Quelques clichés erronés sur l’immigration

par Philippe Dujardin | Le Patriote

Le débat sur l’immigration a toujours été guidé par les émotions et plus particulièrement par la peur. Celle de se faire « envahir » chez certains, mais aussi pour d’autres celle de « se peinturer dans le coin », fermé à la différence des autres et défendant un nationalisme défini par un vieux fond catholique blanc canadien-français. Cette crainte est encore plus marquée de nos jours avec trois courants politiques ayant vite fait de vous accuser de tenir des propos xénophobes. L’un est une dérive du social-libéralisme, donnant plus d’importance à l’individu qu’à la collectivité et fantasmant des minorités attaquées par la majorité. L’autre est composé de certaines associations prétendant représenter des communautés et exerçant un lobbyisme communautariste. Le dernier appartenant à une classe politique instrumentalisant l’immigration pour assurer sa pérennité au pouvoir. On pourrait même écrire un article sur chacun de ces trois courants politiques.

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Ingénieur en informatique au Maroc, Mohamed Safir n’a eu d’autre choix que de devenir chauffeur de taxi pour survivre au Québec. (Photo tirée d’un article du Journal de Québec, 23 février 2013.)

Ce thème est d’autant plus émotif qu’on y accole trop souvent, et souvent à tort, le débat identitaire. En tentant de discuter simultanément de ces sujets, nous aboutissons à des malentendus et des dérives hasardeuses. Entre autres à cause des récupérations politiques fallacieuses et partisanes venant des trois courants politiques décrits ci-dessus. Retenons que nous parlons ici seulement du volet concernant la compétence provinciale du Québec. Il ne sera question ni des réfugiés, ni du rapprochement familial, qui sont des politiques uniquement fédérales. Nous n’aborderons que l’immigration économique choisie par le gouvernement du Québec. Allons aux faits.

1- On nous dit qu’on ne reçoit pas un nombre anormal d’immigrants par année par rapport à notre population.
Pour cela, on tente des comparaisons, en reconnaissant d’emblée qu’elles sont hasardeuses. On choisit le Canada, un pays, et pas un des plus brillants à mon avis, pour nous dire que nous accueillons moins d’immigrants qu’eux. Déjà nos réalités sont différentes au sein de notre province. Commençons par le volet économique. Nous aborderons plus tard d’autres aspects de l’immigration et ses impacts sur une société comme le Québec. Des impacts qui sont différents dans les autres provinces canadiennes et à l’échelle canadienne : Économiquement, le Québec n’est pas l’endroit du Canada où l’emploi est le plus stable. Si les sièges sociaux s’en vont en suivant l’économie, partant pour l’Ontario dans les années 1990, puis pour l’Alberta dans les années 2000, les réalités propres à l’immigration ne font pas différemment. Le Québec établit ses quotas en fonction de certains critères, et l’économie en est un. Des chiffres qui nous ont été donnés pour ces comparaisons, nous avons reçu en 2014 19,3 % de l’immigration canadienne, tandis que notre poids démographique au Canada est de 23,1 %. Mais on oublie toutefois de nous préciser un fait important. En 2014, le Québec perdait 100 000 emplois à temps plein, alors qu’au Canada des dizaines de milliers d’emplois se créaient. On qualifie le Québec comme ayant une « situation de l’emploi précaire » dans les journaux d’avril et on nous annonce la perte de 22 500 emplois à temps plein en mars 2016. Nous allons vite nous rendre compte, en abordant le prochain point, que l’économie et les réalités du monde du travail peuvent mener à la conclusion que nous recevons trop d’immigrants chaque année au Québec.

2- On nous dit que nos exigences sur les qualifications sont importantes pour rentrer ici.
Mais oui, c’est vrai ! Nous avons une immigration économique choisie et bien souvent francophone. Mais c’est justement cela qui est terrible si on approfondit notre recherche et qu’on considère l’ensemble des faits pour voir la réalité :
• 60 % des immigrants reçus ont un diplôme universitaire.
• La reconnaissance de ces diplômes et qualifications est catastrophique, humiliante, honteuse !
• Les ordres professionnels font du protectionnisme suivant leurs intérêts corporatifs et refusent d’embaucher des immigrants.
• Nous avons les chauffeurs de taxi et les éducatrices en garderie les plus diplômés du monde !
• Nos universitaires : bacs, maîtrises, doctorats, se retrouvent à postuler pour des emplois ne répondant pas à leurs qualifications. À Montréal, nous avons les serveurs de bar les plus brillants académiquement parlant !
• La majorité des emplois ne demande aucune qualification supérieure et peu de diplômes universitaires. La fable patronale du manque de formation et de travailleurs qualifiés depuis 30 ans !
• Il a été démontré que la surqualification à l’embauche (c.-à-d. embaucher quelqu’un avec des qualifications supérieures à ce que l’emploi exige) créait deux chômeurs en bout de ligne. Ces gens étant capables bien souvent de faire le travail de deux employés moins qualifiés pour le même salaire ! On appelle cela le processus de surqualificationdéqualification en chaîne. Un autre sujet qui mériterait à lui seul un article !

