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La Société Saint-Jean-Baptiste au XIXe siècle, l’antichambre du pouvoir à Québec

Article de Jean-Paul Champagne paru dans Le Bulletin de l’Amicale, volume 11, numéro 1, Québec, Printemps 2010.

En 2009, la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal célébrait le 175e anniversaire de sa fondation. Dans l’édition du mois de novembre, le journal de la Société, Le Patriote, publiait la liste des 79 anciens présidents qui ont dirigé les destinées de cet organisme depuis 1834. Il est surprenant de constater que 21 anciens présidents ont siégé à l’Assemblée législative du Québec au cours du XIXe siècle et deux seulement au cours du XXe siècle, dont votre humble serviteur.

Ayant été le 72e ancien président de la Société en 1977, c’est à ce titre que le rédacteur du Bulletin de l’Amicale m’a demandé de faire ressortir la relation de ces anciens parlementaires avec la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal.

Ainsi, dès les débuts, le président fondateur de la Société, Ludger Duvernay, entretiendra le patriotisme et l’esprit de solidarité auprès de l’élite de Montréal. Pour l’historien Robert Rumilly, auteur de L’histoire de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal de 1834 à 1948, le mouvement représentait  » la quintessence de Montréal », ce qui n’était pas rien…

Soulignons que deux anciens présidents de la Société ont occupé le poste de premier ministre du Québec. D’abord Pierre-Joseph-Olivier Chauveau de 1867 à 1873, député de Québec et solliciteur général, secrétaire provincial et ministre de l’Instruction publique et ensuite Gédéon Ouimet, premier ministre en 1873 et 1874. Ce dernier représentait le comté de Beauharnois et des Deux-Montagnes, en plus d’occuper le poste de ministre de l’Instruction publique.

Pour sa part, Georges-Étienne Cartier, le 9e président de la Société, était député de Verchères et de Montréal-Est. Il a été l’un des fondateurs de la Société et un membre très actif. Autoritaire de nature, il dominera la vie politique de son époque. Il sera l’un des pères de la Confédération en 1867 avec l’appui des conservateurs et du clergé. La Confédération se réalisera dans l’indifférence générale de la population, mais divisera les membres de la Société en raison des diverses tendances idéologiques prévalant à l’intérieur de celle-ci.

Dans les premières années d’existence de la Société, quelques députés seront emprisonnés au cours de leur mandat, étant des sympathisants de la Rébellion de 1837-1838.

• Ludger Duvernay, député du comté de Rouville et du comté de Lachenaie fut emprisonné en 1828, 1832 et 1836 sous l’accusation de diffamation. Il s’exilera aux État-Unis de 1837 à 1842.

• Denis-Benjamin Viger, député de Montréal-Ouest, de Richelieu et de Trois-Rivières, sera membre du Conseil législatif et premier ministre- adjoint du Canada de 1843 à 1846. Il sera emprisonné du 4 novembre 1839 au 16 mai 1840.

• Augustin-Norbert Morin qui au cours de sa vie parlementaire aura été député des circonscriptions de Bellechasse, Nicolet, Saguenay, Terrebonne, et de Tadoussac-Chicoutimi sera aussi emprisonné pour haute trahison le 28 octobre 1839. Fondateur du journal La Minerve avec son ami Ludger Duvernay, Morin sera le rédacteur des 92 résolutions déposées et votées majoritairement au Parlement du Québec.

• Un autre député de Montréal et ancien président de la Société, Côme-Séraphin Chevrier, sera lui aussi emprisonné pour son appui au Parti des Patriotes.

En 1834 et dans les décennies qui suivront, la survie du peuple canadien-français a cristalisé le rassemblement des forces vives de nos élites. Les députés, les maires, les échevins, les avocats, les gros commerçants canadiens-français de Montréal appartiendront à la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal et travailleront ardemment à « Rendre le Peuple Meilleur » la devise qu’ils adopteront lors de sa fondation et qui deviendra le fer de lance de leur action politique, sociale, culturelle et financière.

Aussi, il ne faut pas se surprendre de voir plusieurs députés siéger à l’Assemblée législative tout en cumulant la fonction de président de la Société Saint-Jean-Baptiste.

