Pierre et Louis Beaubien Présidents de père en fils

Pierre Beaubien
Pierre Beaubien

« La vie d’un homme, la connaissez-vous ? » Cette chanson que l’on entonnait à l’unisson dans les soirées canadiennes d’antan, elle m’est venue à l’esprit en pensant aux deux présidents de la SSJB de cette petite chronique. En effet, on se rend souvent compte que la vie d’un homme dans son quotidien – et c’est aussi vrai d’une femme – demeure souvent méconnue. Bien sûr, on
se rappellera peut-être de leurs réalisations, de leur époque, de leur conjoint et de leur progéniture, si d’aventure ils en ont eus, mais plus souvent qu’autrement nous saurons peu de choses à leur sujet, peu de choses de leur vie privée. C’est que, dans le passé, on n’avait pas toute la panoplie des moyens techniques d’aujourd’hui pour se rappeler à la mémoire des générations futures. Les photos étaient rares, les médias comme la radio et la télé inexistants, bref, tout cela ne laissait que bien peu de traces. Certains ont laissé de la correspondance que l’on peut parfois éplucher, d’autres ont écrit des livres, tenu un journal, mais ce n’est pas le lot de tous, seulement des plus connus, des célébrités les plus notoires. Et encore fallait-il que l’on conserve ces précieux souvenirs, que l’on archive ces précieux documents.

En contrepartie, dans cent ans, quelqu’un pourra savoir plein de choses sur vous, parce que vous aurez laissé des traces partout… notamment sur Facebook. Ainsi, on saura que telle personne a acheté en juin 2013 un grille-pain chez Canadian Tire et qu’il a dû le retourner parce qu’il ne grillait que d’un côté, que telle autre a rompu avec son petit copain un soir d’octobre… on saura plein de détails sur vous, sans doute plus inutiles les uns que les autres. On apprendra peutêtre que je n’aimais pas me faire marcher sur les pieds, et que ce fut encore plus vrai quand on m’amputa du pied droit (cette blague – ne m’en tenez pas rigueur – m’est venue au pied levé). Bref, il n’y aura plus de secrets ni sur vous ni sur moi, nous serons aussi transparents les uns que les autres, aussi nus que les « Femen » qui se dévêtent pour une cause ou pour une autre, bref, aussi insignifiants que les concurrents d’Occupation double. Ah, sachez que je ne critique pas notre époque, non plus que je ne prône un retour en arrière, ce serait mal me connaître. Mais je me disais cela en pensant à la difficulté, souvent, de trouver des choses édifiantes à raconter sur les présidents de la SSJB dont je vous parle dans chaque numéro, de montrer leur humanité, leur grandeur d’âme, de dévoiler quelques secrets bien gardés (et racontables !), bref, de les rendre plus… vivants ! Mais, que voulez-vous, il y a des hommes (et des femmes) d’époques déjà lointaines, dont il faudra se contenter de quelques bribes d’information, à défaut de détails banals ou, qui sait, croustillants  se mettre sous la dent.

Pierre Beaubien a été en 1859 le douzième président de notre Société. Né le 13 août 1796 à Baie-du-Febvre (dans la région de Trois-Rivières), il était le fils d’un cultivateur. Il fit des études au Séminaire de Nicolet, puis entra au Petit Séminaire de Montréal pour une année de philosophie. Soutenu financièrement par sa famille, qui comptait quelques religieux, il s’embarqua pour la France afin d’y étudier la médecine. Il reçut le titre de docteur en août 1822 après avoir soutenu une thèse sur le rhumatisme articulaire. Au cours des années suivantes, il travailla en France et fit quelques voyages en Allemagne, en Suisse et en Italie. Il revint au Canada à l’automne de 1827 et le Bureau des examinateurs en médecine de

Louis Beaubien
Louis Beaubien

Montréal lui décerna en février de l’année suivante la licence l’autorisant à pratiquer sa profession dans la province. Le 11 mai 1829, il convola en justes noces avec Justine Casgrain. La télévision n’étant pas encore inventée et l’offre de loisirs peu diversifiée, onze enfants naquirent de cette union, mais six moururent en bas âge. Quant aux survivants, deux furent ordonnés prêtres, un autre, Louis, devint célèbre dans les milieux politiques, et l’unique fille se fit « bonne soeur ».