En outre :
• Plus de 80 % de l’immigration reste bloquée dans la grande région de Montréal, la régionalisation étant anémique.
• 40 % des immigrants unilingues francophones ne trouvent pas d’emploi à cause de l’exigence du bilinguisme.
• À Montréal, il y a 27 % de chômeurs parmi les francophones unilingues. Principalement des gens issus du Maghreb et de l’Afrique noire francophone, à qui on a fait miroiter un avenir chez nous et qu’on confine dans l’exclusion économique et sociale.
• À court terme, écoeurés de ne pas trouver d’emploi, 20 à 25 % des immigrants partent pour une autre province canadienne, nous laissant la facture du coût des premières années de leur intégration au pays.

Et je n’ ai pas encore abordé le côté moral ; le pillage intolérable des « cerveaux » dans les pays d’origine. On pleure quand quelques « cerveaux » universitaires du Québec quittent pour travailler dans une autre province, mais quand vient le temps de faire un hold-up en règle de pays vivant des difficultés sociales et économiques énormes, là cela devient correct. On pige à deux mains dedans, appelant cela une richesse, sans aucune gêne. J’appelle cela du néocolonialisme. On ne va plus chez eux pour les exploiter, on déplace les populations, on profite des formations qu’ils ont acquises chez eux, on vide ces pays de leurs élites, pour les exploiter dans nos usines et au détriment de nos travailleurs moins qualifiés. Si c’était pour leur offrir un emploi respectant leurs qualifications, avec le salaire à l’avenant, je n’y verrais pas de problème, ce serait effectivement une richesse pour la société québécoise. Alors que là, ce n’est qu’une richesse pour le patronat et les actionnaires. Et nous avons des faux amis progressistes qui viennent nous vanter ces politiques néolibérales et le « cheap labour » (le travail au rabais) !

3- On nous dit que l’immigration est essentielle à cause du vieillissement de la population

La suite de l’argumentaire ventant les bienfaits de l’immigration économique relevait du vieux débat sur la vieillesse. Tant sur les pensions de vieillesse que les coûts reliés aux soins de santé. On ne fait plus d’enfants, c’est terrible, la croissance démographique est à plat, c’est la fin, les carottes sont cuites.

Vaste sujet que celui des « petits vieux » à qui il faut payer une pension et qui sont souvent malades. Terrible ! Mais on ne fait pas le bon débat. Cela en plus d’être affublé par une propagande malhonnête sur le sujet des retraites. Et là, je ne vois pas ce que vient faire l’immigration là-dedans. On sait qu’après quelques générations, les descendants d’immigrants ne font pas plus d’enfants que les autres Québécois établis ici depuis des lustres. Ce sont les mêmes. Mêmes réalités, mêmes politiques natalistes, même culture nord-américaine, etc. Autrement dit, cette vision économique néolibérale ne tient pas ! Il faut toujours en faire venir, encore plus, toujours plus ! C’est sans fin ! Mais vient un temps où on frappe un mur ! On ne peut pas croître indéfiniment.

• Sur les retraites : il a été démontré par plusieurs économistes, dont Bernard Friot, qu’avec les gains de productivité nous ne sommes pas dans une accélération du coût des retraites, mais dans un ralentissement. L’idée n’est pas de savoir s’il y a assez de jeunes pour payer les retraités, c’est de savoir s’il y a assez de personnes actives pour financer le régime de retraite. Actives et produisant la richesse nécessaire. Je lisais encore au mois d’avril un article annonçant la robotisation grandissante de la société et un autre sur six convois de camions automatisés ayant traversé l’Europe. Pour vous dire que les emplois vont être de plus en plus rares et que, par contre, la productivité va énormément augmenter par travailleur actif. Pas la peine non plus de nous sortir le discours de la retraite à 85 ans ! Ni l’argument massue expliquant qu’il va y avoir moins de travailleurs pour plus de retraités. Il pourrait y avoir un problème lors d’une grave crise économique… mais là encore, on comprend que lors d’une telle crise, l’immigration n’est plus dans les solutions envisageables, car il n’y en aura plus de boulot ! Bref, quel que soit l’argumentaire, l’immigration ne fait pas partie des réponses sur les coûts des pensions de retraite quand on tient compte des faits et des réalités présentes et futures.

