François-Albert Angers

François-Albert Angers
François-Albert Angers

Il y a quelques semaines, je me suis trouvé à souper avec un petit groupe chez une dame qui nous avait invités dans son logis, de façon impromptue, pour nous permettre de terminer une réunion amorcée quelques heures plus tôt dans un café. D’ordinaire, mon côté sauvage m’aurait conduit à décliner l’invitation, mais l’hôtesse insistait avec un si beau sourire qu’il me parut inconvenant de la contrarier. D’autant qu’elle nous proposait de nous servir des pâtes aux champignons… vous auriez fait quoi à ma place ?

J’ignore comment cela est venu sur le tapis, mais, au cours du repas, alors que j’évoquais les premières manifs auxquelles je pris part pour la défense du français, dans les années soixante-dix, notre hôtesse nous apprit qu’elle était la nièce de François-Albert Angers. Bien sûr, elle ne l’avait pas bien connu, cet oncle, mais elle n’en était pas moins fière. Et pour cause, car cet homme a été à la fois un intellectuel engagé et une figure de proue du mouvement nationaliste.

Il y a aura bientôt cinq ans, le 14 juillet, que François-Albert Angers mourait, à l’âge de 94 ans. Né à Québec, le 31 mai 1909, fils de notable (son père était médecin), Angers entreprend des études en économie, d’abord à l’École des hautes études commerciales de Montréal, en 1934, puis à l’École libre des sciences politiques de Paris. À son retour à Montréal, il devient assistant professeur aux H.E.C. où il collabore notamment avec Esdras Minville. Il devient par la suite professeur agrégé, puis titulaire de sciences économiques. Il enseignera dans cet établissement jusqu’en 1974.

Parallèlement à sa carrière d’universitaire, Angers fut aussi un chef de file du mouvement nationaliste. Il dirigea des revues prestigieuses (dont L’Actualité économique, de 1938 à 1948, et L’Action nationale, de 1959 à 1968). Il fit partie d’innombrables conseils d’administration, tant dans le monde des affaires et dans le mouvement coopératif que dans les organisations nationalistes. Il fut aussi président de nombreux organismes et associations : la Ligue d’Action nationale, de 1955 à 1985, la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal, de 1969 à 1973, le Mouvement Québec français, de 1972 à 1980, pour n’en citer que quelques-uns. Bref, à son implication intellectuelle, se greffait chez lui un engagement social et national peu commun. Un souci constant de faire grandir les siens. Bernard Landry l’a formulé ainsi : Les gens disaient que les francophones n’étaient pas faits pour les affaires, qu’ils n’avaient pas le talent pour les affaires. Angers a formé des hommes d’abord, et après des femmes, qui ont prouvé exactement le contraire.

Avant de se faire connaître comme un nationaliste, préoccupé par la défense de la langue et de l’identité des « Canadiens français », comme on disait à l’époque, Angers avait été un éminent théoricien du corporatisme, proche de certaines figures de la droite nationaliste des années trente. Une anecdote savoureuse vaut ici la peine d’être racontée. En 1973, alors que Jacques Ferron recevait le prix littéraire Duvernay et la médaille Bene merenti de patria des mains de François-Albert Angers, qui présidait notre Société, le malicieux écrivain en profita pour déclarer : Il y a quinze ans, vous ne m’auriez pas serré la main, M. François-Albert Angers. Moi non plus, d’ailleurs. Vous étiez un droitiste de la plus belle eau, j’étais un méchant gauchiste. Il faut croire que l’un de nous a changé. Il est vrai qu’à l’époque, vous aviez le regard tourné vers notre douce mère indigne : la France. Moi, je ne regardais qu’ici. Enfin, tout cela est le passé, et certainement que les torts sont des deux côtés. Je prends donc un dixième des torts et, généreux, vous laisse les autres neuf dixièmes. Du Ferron tout craché, qui a sûrement amusé François-Albert Angers, dont on dit qu’il était un être attachant.

Économiste doué, professeur émérite, Angers, qui a formé plusieurs générations de Québécois aux sciences économiques, a aussi laissé, on s’en doute, sa part d’écrits et d’études portant sur des questions sociales, économiques et linguistiques. S’il eut des maîtres à penser comme Édouard Montpetit et Esdras Minville, il eut aussi à son tour de brillants protégés, parmi lesquels Jacques Parizeau. Lors de son décès, Jean Dorion le décrivit à juste titre comme un personnage tourné vers l’économie appliquée et les affaires. Et, en même temps, poursuivait monsieur Dorion, il était un homme de principes. Loin d’être cynique comme plusieurs hommes d’affaires le sont, il s’est battu pour les droits du français au Québec et pour l’indépendance. L’année où l’on célèbrera le 175e anniversaire de la SSJB, en 2009, marquera également le centenaire de naissance de François-Albert Angers. Il ne faudra pas manquer de le souligner.

Finalement, notre hôtesse d’un soir et nièce de monsieur Angers insista pour me raccompagner à l’arrêt d’autobus en dépit du froid de loup qui sévissait. Je la remerciai pour le repas et son hospitalité. Tout le plaisir, répliqua-t-elle, avait été pour elle. En posant le pied sur la première marche de l’autobus, je me suis demandé s’il se pouvait que dans ses gènes il y eut un peu de cette grandeur d’âme dont faisait preuve son oncle…

Jean-Pierre Durand