Canadien français, un terme qui peut cacher une méprise

Yvan Lamonde | Le Devoir

 


En 1937, l’abbé Groulx pouvait, devait écrire: «Quand on ne peut tout sauver, on sauve ce que l’on peut. Et rien ne servirait de périr tous ensemble sous prétexte de s’entraider.»

 

 

Le destin incertain de la souveraineté après la défaite du Parti québécois et la recrudescence effervescente de la question du fait francophone en Ontario ont remis en circulation l’idée d’un Canada français et d’une identité canadienne-française. On revient avec cette idée comme si elle était porteuse d’une solution identitaire et politique, oubliant qu’elle fut un jour évidée de son contenu historique.

Elle le fut en deux étapes principales. À la suite d’abord de l’escalade des crises scolaires et des défaites des minorités catholiques et françaises dans toutes les provinces du Canada, de la liquidation de Riel, de deux conscriptions, avec comme résultante qu’il n’y avait plus, vers 1920, qu’au Québec où une majorité francophone était assurée et assurée d’un avenir. Déjà en 1937 dans Directives, l’abbé Groulx pouvait, devait écrire : « Quand on ne peut tout sauver, on sauve ce que l’on peut. Et rien ne servirait de périr tous ensemble sous prétexte de s’entraider. » Puis en 1964 et 1967, les États généraux du Canada français vinrent ratifier cet état de choses : l’idée et la réalité d’un Canada français construit comme entité composée du Québec et des lieux francophones au Canada moururent devant l’affirmation d’un Québec au destin manifeste.

La méprise de voir en l’idée et dans le lexique du Canada français une voie d’avenir réside dans la prétention de trouver et de nommer une nouvelle entité politique recomposée du Québec et des francophonies canadiennes — le pluriel est crucial pour elles. On peut faire la gageure que la chose n’est pas en soi inconcevable ; il faut simplement savoir ce qu’on dit et savoir ce que l’on nomme.

On voit bien, au-delà de quelque partisanerie, ce qu’il faudrait oublier et ce qu’il faudrait inventer comme mémoire pour refaire une courtepointe canadienne-française. En empruntant cette voie, on risque de se satisfaire d’une identité culturelle en faisant l’économie du projet proprement politique (de pouvoir). Quand on connaît son histoire, cette démarche depuis 1840 revient à poser la question : comment exister sur les plans identitaire ou culturel sans projet d’émancipation politique ? L’histoire des idées au Québec, qui rend compte des projets et des politiques de ses citoyens, ne me semble pas pouvoir offrir d’alternative autre que l’indépendance ou la dépendance, obligeant chacune et chacun à nommer le souhaitable et l’acceptable de chaque position.

Parler de Canada français, certes, mais avec science et conscience historiques, sans naïveté. Un pas politique, trois pas culturel. Sur quel pied danse-t-on en « callant » le Canada français ?

 

 

 

 

 

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