En voici des exemples.

• En 1835, le deuxième président de la Société, Denis-Benjamin Viger cumulait la charge de Conseiller législatif et de président de la Société.

• Augustin-Norbert Morin, député de Bellechasse, sera président en 1846-1847.

• Joseph Bourret, membre et président du Conseil législatif et président de la Société sera administrateur de la Banque d’Épargne et il se préoccupera de secourir les canadiens-français nécessiteux.

• Le célèbre Georges-Étienne Cartier, représentera le comté de Verchères tout en étant le président de la Société en 1854 et 1855.

• Le député du comté des Deux-Montagnes, Gédéon Ouimet, deviendra le 20e président en 1869 et 1870.

• Charles-Séraphin Rodier, un Conseiller législatif sera le 21e président en 1871.

• Louis Beaulieu, le député d’Hochelaga deviendra le 30e président en 1882. Il fut président de l’Assemblée législative et ministre, tout en dirigeant la Compagnie de chemin de fer de la colonisation des Laurentides. Il fondera la Ville d’Outremont en 1875.

• Le Conseiller législatif et député de l’Assomption, Louis Archambault, dirigera au même moment la Société en 1876.

Enfin, Laurent-Olivier David, présidera la Société de 1887 à 1893, tout en représentant le comté de Montréal-Est.

Rendre le peuple meilleur

Comme nous le verrons, cette grande promiscuité de la Société Saint-Jean-Baptiste avec le gouvernement du Québec favorisera une convergence dans les efforts apportés à certaines orientations politiques, principalement dans le domaine de l’éducation.

En effet, la devise « Rendre le peuple meilleur » avait comme objectif de favoriser l’instruction de ceux qui forment ce peuple. Aussi, un grand nombre d’anciens présidents, députés, ministres et anciens premiers ministres mettront l’épaule à la roue pour favoriser l’épanouissement de la société canadienne-française par le volet de l’éducation.

Jean-Baptiste Meilleur, député de l’Assomption de 1834 à 1838, 10e président de la Société, deviendra le premier Surintendant de l’Éducation du Bas-Canada.

Le premier ministre du Québec, Pierre-Joseph-Olivier Chauveau, aura été Surintendant du Bureau de l’Éducation de 1855 à 1867. Il établira trois écoles normales au Québec: l’École Jacques Cartier et McGill à Montréal et l’École normale de Laval à Québec. Il créera le Journal et le Conseil de l’Instruction publique. Tout en dirigeant la Province de Québec en 1867, il assumera la tâche de ministre de l’Instruction publique.

Pour donner suite à l’importance de l’éducation, le premier ministre du Québec (1869-1870) et président de la Société, Gédéon Ouimet, ajoutera à sa fonction de chef d’État celle de ministre de l’Instruction publique.

Durant ces décennies, tous les administrateurs de la Société rêvaient d’un grand projet éducatif et culturel à Montréal. C’est à Laurent-Olivier David, président de 1887 à 1893 et ministre au Parlement de Québec, que reviendra la tâche de la conception et de la réalisation de l’édifice du Monument national.

Le premier obstacle au projet fut le financement. David frappe alors à la porte du premier ministre Honoré Mercier auquel il demande la mise en place d’une loterie annuelle. Malgré l’opposition du clergé, un arrêté en Conseil du 30 juin 1890 établira la Loterie de la Province de Québec qui changera de nom pour la Loterie du Peuple. Le gouvernement pose ses conditions: la Société doit offrir à la population les services d’une bibliothèque publique et de plus, elle doit donner des cours gratuits d’instruction pratique au Monument national.

Dans un premier temps, la Société établira des cours de commerce, d’architecture, de mines et de métallurgie, d’histoire universelle, de peinture et d’hygiène. Quelques années plus tard, suivra l’établissement d’une École de Commerce, d’une École technique et d’une École ménagère. Toutes ces initiatives aboutiront à la création de l’ École des Hautes Études Commerciales, de l’École des Beaux-Arts et de l’École polytechnique. La concertation et la persévérance dans la réalisation de ces projets éducatifs serviront à l’avancement de la société canadienne-française.

