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La monarchie n’a aucune acceptabilité sociale au Québec

 

par André Binette  | LE DEVOIR

L’Assemblée nationale a posé en 2023 deux gestes significatifs pour l’abolition de la monarchie au Québec. Au début de l’année, elle a aboli le serment d’allégeance des députés au roi du Canada. Le 8 décembre, elle a réclamé dans une belle unanimité l’abolition de la fonction de lieutenant-gouverneur. Félicitons plus particulièrement le Parti québécois (PQ) et Québec solidaire (QS), qui ont été à l’origine de ces mesures et ont su collaborer sur une question d’importance historique au-delà de leurs intérêts partisans.

Ce faisant, nos élus reflètent la volonté claire et indiscutable du peuple québécois et des électeurs de chaque parti représenté à l’Assemblée nationale. Selon les sondages, plus de 70 % des Québécois, dont 80 % des francophones, veulent l’abolition de la monarchie. Il aurait été particulièrement antidémocratique pour le gouvernement du Québec de continuer à refuser d’exprimer ce puissant consensus.

Le représentant de la monarchie à l’intérieur de l’Assemblée nationale est le lieutenant-gouverneur. Il est logique que cette fonction soit particulièrement visée. Le lieutenant-gouverneur est le ventre mou de l’État canadien et de la Constitution canadienne, qui a été imposée plus d’une fois au Québec. Selon cette constitution, aucun projet de loi adopté par l’Assemblée nationale ne peut devenir une loi sans la signature du représentant du roi nommé par Ottawa. Cette structure fondamentale de l’État canadien est devenue complètement inacceptable. Elle est rejetée par l’État et le peuple québécois. Sur ce point, il existe une flagrante incompatibilité constitutionnelle.

Le gouvernement canadien cherche désespérément à prolonger la durée de vie des institutions monarchiques agonisantes en nommant des femmes autochtones du Québec aux postes de gouverneur général et de lieutenant-gouverneur. C’est une tentative stérile d’opposer les nationalismes québécois et autochtones. Cette instrumentalisation fédérale de la cause autochtone ne fonctionnera pas parce que les Autochtones contemporains ne semblent pas plus attachés à la monarchie que l’ensemble des Québécois ou des immigrants. Les Autochtones ont une vision plus moderne et approfondie de notre société.

Déni

À l’époque de la remise en question globale et croissante de la monarchie britannique au Royaume-Uni même, en Australie, dans l’ensemble du Commonwealth, y compris au Canada anglais, il est évident que cette question se posera avec de plus en plus d’acuité dans les prochaines années. La position actuelle du Canada sur ce sujet est la même que pour la question non résolue du Québec : le déni. Ces deux formes de déni ont une cause commune : la paralysie constitutionnelle qui a suivi les événements de 1982 et le match nul référendaire de 1995.Le Canada est incapable d’abolir la monarchie parce que les règles qu’il a imposées au Québec le forcent paradoxalement à obtenir le consentement de ce dernier. Ce consentement québécois ne peut pas être donné sans une refonte majeure de la Constitution que le Canada refuse d’envisager. La question de la monarchie révèle l’impasse constitutionnelle dans laquelle Pierre Elliott Trudeau a entraîné le Canada.

L’Assemblée nationale ne peut plus s’arrêter là. Elle a annoncé ses couleurs et pris les devants comme il le fallait dans ce qui pourrait être l’ultime débat constitutionnel dans le cadre canadien. Pour tous, la monarchie est incompatible avec les valeurs québécoises de démocratie et d’égalité. Ce débat affirme sainement et hautement notre identité nationale. La monarchie et ses représentants n’ont aucune acceptabilité sociale au Québec.

L’erreur à éviter est de demander la réouverture de la Constitution canadienne. Une politique constitutionnelle québécoise du XXIe siècle doit convenir qu’une telle demande n’est plus réaliste. Nous devons construire notre propre constitution en abolissant la monarchie au Québec.

Des actions unilatérales

L’Assemblée nationale doit prendre d’autres actions unilatérales et plus concrètes à cette fin. Elle doit réduire à zéro le budget du lieutenant-gouverneur, l’inviter à vider ses bureaux de l’Assemblée nationale, ne plus jamais lui permettre de mettre les pieds dans le périmètre de l’Assemblée, retirer la masse qui symbolise la présence et l’autorisation royales aux débats de nos élus, modifier les armoiries du Québec qui figurent sur les documents officiels.

Surtout, elle doit ajouter à la signature du lieutenant-gouverneur sur les projets de loi adoptés une deuxième, celle de la présidente de l’Assemblée nationale, qui aura tout de suite une plus grande légitimité. Cette signature sera la seule valable en droit québécois, jusqu’au jour où le titulaire d’une véritable présidence de l’État ou de la république du Québec pourra l’apporter. Ainsi, la fonction de lieutenant-gouverneur, issue d’un passé colonial, sera assurément marginalisée avant de disparaître complètement. Personne ne le regrettera.

Tous ces actes unilatéraux sont compatibles avec la constitution canadienne actuelle. Aucun ne pourra être contesté avec succès devant les tribunaux. Les éléments requis ne sont pas juridiques : ce sont la volonté, le courage et la lucidité. Aucun parti représenté à l’Assemblée nationale ne risquera son bénéfice politique pour défendre la monarchie.

La république du Québec est doucement en train de naître sous nos yeux. Elle pourra être proclamée au regard de la constitution du Québec comme prélude à un troisième référendum sur la souveraineté. Ce sera une juste expression du droit à l’autodétermination du peuple québécois.

André Binette
L’auteur est constitutionnaliste. Il a publié La fin de la monarchie au Québec.  Il cosigne ce texte avec

Marie-Anne Alepin (productrice, actrice et présidente générale de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal) ;
Marc Chevrier (professeur de science politique à l’UQAM) ;
Maxime Laporte (avocat et président du Mouvement Québec français) ;
Guillaume Rousseau (professeur titulaire de droit à l’Université de Sherbrooke);
Daniel Turp (professeur émérite de droit à l’Université de Montréal).

 

 

 

 

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