par Jean-Pierre Durand
Cinquante-et-un ans après sa fondation en 1834, Adolphe Ouimet devient le 32e président de la SSJB, succédant à Thomas-Jean-Jacques Loranger (voir Le Patriote, octobre 2010). Né en 1840, Adolphe Ouimet fut en son temps un journaliste renommé et un éminent avocat. Il épouse en 1866, à Montréal, Adélaïde L’Huissier, native de St-Louis, au Missouri, là où s’était réfugié son père (Louis L’Huissier), un Patriote, après une spectaculaire évasion des prisons de Montréal en 1837. Ils auront dix enfants (rappelons au lecteur que la télévision n’avait pas été inventée, qu’il y avait un déficit de loisirs et que les curés étaient persuasifs).
En 1857, Adolphe Ouimet fonde un hebdomadaire, La guêpe, avec Cyrill Boucher, mais l’entreprise ne dure que quelques années. En 1858, sous le pseudonyme de Sophog Velligul (où diable ce pseudo lui avait-il été inspiré ?), Ouimet fait paraître une série de portraits satiriques intitulée Les contemporains canadiens. Il y fustige l’Institut canadien (un lieu de débats qui soutient le Parti rouge, successeur idéologique de l’ancien Parti patriote) qui semble avoir pris à coeur de posséder dans son sein toutes les nullités contemporaines. On aura compris que notre homme n’est pas un libéral, d’autant que c’est en cette même année (1858) que l’Église catholique entreprend sa croisade contre cet Institut pour la simple et unique raison qu’il défend la liberté d’expression.
En 1870, il fonde avec Benjamin-Antoine Testard de Montigny, Le Franc-parleur, un journal qui est partisan d’un conservatisme social et religieux des plus stricts, autrement dit plus catholique que le pape. C’est un organe des ultramontains radicaux qui prônent la suprématie de l’Église sur la vie politique. On y critique constamment la montée du socialisme, du communisme et du libéralisme. Il a pour devise d’être « le journal à tous, le journal pour tous ». Et son objectif est pour le moins ambitieux, pour ne pas dire prétentieux, si l’on pense à ce qu’écrivaient au moment de son lancement Messieurs Ouimet et Testard de Montigny : Dire la vérité à tout prix, sur les hommes et sur les choses, en dehors de toute idée d’ambition, à l’abri de toute influence sectionnelle, parler sans colère sur ce qui nous entoure, ridiculiser ceux qui sont ridicules ou le deviennent, élever ceux qui le méritent, voilà, à proprement parler, notre catéchisme politique.
Dans ce premier numéro du Franc-parleur, daté du 28 juillet 1870, un article écrit par Ouimet est même consacré à la SSJB. Permettez que je vous en livre un large extrait : Nous apprenons avec un plaisir indicible, qu’un mouvement très prononcé et venant de haut, se fait sentir actuellement dans notre société, tendant à donner à la St.Jean Baptiste de Montréal, un caractère de vitalité, de nationalité plus en rapport avec les aspirations de son honoré fondateur, M. Ludger Duvernay. (…) Depuis plusieurs années, une apathie coupable, a retenu loin de cette association, bon nombre de citoyens marquants et influents… (…) Cette insouciance de nos intérêts, a pris naissance (…) dans certaines querelles politiques, que les coteries, les pactes de famille, n’ont pas peu aidé à maintenir à l’état latent. Notre intention n’est pas de discuter, dans ce court article, la vérité, la justesse des accusations auxquelles le trop grand zèle et la soif dévorante des honneurs éphémères ont pu donner prise jusqu’aujourd’hui. (…) Que nos compatriotes se le tiennent pour dit : la St.Jean Baptiste est trop intimement liée au bonheur, aux intérêts du peuple canadien-français, pour qu’elle tombe ainsi sans gloire et s’éteigne sans bruit. S’il existe une plaie, à nous de la guérir ; s’il y a des torts, à nous de les réparer, mais pour Dieu, qu’il ne soit pas dit, qu’une société nationale, comme la St.Jean Baptiste, aura vivoté, faute d’entente, d’union et d’encouragement, au milieu d’une population (…) professant la même foi, ayant les mêmes moeurs et parlant la même langue.
C’est en 1885 qu’Adolphe Ouimet devient président de la SSJB. John A. Macdonald est alors premier ministre du Canada. C’est une époque où bon nombre de Canadiens français vont s’établir aux États-Unis : près d’un million déjà qui s’assimileront avec les décennies. Cette année-là, l’armée canadienne écrase la rébellion métisse à Batoche (Saskatchewan). Cela sera suivi du procès de Louis Riel à Régina, qui sera condamné à la peine capitale. À l’appel de personnalités comme Adolphe Ouimet et Honoré Mercier, cinquante mille Canadiens français se réunissent au Champ-de-Mars à Montréal pour protester. La colère ne se serait jamais apaisée si une épidémie de variole n’avait pas mis un terme aux manifestations et aux réunions publiques à Montréal. Le 16 novembre, Riel est pendu. Quatre jours plus tard, réunis en séance extraordinaire, les membres de la SSJB, toutes tendances politiques confondues, condamnent unanimement l’exécution de Riel, victime du fanatisme orangiste. Entre autres résolutions, la SSJB décide d’organiser un service solennel chanté à l’église Notre-Dame, mais le haut clergé, effrayé par l’ampleur de l’agitation soulevée par la pendaison, pose ses conditions afin de limiter le faste des célébrations. Ainsi, Mgr Fabre ne veut rien entendre d’un cortège à l’église avant ou après la cérémonie, non plus que les membres de la SSJB ne portent des insignes et bannières de deuil et il refuse aussi que le prix fixé pour la cérémonie soit réduit… bref, cette cérémonie funèbre ne peut en aucun cas se transformer en manifestation politique. Évidemment, à cette époque, on conteste rarement ce que l’évêque décide et on préfère se soumettre, c’est ce qu’Adolphe Ouimet recommandera et c’est ce qu’on fera. Mais si Ouimet fut obéissant, il n’oublia pas.
En 1889, alors qu’il n’est plus président de la SSJB, Ouimet rédige, avec Benjamin- Antoine Testard de Montigny, un bouquin intitulé Louis Riel, la Vérité sur la question métisse au Nord-Ouest, dans lequel il démontre en termes clairs et précis que la Compagnie de la Baie d’Hudson n’avait plus aucun droit sur le pays depuis 1859 et que les autochtones en étaient les propriétaires légitimes. Autrement dit, le soulèvement métis était justifiable face à un gouvernement de mauvaise foi. Ne serait-ce que pour cette oeuvre marquante e substantielle, Adolphe Ouimet mérite notre reconnaissance.
Adolphe Ouimet décède le 13 mars 1910.
SOURCES BIBLIOGRAPHIQUES
POTEET, Maurice (sous la direction de). Textes de l’exode, Montréal, Guérin Littérature, 1987, 506 pages.
ROY, Fernande. Histoire des idéologies au Québec aux XIXe et XXe siècles, Montréal, Boréal, 1993, 128 pages.
RUMILLY, Robert. Histoire de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal. Des Patriotes au fleurdelisé, 1834-1948, Montréal, Éditions de l’Aurore, 1975, 564 pages.