Jean François Bouthillette, Les années lumière | Radio-Canada
Les trésors archéologiques du site Cartier-Roberval, à Cap-Rouge, sont livrés aux ravages des éléments et des animaux. Les scientifiques lancent un cri d’alarme. À défaut de pouvoir reprendre les fouilles, ils assistent, impuissants, à la disparition accélérée de tout un chapitre de l’histoire nationale.
Ce qui reste de la toute première tentative d’installer des Français en Amérique est en passe d’être englouti. Découverts en 2005, les vestiges du village fortifié fondé par Jacques Cartier en 1541, à l’embouchure de la rivière du Cap Rouge, n’ont été fouillés que partiellement avant d’être abandonnés.
Ce n’est pas un site rare : c’est un site unique! Il n’y a pas d’autre installation de cette époque. Si on perd des données de ce site, c’est une connaissance qui sera perdue à jamais.
Les archéologues en ont fouillé 336 m carrés, de 2006 à 2008. Mais le site s’est révélé plus étendu que prévu, avec ses fortifications en haut du promontoire, et d’autres en contrebas. Ils estiment que 80 % de ce qu’il y a à trouver sur place est toujours sous terre, dans le boisé de ce qui est aujourd’hui un parc de Cap-Rouge.
« Au bout de 2008, la fouille n’était pas terminée, mais il a fallu fermer le site », se désole Richard Fiset, qui a dirigé les fouilles avec son collègue Gilles Samson. Alors que le 400e anniversaire de Québec battait son plein, le gouvernement avait fermé le robinet financier.
Les archéologues demandent depuis lors de pouvoir poursuivre leur travail. À la Commission de la capitale nationale, on leur répond que leur projet est toujours à l’étude. Autrement dit, le financement nécessaire ne leur est toujours pas accordé.
En quittant le site, les chercheurs ont recouvert les unités de fouille de structures en bois et de toiles de polyéthylène. Ces précautions devaient protéger les vestiges pendant cinq ans, tout au plus.
Neuf ans plus tard, toujours empêchés de poursuivre leurs recherches, ils se sont inquiétés du sort des précieux artéfacts. En allant en vérifier l’état, l’an dernier, ils ont pu mesurer l’ampleur du désastre.
À la merci du pH et des marmottes
Des spécialistes des sols et de la conservation leur ont confirmé que l’acidité élevée de la terre de Cap-Rouge a non seulement détruit toute la matière organique qui n’avait pas été carbonisée, mais qu’elle continue de gruger le métal qui s’y trouve.
Les cotes de mailles, carreaux d’arbalète, jetons de change et autres objets métalliques tirés du site il y a dix ans étaient déjà mal en point. On craint de perdre les pièces qui dorment toujours sur place, si on ne les tire pas de là rapidement.
Dans un rapport présenté à la Commission, en février dernier, les archéologues font état d’une autre découverte inquiétante. Des rongeurs ont pris possession du site délaissé, endommageant les structures de protection et détruisant des artéfacts.
La biologiste Béatrice Carrier, étudiante à la maîtrise à l’Université Laval et spécialiste des marmottes, est venue inspecter les lieux à la demande des archéologues.
Elle a constaté que les marmottes, qui cherchent chaque automne des galeries à 1,5 m sous terre pour hiberner, ne pouvaient pas trouver surprise plus agréable que ces cavités accueillantes, libres, bien protégées et situées tout juste à la bonne profondeur.
« Pour une marmotte qui arrive à l’automne, un site archéologique, c’est génial, explique-t-elle. Moi, j’appelle ça un développement immobilier pour marmottes! »
Les rongeurs ont fait des dégâts dans les structures de protection, mais aussi dans les vestiges, a-t-elle pu remarquer. « Des poutres entières, des artéfacts archiprécieux, ont été consommées par les marmottes », dit-elle.
Des tamias, des campagnols et des souris sylvestres ont aussi profité du site, y construisant des nids et y stockant des vivres. Ce faisant, explique la biologiste, ils ont brisé des structures, mais aussi activé le sol et permis aux champignons et à la moisissure d’attaquer le bois.
Un bien triste sort pour les vestiges qui peuvent encore témoigner de la façon dont Cartier avait installé les fondations de l’Amérique française dès la première moitié du 16e siècle.
Le vrai berceau de l’Amérique française, 1541-1543
C’est en 1541, près de 70 ans avant la fondation de Québec par Champlain, que la France tente pour la première fois d’installer des colons au Nouveau Monde.
L’explorateur Jacques Cartier, à son troisième voyage en Amérique, construit Charlesbourg-Royal au bord du fleuve Saint-Laurent, sur un promontoire à l’embouchure de la rivière du Cap Rouge, un endroit qui sera un jour le quartier du même nom à Québec.
Sa troupe de quelques centaines de personnes sera remplacée l’année suivante par un groupe mené par Jean-François de La Rocque, sieur de Roberval, qui change le nom de l’établissement pour France-Roy. Les colons s’installent, tandis que Roberval continue de chercher le fameux Royaume du Saguenay et un passage vers l’Asie.
Les rigueurs de l’hiver, la faim, le scorbut, les affrontements avec la population locale et la reprise de la guerre, en Europe, sonnent bientôt le glas de la petite colonie. Dès l’été 1543, l’endroit est abandonné par les survivants.
L’aventure n’aura duré que deux ans. Mais ce promontoire de Cap-Rouge est bien le berceau de l’Amérique française.