision radicale de notre complexe institutionnel. Nous avons toujours pensé que notre demi-État constituait un outil d’émancipation. Nous avons toujours pensé que, même incomplet, il nous permettait d’avancer, de faire des gains. Ce jugement vient briser cette croyance : rien n’est pérenne pour nous dans le cadre canadian. Non seulement rien ne dure et ne peut durer, mais pis encore, notre État a été retourné contre nous-mêmes. C’est avec nos impôts qu’on finance la destruction de nos lois. Et c’est avec l’ordre institutionnel que nous avons construit que nous sommes en train de ruiner notre avenir, de tuer les conditions de notre émancipation.

Car la mise en minorité du français au Québec ne se fait plus dans la vieille logique d’apartheid qui avait si confortablement assis la domination anglaise sur notre territoire national. Ceux-là qui luttent pour instaurer le bilinguisme, pour vivre ici en ignorant notre langue et notre culture ne sont plus les membres d’une minorité historique. La communauté anglophone de Montréal n’a plus la démographie pour soutenir ses institutions. Et c’est pourquoi elle lutte avec acharnement pour reprendre le contrôle de l’immigration, pour diriger vers ses écoles, vers ses hôpitaux, vers ses universités les immigrants que la logique et la réalité nationale normale devraient diriger vers les institutions communes qui fonctionnent en français. Avec l’aide d’Ottawa, avec le concours des libéraux qui leur doivent leur élection, les élites qui se cooptent dans ces institutions n’ont de cesse de courtiser l’immigration pour se donner des assises plus larges que ce vaudrait à la communauté anglophone tout partage équitable des ressources reposant sur son poids démographique.

La force réelle des institutions anglophones du Québec ne repose plus désormais que sur les forces vives de l’immigration et sur l’assimilation. Ce sont les anglicisés bien davantage que les WASP de jadis qui désormais mènent la charge. Ils veulent vivre dans le mainstream America, sont canadians first and foremost et constituent le plus solide point d’appui de l’action du gouvernement d’Ottawa. Une dynamique morbide se déploie à vitesse grand V dans les institutions anglophones où la culture québécoise, la réalité du Québec français ne sont plus guère que des manifestations anecdotiques sans importance. Il faut passer une journée sur les campus de Concordia ou de McGill pour s’en rendre compte. Ces institutions ne sont plus au service d’une « minorité historique » qui maintient son poids et ses droits dans une société française : ce sont des machines à produire des relais pour des clientèles tournées vers l’anglosphère exclusivement, une anglosphère multiculturelle et totalement indifférente à l’insignifiante et folklorique french culture.

La force de ces institutions, comme celles des services de santé, du monde scolaire et des services sociaux, provient d’abord et avant tout d’une distorsion provinciale : ce sont d’abord les privilèges que leur consent la province de Québec qui leur confèrent un avantage stratégique. Cet avantage est démultiplié dès lors qu’elles s’arc-boutent sur les programmes et institutions fédérales qui leur permettent non seulement d’accroître leurs ressources, mais aussi de se comporter comme des avant-postes d’une majorité étrangère et non pas comme une minorité tournée vers ce qui devrait être sa majorité d’appartenance : la nation québécoise. C’est cela qui s’est beaucoup affirmé au cours des années post-référendaires : le nation building canadian a trouvé ses relais pour financer le refus d’intégration. Et il les a trouvés d’autant plus aisément que la gouverne provinciale à laquelle tous les partis se sont ralliés reconduit cette logique en consacrant des iniquités sur lesquelles aucun politicien ne veut revenir tant est forte l’emprise du consentement à la minorisation.

C’est désormais par la manipulation des institutions et programmes provinciaux que se développement d’abord et avant tout les conditions de marginalisation du français. Et c’est la synergie qui se développe entre les actions d’Ottawa et les résultats de la démission provinciale qui donne sa puissance au mouvement d’anglicisation. L’État provincial finance un complexe d’assimilation en train de faire imploser notre métropole. Le mépris de soi, les conduites d’autodénigrement font le reste, laissant la partie facile pour toutes les tactiques de guérilla psychologique que finance Ottawa et visant à démoniser ou à fossiliser les personnes et les groupes qui résistent à la minorisation et refusent de laisser enfermer notre culture dans les vitrines du multiculturalisme.

