Jeanne Mance et ses murs

Danièle Tremblay | Le Devoir

 

 

Il y a quelques jours, nous apprenions que le CHUM avait fait démolir une partie du mur d’enceinte de l’Hôtel-Dieu, sans l’autorisation du ministère de la Culture. Si le patrimoine bâti « prend le bord » sans remords, sans que l’on tienne compte de ses liens avec notre histoire, que dire alors de la disparition du nom même de l’hôpital Hôtel-Dieu !

Cette suppression du patrimoine symbolique, c’est-à-dire « non bâti », est passée sous silence. Jeanne Mance, une des fondatrices de Montréal, a donné ce nom à l’hôpital qu’elle a mis sur pied dans la pure tradition de son époque, tradition qui prend racine dans l’histoire des Hôtels-Dieu de la médecine française. Depuis le début de la colonie et malgré les déménagements, l’hôpital a gardé son nom. Maintenant, nous avons le « Nouveau CHUM » ; plus aucune trace de l’ancien Hôtel-Dieu.

À l’occasion du 375e anniversaire de la fondation de Montréal, cette grande pionnière qu’a été Jeanne Mance a été reconnue comme cofondatrice de Ville-Marie avec Sieur de Maisonneuve. Récemment, quelques-uns ont signé l’arrêt de la continuité symbolique de son oeuvre dans le domaine hospitalier en n’associant pas le nom de l’Hôtel-Dieu au nouveau CHUM. Pourtant, il semble qu’il y ait eu des demandes pour qu’il y soit associé. La proposition a été refusée parce qu’elle aurait fait des jaloux, dit-on, chez les autres hôpitaux qui ont été intégrés au Nouveau CHUM. Si cette histoire est vraie, je suis sans mots devant un tel effacement des traces de notre histoire et de notre culture. Est-ce que quelqu’un peut me dire de quoi il retourne ? Est-ce que nous ne pourrions pas réparer cette situation, comme nous réparerons le mur démoli, afin de réhabiliter le nom de l’Hôtel-Dieu et l’oeuvre de Jeanne Mance ?

Même en ce qui concerne le patrimoine bâti récent, encore une fois, on trouve déjà trop d’oublis. Dans le hall d’entrée du « Nouveau CHUM », nous retrouvons un rappel de l’architecture urbaine grâce à la présence d’un oriel et, à l’extérieur, grâce à l’intégration du clocher de l’église Saint-Sauveur à l’ensemble du CHUM. Pendant ce temps, dans la cour de l’ancien hôpital, au milieu du stationnement, la statue de Jeanne Mance faite par Louis-Philippe Hébert témoigne du rendez-vous manqué avec l’histoire. Pourquoi ne pas avoir intégré à la fois l’oeuvre de Jeanne Mance, en conservant son nom, et celle de Louis-Philippe Hébert ?

Et tant qu’à bien faire, pourquoi ne pas nommer tout l’ensemble « CHUM Jeanne-Mance », ce qui ferait honneur à la cofondatrice de Montréal et garderait son oeuvre en mémoire ?

Je ne suis pas historienne, mais à ma connaissance c’est la première fois que le rôle d’une femme aurait été reconnu dans l’histoire de l’Amérique. Est-ce que Jeanne Mance ne sera plus que le nom d’une rue ? Ou d’une école ? La cofondatrice de Montréal et fondatrice de son premier hôpital vient de se heurter à un mur d’incurie.

 

 

 

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