• Sur les coûts de santé : là se situe le vrai débat. Mais pas de savoir s’il faut faire rentrer toujours plus d’immigrants, richesse à exploiter pour payer nos frais médicaux comme certains prétendent. J’ai lu dans les journaux en 2016 un article : Vivre un siècle et demi ne relève plus de l’utopie, une déclaration d’Elizabeth Blackburn, généticienne de 67 ans et prix Nobel de médecine, pendant le débat sur la longévité au Forum économique mondial de Davos. Vous comprenez qu’à Davos, ils ont tout de suite prétendu qu’il fallait augmenter l’âge des retraites pour s’occuper de ces gens qui seraient de plus en plus dépendants, et je cite : « Un fardeau pour les futures générations ». À mon avis, le vrai débat serait plutôt : « la vieillesse est-elle une maladie ? ». Combien de temps allonsnous continuer à payer et accepter des recherches pour prolonger l’espérance de vie, quand on sait que, pour atteindre cet âge vénérable, il va falloir attaquer le vieillissement dès son apparition et donc se gaver de pilules dès la trentaine ! Car, comme l’explique Elizabeth Blackburn, le but n’est pas d’avoir une bande de grabataires étirant leur vie de 90 à 150 ans, mais bien augmenter la durée de l’âge où on peut encore exploiter la force de travail d’un individu. J’imagine d’ici le magot pour les entreprises pharmaceutiques possédant cet élixir de jouvence ! Pas pour la collectivité, pas pour l’humanité. Et l’immigration n’est pas plus une solution. Soit on développe une société avec une espérance de vie prolongée équivalente à l’augmentation de l’employabilité, donc des gens en santé, soit on arrive encore à une logique expansionniste qui finira par frapper un mur, immigration ou non.

Au lieu de crier à la fin d’une économie, d’une nation, la question à se poser ne seraitelle pas plutôt : avec l’augmentation de la productivité, est-ce si dramatique de se retrouver dans un pays moins populeux en 2060 ? Un pays qui retrouvera un peu de sa souveraineté alimentaire et une qualité de vie possiblement plus agréable. La décroissance ne serait-elle pas une option envisageable étant donné les défis environnementaux qui sont les nôtres ? De plus, nous annoncer notre incapacité à nous subvenir démographiquement, ce serait ne pas tenir compte d’un facteur humain courant dans l’histoire. Le sursaut démographique, comme après plusieurs tragédies historiques. Que ce soit un cataclysme naturel, une guerre, une pandémie. On a vu plusieurs fois des moyennes revenues à la baisse quant à l’âge de la maternité chez les femmes et de leur nombre d’enfants. Qui peut prévoir ce que sera la réaction du peuple québécois si un jour la croissance démographique devenait réellement une question de survie pour notre peuple ?

Et je n’aborde par un autre côté moral de l’histoire, le pillage intolérable de la jeunesse de certains pays. On nous explique qu’en 2014 89,6 % des immigrants au Québec avaient entre 0 et 44 ans ! Sait-on qu’en 2005, par exemple, la fécondité en nombre d’enfants par femme iranienne tombait à 2 ? À peine plus qu’au Québec. Certains auraient intérêt à lire les travaux du démographe Youssef Courbage. Quel héritage ces chantres de la croissance démographique québécoise veulent-ils laisser à ces pays en prenant leur jeunesse et leurs élites ?

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4- On ne nous dit pas tout !