Quiconque vit à Montréal saisit bien que la situation du français se détériore d’autant plus rapidement que les forces d’anglicisation sont passées de l’hostilité ouverte à l’indifférence systémique. Ce qui va de soi à McGill ou au Royal Victoria devrait désormais aller de soi à l’école primaire et c’est ce que vise la manœuvre des écoles passerelles. L’admission à l’école primaire vient tout simplement remettre le système sur ses bases. Depuis longtemps déjà, l’incurie provinciale a favorisé la remise en place de l’ordre minoritaire. Jamais le gouvernement du Québec n’aurait dû consentir aux amendements imposés par les tribunaux étrangers : à chaque contestation juridique il aurait fallu riposter par une autre loi 101 astucieusement construite pour en réaffirmer la l’esprit et la lettre, les gouvernements péquistes auraient ainsi gagné du temps et favoriser la mise en œuvre de la logique majoritaire en maintenant la confrontation permanente avec l’ordre constitutionnel canadian. En s’affalant par crainte de la chicane, non seulement ont-ils donné prise, mais, pis encore, ils se sont interdit de compléter le travail que la loi 101 originelle rendait nécessaire : la reconfiguration des institutions en fonction de la logique nationale.

Refusant cette reconfiguration, le gouvernement du Québec a lui-même laissé dériver le statut du français. Sous couvert d’optimisme, les gouvernements péquistes n’ont pas cru bon de voir à ce que le cégep français devienne le débouché normal pour la très grande majorité des enfants de la loi 101. L’insouciance les a laissés œuvrer à la construction du réseau des centres de la petite enfance sans même qu’ils songent à lui imposer le régime linguistique de la majorité. L’inconscience coupable les a laissés concocter des formules de financement des institutions d’enseignement supérieur qui accordent un scandaleux surfinancement aux institutions anglophones. L’asymétrie inéquitable a fini par imprégner totalement la machine de l’État et par contaminer tout l’appareillage bureaucratique au point de traduire désormais de façon systémique l’inacceptable privilège de bénéficier d’une allocation de ressources publiques sans commune mesure avec le poids démographique réel de la communauté anglophone. C’est ainsi que des écarts n’ont cessé de se creuser jusqu’à consacrer la bêtise absolue : le partage à 50-50 des fonds consacrés à la création de deux mégacentres hospitaliers universitaires à Montréal.

Personne au Parti libéral au pouvoir ne se plaindra de ces iniquités structurelles qui avantagent si bien leur clientèle électorale de prédilection. Et personne ne s’en désolera à Ottawa qui ne trouvera rien à redire à continuer d’en rajouter au point de soutenir des injustices qu’une élite transie n’est même plus capable de dénoncer comme ce fût le cas lorsque la Fondation canadienne pour l’innovation a octroyé 100 millions au CUSM et laissé le CHUM sur le carreau.

Le plus gros cégep du Québec est anglais, dans les universités montréalaises, 57 % des postes de professeurs se retrouvent dans les universités anglaises, le mégacentre hospitalier de McGill ouvrira bien avant que le CHUM bricolé ne voie le jour si jamais même cela se produit, le gouvernement du Québec est le plus gros employeur anglophone de la région métropolitaine. Tout cela dresse l’essentiel du dispositif d’aspiration des immigrants et des Québécois en voie d’assimilation dans l’anglosphère. L’État du Québec travaille désormais à la marginalisation de sa majorité nationale légitime. C’est ce que les partis souverainistes n’ont pas encore compris de la nouvelle donne linguistique.

Il faudra plus que des gestes épars pour redresser la situation. Il faut une approche globale de reconfiguration de l’ensemble des institutions nationales et des institutions de la minorité anglophone historique. Cela va exiger une forme d’intransigeance à laquelle nous ne sommes pas très habitués : l’intransigeance envers nous-mêmes. Nous allons devoir réaliser que notre État ne sera notre État que lorsque nous aurons sorti le Canada d’ici. Cela pourrait bien avoir commencé à se faire en ce lundi de novembre rue Saint-Laurent à Montréal.

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