YANICK BARRETTE | HUFFINGTON POST QUÉBEC | 19/01/2015
Pour une rare fois, Graham Fraser a dérapé. Oui, cette fois, pour reprendre une bonne vieille expression anglaise, il s’est bel et bien mis un pied dans la bouche lorsqu’il a osé dire que le Québec n’en faisait pas assez pour protéger la minorité anglophone. Méditons, si vous le voulez bien, sur cette affirmation un instant : « Ne-pas-en-faire-assez »… Ensemble, vous et moi mon cher Graham, regardons ça de plus près…
Selon les plus récentes statistiques (2011), le Québec comptait près de 700 000 anglophones (un peu moins de 9% de la population totale), tandis que le Canada comptait un peu plus de 7 millions de francophones, soit plus de 22% de la population. En faisant abstraction des Franco-québécois, le nombre de Franco-canadiens s’établissait à environ 1 million, donc près de 4% de la population (sans le Québec). Maintenant que les faits démographiques sont établis, jetons un bref regard non scientifique, mais tout de même révélateur, sur la situation.
Les Franco-canadiens (abstraction faite du Québec) bénéficient, depuis l’abolition de la régie Beauséjour au Nouveau-Brunswick, d’un grand total de deux hôpitaux francophones pour l’ensemble du pays, soient Montfort en Ontario et Saint-Boniface au Manitoba. À titre comparatif, les Anglos-québécois ont accès à plus d’une quinzaine d’hôpitaux de langue anglaise, sans compter qu’ils peuvent être servis sans problème en se présentant dans un hôpital de langue française, ce qui n’est pas le cas pour la très grande majorité des francophones hors Québec.
Et les commissions scolaires ? Oublies-tu les commissions scolaires mon cher Graham ? Et les institutions d’enseignement supérieur ? Au Québec, il y a John Abbott, Dawson, Marianopolis, Champlain regional, Heritage, Vanier, McGill, Bishop, Concordia, qui sont de langue anglaise. Au Canada, il y a sept institutions universitaires accessibles pour les francophones, mais elles sont, pour la plupart, bilingues et non entièrement de langue française. Une différence à ne pas négliger, j’en ai bien peur.
Et la vie culturelle ? Les anglophones sont-ils désavantagés par rapport aux francophones dans ce domaine aussi mon cher Graham ? Mis à part Radio-Canada, qu’on tente d’ailleurs de démanteler à grands coups de hache, RDS et quelques émissions soporifiques, les francophones à l’extérieur du Québec ne sont pas les plus gâtés en terme télévisuel. Même chose pour la musique et la littérature, tandis que les Anglo-québécois bénéficient d’une variété culturelle impressionnante pour ne pas dire triomphante.
Et la vie sociale ? Qu’en est-il des services quotidiens pour les millions de Canadiens ? C’est bien ce que je pensais… Pendant que la minorité anglophone pourra même se faire comprendre au Saguenay ou à Amos, le francophone à Vancouver ou Calgary devra, de toute évidence, parler la langue de Shakespeare s’il désire être servi et compris. C’est normal me direz-vous, les anglophones sont plus de 300 millions en Amérique du Nord. Justement, justement… l’art de mener le mauvais combat!
Ainsi, mon cher Graham, à la place de t’enfoncer davantage le pied dans la bouche, il serait peut être temps de retourner à la défense des intérêts des Franco-canadiens et même des Franco-québécois auprès des maîtres conservateurs de l’unilinguisme anglo-canadien. Elle est là la vraie menace ; il est là le véritable danger. L’idée ici n’est pas de nier les droits fondamentaux des anglophones du Québec, bien au contraire, mais de rétablir les faits sur une situation clairement défavorable pour l’une des deux langues officielles et ceux qui la parlent.
Alors que certains sont encore convaincus de leur supériorité – lire ici Me Anne-France Goldwater et son message Twitter indiquant que « Les Anglais ont construit cette province [Québec] et pour chaque anglophone qui quitte, la province s’appauvrit » (traduction libre) – peut être devrais-tu, mon cher Graham, faire ton boulot comme il se doit et, en ce sens, voir à ce qu’une certaine équité soit assurée à l’échelle du Canada. Après, peut-être, serons-nous prêts à tendre l’oreille et à écouter tes doléances sur cette pauvre minorité anglophone tant menacée.
SOURCE : Cette pauvre minorité anglophone menacée