Vers la disparition tranquille?

DIDIER CALMELS | LE PATRIOTE | 24/09/2014 | (CBR)

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[Photo : Mathieu Breton] Pour combattre, il faut être fier de ce qu’on est et des réalisations de son peuple. Pour s’inscrire dans cet univers mondialisé, il faut être fort, se tenir debout et être fier de ses différences, de sa culture et sa langue. La fierté, c’est ce qui manque depuis quelque temps aux Québécois

─ Longtemps au Québec, plusieurs ont pensé que l’établissement du français comme langue commune était réussi, que le français était une langue de référence avec laquelle toutes les cultures pouvaient s’unir et partager. Ils croyaient que c’était ancré dans notre vie quotidienne, dans nos habitudes, tant à la maison qu’à l’épicerie ou à notre travail. Depuis quelques années, leur référence, ce lieu de rassemblement commun vacille. Les assises du Québec français tremblent, oscillent et se fissurent.

Le Québec des années 1980, 1990 et début 2000 où le français unissait les Québécois de tous horizons semble maintenant n’être qu’un souvenir, qu’une parenthèse ou un début de quelque chose qui n’a pas abouti. Durant cette période, il y avait une fierté d’être et d’intégrer en français. Nous nous étions enfin débarrassé de ce sentiment d’infériorité lié à notre statut particulier en Amérique du Nord. Nous avions quitté cette époque où on nous disait incapable de diriger de grandes entreprises. Le Québec inc. était en plein essor. Nous avions pris les rênes de notre économie, de notre culture et de notre éducation. Pour une fois, notre avenir nous l’avions entre nos mains.

Pensant probablement qu’on en avait fait assez et que maintenant ce qu’on avait gagné était acquis, que plus personne ne nous enlèverait nos gains et nos victoires en tant que peuple, on a baissé la garde. Ne ressentant plus le besoin de nous battre, de nous défendre, nous avons rebroussé chemin et sommes retournés dans nos terres. Puis, au fil des années, tranquillement, on a vu renaître des situations et comportements qu’on croyait révolus, qui étaient caractéristiques d’une autre époque. En baissant la garde, l’unilinguisme anglais et le bilinguisme ont repris de la vigueur. Ce qu’ont connu et combattu nos parents et grands-parents, renaît de ses cendres. Se faire répondre en anglais dans une entreprise, chose qu’on croyait du passé et obsolète, est devenu chose courante à Montréal et dans certains secteurs de Laval, de l’Outaouais et de l’Estrie. Le bilinguisme aussi redevient une exigence pour la majorité des emplois. Dans l’affichage, dans les publicités et les dénominations sociales, le bilinguisme est redevenu d’usage. Certaines entreprises comme Canadian Tire, IGA, Provigo et Winners, pour ne nommer que celles-là, affichent maintenant dans leurs magasins en français et en anglais. Et il y a aussi cette mode du franglais qui déferle comme une gigantesque vague sur le Québec. Certains ne sont plus capables de faire une phrase sans y incorporer un ou deux mots en anglais, si ce ne sont pas des expressions au complet. Cette mode est tellement ancrée et entrée dans les habitudes que ces franglais finissent par oublier certains termes français.

Et comment réagit la majorité des Québécois face à ce retour de l’anglais comme ciment commun, comme lien linguistique entre les communautés qui petit à petit remplace le français? Avec indifférence. Même certaines fois, on en demande plus. Toujours plus d’anglais. Ce que le Québec a créé pendant plusieurs décennies est en train de sombrer et au lieu de se lever, de revenir au combat, on baisse les bras. On agit comme si le fait d’avoir été maîtres de notre sort, de notre croissance et de notre développement nous avait fait peur, que tout cela était trop gros pour nous. Le message que cela lance est que vraisemblablement, le temps est maintenant venu de se rallier, de s’oublier et de cesser le combat que l’on mène pour notre survivance en Amérique du Nord depuis la conquête anglaise de 1759.

