Yves-François Blanchet | Le Soleil
Ce jeudi, l’Honorable juge Claude Dallaire brisait un mythe : la prose juridique peut être distrayante. Près de 100 pages colorent une cause cruciale pour l’avenir du Québec avec clarté, vulgarisées comme si le Juge s’était attendu à être lu par des profanes, émaillées d’images croquantes et d’humour. Sans verser dans le conte pour enfants, Claude Dallaire n’égare pas son lecteur en exaltant sa propre sagesse.
Le 30 octobre 1995, le OUI, piloté par Jacques Parizeau et Lucien Bouchard, perd d’un cheveu un référendum sur la souveraineté du Québec. Le Canada a peur. On ne l’y reprendra plus. Chaque premier ministre a son exécuteur de basses besognes. Jean Chrétien fut celui de Pierre Trudeau en 1981, Stéphane Dion allait être celui de Jean Chrétien suite au référendum de 1995.
L’exercice consisterait à imposer, au nom de la Constitution du Canada (à laquelle le Québec n’a pas adhéré 36 ans après son imposition), un cadre légal qui confie pratiquement à Ottawa les clés de l’autodétermination du Québec. Un outil de répression comparable à ce dont se revendique aujourd’hui l’Espagne de Rajoy à l’encontre du peuple de Catalogne.
Afin de se doter d’assises légales solides, Stéphane Dion pose à la Cour suprême du Canada une série de questions qui, espérait-il, allaient lui conférer une position de droit à toute épreuve contre toute future velléité de sécession. La plus haute Cour du Canada déposera au contraire en 1998 un avis étoffé qui fera plutôt l’affaire des souverainistes. La sécession est possible, n’est pas prévue au cadre constitutionnel canadien, mais ne peut être exclue pour autant à la condition toutefois que le résultat en soit clair et qu’il y ait négociation difficile, certes, mais de bonne foi entre les parties.
En décembre 2000, le gouvernement Chrétien fait donc adopter par la Chambre des Communes la Loi sur la Clarté qui lui réserve la juridiction quant à ce que sera une question claire, avant ou même après l’exercice, et laissant en suspens le pourcentage de vote qu’Ottawa jugera requis le cas échéant.
L’Assemblée nationale se dresse contre cette agression de sa souveraineté institutionnelle et le ministre Joseph Facal y va de sa propre loi. Elle affirme le droit à l’autodétermination du peuple québécois et les règles consensuelles qui l’encadrent en démocratie, dont bien sûr celle de la majorité simple, 50 % + 1 vote. Sitôt déposée, sitôt contestée devant les tribunaux à l’initiative du chef du Equality Party, Keith Henderson.
Le Procureur général du Québec défend la loi québécoise, intervient ensuite le Procureur général du Canada puis plus récemment la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal et son bouillant président, Maxime Laporte. Plus de 15 ans de rebondissements et d’attente. Voilà le jugement!
Le juge Claude Dallaire valide la constitutionnalité de la Loi 99. Ce constat doit être nuancé par deux réserves : on s’attend à ce que le jugement soit porté en appel puis se rende à la Cour suprême du Canada. Patience. Aussi, le juge Dallaire semble avoir cautionné les représentations hybrides des procureurs du Québec et du Canada davantage que celle de la SSJBM : la Loi 99 est plutôt un symbole qu’un acte législatif portant conséquence ou créant un «nouveau Droit».
Ainsi, le droit à l’autodétermination du Québec et son exercice demeureraient assujettis à la Constitution canadienne et ne s’exerceraient qu’à l’intérieur du territoire, des institutions et des juridictions du Québec en vertu de cette même Constitution. Entre les clôtures d’un enclos qu’on lui a imposé, le Québec est libre. La SSJBM et son président ont fait œuvre très utile en voulant garantir une portée politique et constitutionnelle trébuchante et sonnante au jugement Dallaire. Le Juge semble au contraire cautionner la Loi 99 parce qu’il la considère bien inoffensive.
Chaque peuple qui se reconnaît tel — et même si personne ne semble convenir d’une définition — jouit du droit à l’autodétermination, d’une forme naturelle et inhérente de souveraineté. Ce droit, cette souveraineté n’ont aucun sens si un pouvoir extérieur peut en restreindre la portée. C’est même farfelu.
De même, les lois sont votées par les parlements puis appliquées par un système judiciaire au sommet duquel siègent les juges. Les juges et les tribunaux ne sont pas les patrons des parlements élus. Ils en sont les instruments. Bien sûr, il convient de respecter la règle de droit, mais la règle de droit ne saurait soumettre un peuple à l’autorité d’un autre.
Tous les peuples sont souverains. Il leur revient, librement, de choisir la part de cette souveraineté qu’ils exerceront de façon indépendante et ce qu’ils en partageront de façon librement consentie avec des partenaires de leur choix. C’est ce droit qu’on refuse aux Catalans, aux Kurdes, aux Tibétains, entre autres, et que l’Écosse et le Québec ont décidé de largement céder aux institutions issues de la conquête par les armes britanniques il y a bien, bien longtemps.
Il n’y a pas que des souverainistes au Québec. Le droit à l’autodétermination porte celui de l’indépendance politique, mais aussi le droit de ne pas s’en prévaloir. Cette abstention ne l’éteint pas pour autant et le peuple pourra toujours et tant qu’il le voudra y revenir en vertu de règles claires et largement reconnues.
LES PERDANTS…
Porteurs d’une vision répressive de la démocratie, du droit à l’autodétermination des peuples et de l’instrumentalisation des parlements, Messieurs Trudeau père, Chrétien et Dion sont les perdants momentanés de cette saga juridique.
… LES GAGNANTS
Évidemment, on permettra de prétendre que ce sont les Québécois, toutes préférences confondues, qui y gagnent sans toutefois passer sous silence le rôle prépondérant de Joseph Facal et Maxime Laporte.
Tant qu’une convention internationale n’aura pas disposé les jalons de ce qu’est un peuple, de ses droits inhérents et de la façon de les exercer pour en assurer la reconnaissance, la Loi 99 devra être défendue bec et ongles pour les Québécois certainement, mais aussi pour tous les peuples soucieux de perpétuer leurs droits.