Malgré la diversité de ses intérêts, la médecine resta toujours la principale activité de Beaubien. Il aurait été un des premiers à introduire l’usage du stéthoscope au Canada. Il oeuvra à l’École de médecine et de chirurgie de Montréal, fut aussi officier de santé pour la ville de Montréal et médecin en chef de la prison de Montréal.

Sous l’Union, Beaubien tâta de la politique active. Il fut député à l’Assemblée législative de la province du Canada en 1843 et 1844 puis fut défait. Il fut à nouveau élu en 1848. Il siégea aux côtés des réformistes et encouragea le développement des moyens de communication. Il se mêla aussi de politique municipale. Le docteur Beaubien était aussi un grand propriétaire foncier et il joua un rôle considérable dans le développement des sociétés bancaires québécoises. Il fut longtemps membre de l’Association Saint- Jean-Baptiste de Montréal (SSJB) avant d’en être élu président. Il est décédé à Outremont le 9 janvier 1881.

Son fils Louis, né à Montréal le 27 juillet 1837 – l’année de la révolte des Patriotes – fit des études au Petit Séminaire de Montréal et se consacra au développement des fermes familiales. On dit qu’il aimait la terre et les animaux. Il s’intéresse à l’agriculture, voyage en Europe et écrit dans les journaux. En politique, c’est un ultramontain. En 1867, il est élu député conservateur à l’Assemblée législative du Québec. Il y siège jusqu’en 1886. Il siège en même temps à la Chambre des communes à Ottawa, de 1870 à 1872. Il devient par la suite commissaire de l’agriculture et de la colonisation à Québec. Il marche dans les traces de son père, s’intéresse aux affaires (banque, imprimerie, transport…) et devient en 1882 le 30e président de la SSJB.

Par son mariage en 1864, Louis Beaubien entre dans la famille Aubert de Gaspé et deux de ses fils porteront d’ailleurs le patronyme de Gaspé-Beaubien. Il meurt à Outremont le 19 juillet 1915.

La famille Beaubien sera toujours très liée à la ville d’Outremont. D’ailleurs, l’un des fils de Louis, Joseph Beaubien (1865-1949) régna 40 années à la mairie de cette ville. Dans un article paru dans la revue Histoire Québec, on raconte que vers 1930 à Outremont, le recensement y établit pour la première fois la prédominance des Canadiens français avec 37 % de la population, qui comprend aussi 35 % d’Anglais et 24 % de Juifs. Or, l’anglais demeure depuis toujours la langue d’usage au conseil municipal, même si dans son état actuel les francophones y sont plus nombreux que les anglophones. L’inévitable question sur la place du français est dès lors posée au maire (Joseph Beaubien) qui répond :« Le conseil… se sert de l’anglais par courtoisie pour nos amis anglais. » La réplique du citoyen n’attend pas : « On pourrait se servir du français par courtoisie pour les Canadiens français. » Avec ce genre de propos de colonisé tenu par ce descendant d’une grande famille bourgeoise canadiennefrançaise, on est presque heureux que Joseph n’ait pas maintenu la tradition familiale de devenir président de la SSJB ! •••

SOURCES
Assemblée nationale du Québec, « Louis Beaubien (1837-1915) », sur le site de l’Assemblée nationale.
BEAUREGARD, Ludger, « Joseph Beaubien, grand bâtisseur d’Outremont », in Histoire Québec, novembre 2003.
BERNIER, Jacques, « Beaubien, Pierre », in Dictionnaire biographique du Canada, vol. 11. Université Laval / University of Toronto, 1982. Page consultée le 22 août 2013.
RUMILLY, Robert, Histoire de la Société Saint- Jean-Baptiste de Montréal. Des Patriotes au Fleurdelisé 1834/1948. Montréal, Éditions de l’Aurore, 1975.