Le sujet qui n’a pas été abordé parmi ces arguments en faveur de l’immigration économique, c’est l’aspect social. Il y a des dommages sociaux collatéraux à une immigration qui ne s’intègre pas. Quand on confine des individus dans l’exclusion économique, alors l’exclusion sociale et la ghettoïsation deviennent la suite logique et inévitable. Vague après vague, ces nouveaux immigrants sont mis en confrontation directe sur le marché du travail avec ceux arrivés avant eux. Ils se retrouvent à se disputer les mêmes emplois, ce qui aggravera encore plus un taux de chômage déjà endémique parmi cette sous-population. Cette concurrence a des impacts importants, tant chez les travailleurs locaux peu diplômés que chez les nouveaux arrivants surqualifiés pour l’emploi occupé. Les coûts sociaux provoqués par cette ghettoïsation, visible dans plusieurs quartiers de Montréal, sont énormes, tant sur le plan économique qu’humain. À long terme, nous courons à un désastre et risquons de nous retrouver avec des problèmes équivalant à ceux connus en Europe et aux États-Unis. Violence, pauvreté systémique, ségrégation communautaire… Cela provoquerait de surcroît un fardeau additionnel quant à la francisation des immigrants, avec les conséquences sur l’avenir culturel de notre nation ; 60 % des immigrants allophones ne se francisent pas. Depuis des années les gouvernements ont diminué les budgets de francisation et les cours à temps plein. C’est pour cela qu’analyser l’immigration uniquement sous un angle démographique et économique, c’est se cacher une partie des réalités attachées à ce débat, se couper des réalités québécoises. C’est un des pires aspects du néolibéralisme. Laisser croire que l’on peut tout déréglementer, miser que sur le plan économique et que les gens de bonne foi vont s’intégrer à notre société. Encore plus quand le gouvernement actuel coupe dans tous les programmes sociaux, renforçant encore l’effet de ghettoïsation, obligeant les immigrants à trouver de l’aide au sein de leur communauté, avec le risque qu’ils se fassent alors récupérer par quelques personnes malveillantes aux idéaux politiques intolérables.

On ne peut se comparer à un pays. Les immigrants au Québec vouent une allégeance en premier lieu au pays d’accueil et au symbole trônant en haut de leurs papiers officiels d’immigration : une feuille d’érable. On ne peut se comparer aux autres provinces non plus, où l’anglais est la langue commune et nationale et où on ne souhaite pas que les immigrants se francisent. Si nous étions un pays comme les autres, les prémisses seraient autres. Bon nombre d’immigrants choisissent le Québec parce qu’on leur vend ce coin du monde comme un lieu où l’on vit en français. C’est faux à Montréal et dans sa grande région ! La majorité des emplois exige le bilinguisme, voire l’unilinguisme anglais (seulement 16 % de chômage chez les immigrants unilingues anglophones). L’anglicisation du Québec est une réalité et il faut en tenir compte. Les immigrants unilingues francophones se trouvent dépourvus face à nos réalités linguistiques.

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Gérard Bouchard (Photo : Service des communicationsde l’UQAC).

Je n’aborderai pas le sujet identitaire lié à l’immigration, car cela alourdirait inutilement un texte déjà long. Les inquiétudes légitimes, comme celles soulevées par Gérard Bouchard dans son article Un peu de retenue et de clairvoyance M. Couillard, paru dans le Devoir du 17 mars 2016, nous donnent déjà une bonne piste. Un débat normal et naturel parmi tous les peuples confrontés à une immigration massive. Ne pas en tenir compte ou tenter d’écraser ses opposants avec des attaques fallacieuses sur la xénophobie, c’est courir à moyen terme vers l’apparition d’un parti d’extrême-droite au Québec. Actuellement, aucun parti au Québec ne propose dans son programme ou ses discours de renvoyer le moindre immigrant, car ce n’est tout simplement pas dans notre culture, n’en déplaise à Marine Le Pen. Nous avons d’autres réalités. De toute manière, c’est une compétence fédérale. Seul le Canada renvoie des immigrants et parfois malgré le soutien de la classe politique et de la société civile québécoise prenant leur défense. C’est aussi cela le Québec, une nation distincte qui défend ses citoyens.

Quand on me parle de richesse de l’immigration comme le ferait un responsable des « ressources humaines », alors oui je comprends. Une richesse à exploiter, comme n’importe quelle matière première, comme n’importe quelle ressource. Pour ma part, j’ai de la difficulté à considérer des êtres humains comme une ressource, comme une richesse. Il y a un relent nauséabond accompagnant un tel vocabulaire, une vision colonialiste, une pensée politique que l’on cache derrière un paravent humanitaire, parfois de bonne foi, avec de bonnes intentions, mais cela ne passe pas l’analyse des faits et des réalités économiques mondialisées : l’humain est devenu une ressource comme une autre. Il s’agit bien d’exploitation et non d’humanisme. L’humanisme voudrait que la richesse ne soit pas un argument pour recevoir ces gens, seule la compassion devrait suffire. Et cette compassion ne devrait jamais nous faire perdre le sens des réalités chez nous, celle de ces quartiers où on entasse, vague après vague, l’immigration dans l’exclusion sociale et économique et cela au détriment de l’ensemble des travailleurs du Québec, quelles que soient leurs origines. Quand j’entends une certaine gauche, certains « progressistes », les chambres de commerce et le patronat me tenir le même discours sur la richesse et l’ouverture de nos frontières au monde, il y a une alarme qui retentit, mon « bullshitomètre » vient d’exploser ! C’est cela du néolibéralisme.  •••