Thomas-Jean-Jacques Loranger

Par Jean-Pierre Durand

Thomas-Jean-Jacques Loranger
Thomas-Jean-Jacques Loranger

Deux Loranger occupèrent le poste de président de notre société et il s’agissait de deux frères. Dans ce numéro-ci, nous parle-rons du premier, Thomas-Jean-Jacques, né à Yamachiche le 2 février 1823 et décédé à l’île d’Orléans le 18 août 1885. Il eut l’insigne honneur de porter le titre de président de l’auguste société à deux reprises, soit en 1880 et 1884.

Comme à l’époque l’espérance de vie était moins grande que de nos jours, on pourrait s’imaginer que nos aïeux mettaient les bouchées doubles pour, comme on dit, arriver dans la vie. Il faut croire aussi que les loisirs au XIXe siècle ne bénéficiaient pas de la fée Électricité et que bien peu de nos lettrés restaient affalés sur le divan à regarder « Tout le monde en parle ». Ce qui explique peut-être en partie comment il se fait que, en ce temps-là, on occupait tôt des fonctions de notable dans la vie. Ainsi, T.-J.-J. Loranger fut admis au Barreau du Bas-Canada en 1844. Juriste de talent, puis député à l’Assemblée législative du Canada-Uni en 1854, il fut nommé juge de la Cour supérieure en 1863.

Loranger fut toujours un nationaliste. Il avait côtoyé et estimé Ludger Duvernay, le Patriote fondateur de la SSJB, et il avait côtoyé et fustigé Georges-Étienne Cartier, le Patriote qui retourna sa veste, quand celui-ci accepta des mesures législatives susceptibles d’angliciser les Canadiens français.

Évidemment, bien avant d’accéder à la présidence de la SSJB, comme bien d’autres avant et après lui, il avait été actif au sein de l’organisme en y occupant diverses charges. C’est ainsi qu’on le retrouvait dans le comité de cinq membres mis sur pied par la Société pour organiser les obsèques de Ludger Duvernay en 1852. Vingt ans et des poussières plus tard, Loranger, avec d’autres dignitaires de la SSJB, dont L.-O. David, soumettait un projet de réorganisation pour notre Société. Celle-ci ne serait plus organisée désormais sur une base paroissiale, mais selon une base professionnelle, avec une section du Barreau, une section de typographes, une section de médecins, et ainsi de suite. Ce projet souleva quelques vagues, mais fut quand même adopté (pour peu de temps toutefois, car la Société fit demi-tour en 1878 en réintroduisant l’organisation par sections paroissiales).

C’est après une carrière de juge remarquée que Loranger, profitant de sa retraite, décida de se vouer corps et âme à la SSJB et accepta d’en devenir le président. Ses antécédents de magistrat et d’homme politique l’avaient fait avantageusement connaître comme un homme d’esprit, cultivé, aux propos des plus éloquents, qui devint vite un orateur recherché et captivant lors des cérémonies comme celles du 24 juin. Dans son Histoire de la SSJB de Montréal, Robert Rumilly écrit à son propos : Ce gentilhomme cultivé, très français d’esprit, possède à un rare degré l’art de s’exprimer dans une forme gracieuse, piquante, parfois éblouissante. Un autre commentateur a écrit que tout chez Loranger était gracieux : démarche, manières, conversation…
Et notre Société saura profiter d’un homme de sa trempe à l’heure où Ottawa établit lentement et sûrement un début de centralisation. La SSJB n’était pas dupe du manège fédéral et le redouta dès ses premiers signes. Ce fut l’occasion rêvée pour Loranger de faire travailler sa plume et de redoubler de verve au profit de cette bataille contre la centralisation abusive provenant d’Ottawa et pour la défense de l’autonomie provinciale. En vrai patriote, Loranger ne se gêna pas pour critiquer ses coéquipiers de naguère en politique. Pour lui, il ne faisait aucun doute que la défense de ses compatriotes canadiens-français et, par le fait même, du Québec avait préséance sur son idéologie politique.

Loranger s’impliqua aussi en soutenant l’idée lancée par L.-O. David, un sociétaire important et arrière grand-père de Françoise David de Québec Solidaire, de construire un immeuble qui servira de salle publique et de siège social (le futur Monument national). Il favorisa aussi la création d’une union de toutes les sociétés nationales canadiennes-françaises de l’Amérique du Nord. Enfin, il prit part vigoureusement à la campagne pour sauver Louis Riel. En effet, le soulèvement des Métis dans l’Ouest canadien avait été sauvagement écrasé par les armes et un tribunal de Regina condamna Riel à la peine de mort, le 1er août 1885, afin de satisfaire entre autres les loges orangistes de l’Ontario. Furax, Loranger présida une société pour la défense des prisonniers métis. L.-O. David fut également fort actif dans cette bataille et il comptait bien entendu sur les talents oratoires de Loranger pour faire monter le sentiment général en faveur de Riel et des Métis. Hélas, Loranger mourut le 18 août, deux mois avant la pendaison de Riel. Ce fut un dur coup pour la SSJB, qui lui organisa des funérailles imposantes.

S’il est vrai que l’on juge l’arbre à ses fruits, on peut dès lors conclure que le juge Loranger aura apporté une prestigieuse récolte à la SSJB.