Bien des gens, croient que se battre pour notre culture, notre langue et notre différence en Amérique, est un combat du passé. Et qu’en fait, à l’ère de la mondialisation, on ne peut rien y faire, ça ne sert à rien de se battre, car le monde est de plus en plus interrelié, proche, en partage constant et similaire. Il faut s’ouvrir à la mondialisation. L’ouverture, en effet, mais à quoi? Malheureusement, mondialisation rime trop souvent avec anglicisation et monoculture américaine. La mondialisation devrait plutôt être la rencontre des diversités. En cela, la bataille des Québécois est toujours d’actualité et très loin d’être passéiste. Par sa différence, le Québec contribue à la diversité du monde. S’ouvrir au monde, découvrir l’autre, comprendre ses us et coutumes, sa façon de penser, d’agir et de vivre, sous-entend que l’autre a sa culture propre, une langue et une tradition différentes des nôtres. Découvrir les différences et ressemblances de l’autre, apprendre et transmettre, c’est ça la magie de la mondialisation. Et non pas un moyen pour l’anglais et la culture américaine de proliférer et prendre la place des différentes cultures.

Pour combattre, il faut être fier de ce qu’on est et des réalisations de son peuple. Pour s’inscrire dans cet univers mondialisé, il faut être fort, se tenir debout et être fier de ses différences, de sa culture et sa langue. La fierté, c’est ce qui manque depuis quelque temps aux Québécois. Leur manque de combativité face au retour à vitesse grand V de l’anglais est le résultat de la perte de fierté. Ceux qui ont déjà été portés par cette fierté ne sont plus capables de la retrouver ou bien n’ont pas le goût ou ne trouvent plus de passion pour le Québec. Non seulement certains ont perdu cette fierté, mais elle n’est aussi plus transmise. La fierté ça s’acquiert, mais surtout ça se transmet. Tant les autorités que les parents n’ont pas su la transférer à la nouvelle génération. Alors d’un côté, il y a les parents désabusés ayant perdu la passion, la confiance et l’amour pour leur peuple et de l’autre côté, leurs enfants qui eux n’ont rien reçu de cette passion, des raisons d’être fiers de leur peuple et des raisons pour défendre leur culture et leur langue. Sans ce transfert, pour une majorité de ces jeunes, c’est un combat dépassé qui n’est pas le leur.

Comment raviver la passion et la fierté? Ce n’est pas simple. Cela prend des raisons et des exemples pour être fier. On ne peut pas être fier d’un peuple désabusé, qui souvent se méprise lui-même. Il faut enseigner notre histoire, parler de notre passé, des raisons de nos combats, mais aussi mettre de l’avant l’importance de notre culture et la puissance de notre langue. Il faut montrer que la diversité et la différence ne sont pas un boulet, mais plutôt un atout dans cet univers mondialisé. Il est primordial de faire comprendre que notre différence contribue à ce monde, que notre culture et notre langue enrichissent la planète. Il faut aussi montrer que cela n’empêche en rien l’apprentissage de l’anglais et d’autres langues, et que défendre sa culture et sa langue n’est pas se refermer sur soi, mais s’ouvrir, partager, transmettre et se promouvoir à l’ensemble de la planète. Cela prend aussi des gens qui sauront nous rendre fiers de nous. Cette partie est essentielle. Il faut des femmes et des hommes qui serviront de bougies d’allumage à notre fierté. Cela manque au Québec depuis très longtemps. Trop longtemps. Sans que ces personnes deviennent des sauveurs, il faut qu’elles guident, qu’elles inspirent, qu’elles montrent l’exemple, qu’elles nous passionnent et réveillent la passion de nousmêmes, de notre peuple. Sans un élan qui vient de nous-mêmes, sans un réveil collectif qui nous sortira de l’indifférence et sans des gens inspirants qui sont capables de rallumer le feu de la passion du Québec, il semble bien que notre descente, notre disparition tranquille se poursuivra.

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