Actifs dans le milieu de la finance

Toujours au XIXe siècle, d’autres anciens présidents de la Société s’illustreront dans le domaine de la finance et dans le domaine social. Ils favoriseront la création de banques, soutiendront l’aide aux ouvriers, et préconiseront, entre autres, la mutualité qui engendrera des années plus tard, le Service d’entraide, la Société nationale de fiducie et l’Économie-mutuelle d’assurance.

D’emblée, il faut citer Joseph Masson, le 4e président de la Société, nommé au Conseil législatif de 1834 à 1838. Il siègera au conseil d’administration de la Banque de Montréal et fondera plusieurs entreprises commerciales. Il sera identifié comme le premier millionnaire canadien-français. Quant à Côme-Séraphin Chevrier, député de Montréal 1834, il a été président de la Banque du Peuple.

Le propriétaire foncier Pierre Beaubien, député de Cité de Montréal et député de Chambly sera le 12e président et le cofondateur de la Banque du Peuple. Il lèguera une partie du Cimetière Côte-Des-Neiges dans lequel sera érigé le Monument des Patriotes. Un autre cofondateur de la Banque du Peuple et président de la Société en 1858 sera le député de Kent et de Chambly, Frédéric-Auguste Quesnel,

Antoine-Olivier Berthelet, député de Montréal-Est (1832-1834) et riche propriétaire immobilier, sera l’instigateur de plusieurs bonnes oeuvres de bienfaisance à Montréal.

Charles-Séraphin Rodier, conseiller législatif (1867 à 1876) sera directeur de la Banque Jacques- Cartier. Il investira dans plusieurs entreprises lucratives dans lesquelles il fera fortune. Il sera un grand bienfaiteur des institutions de charité et des institutions religieuses.

Louis Archambault, le 25e président en 1876, sera député du comté de l’Assomption de 1858 à 1867 pour ensuite devenir Conseiller législatif de 1867 à 1888. Il a toujours défendu et préconisé le concept de la mutualité. Ouvrier d’élite et entrepreneur de métier, il deviendra le président fondateur de la Société canadienne des Menuisiers et des Charpentiers qui se transformera ensuite en Société des Artisans canadiens-français.

On ne peut passer sous silence, l’influence marquée de Joseph-Xavier Perreault qui a milité durant 40 ans à la Société et qui accèdera à la présidence en 1905. Cet ancien député de Richelieu (1863 à 1867) mettra sur pied la Chambre de Commerce du District de Montréal dont il deviendra le premier président. La Chambre de Commerce sera très majoritairement formée des membres de la Société Saint-Jean-Baptiste. Cette initiative se voulait une réponse au Board of Trade de Montréal où les canadiens-français étaient absents.

Pour contrer l’exode des canadiens-français vers les États-Unis, des anciens présidents comme Antoine-Aimé Dorion, député de Montréal et d’Hochelaga, Thomas-Jean-Jacques Loranger député de Laprairie et Louis Beaubien, président de l’Assemblée législative, apporteront leur soutien à la cause de la colonisation des Laurentides (et du Manitoba) travaillant en collaboration avec le curé Antoine Labelle alors commissaire à la colonisation. Ils s’impliqueront particulièrement dans la construction du Chemin de fer du Nord.

La journée du 24 juin

Pour la Société Saint-Jean-Baptiste, la journée du 24 juin demeure l’événement central et rassembleur des canadiens-français d’hier et des Québécois d’aujourd’hui. De tout temps, on a célébré la fête de la fierté, de l’appartenance et de l’identité.

Ainsi, le 24 juin 1874, quelque 18,000 franco-américains s’étaient déplacés à Montréal, cette ville étant pour eux le foyer des canadiens-français. Cette tradition se perpétuera pendant plusieurs décennies.

Pour les francophones d’Amérique, le Monument national deviendra le siège social, la maison mère des 500 sociétés Saint-Jean-Baptiste regroupant plus de 50,000 adhérents de la Louisiane, de l’Acadie, de Saint-Boniface, de la Nouvelle-Angleterre,de l’Ontario et de tout le Québec.

Le premier ministre Honoré Mercier assistera, comme bien d’autres d’ailleurs, aux rassemblements de la Société à Montréal. Mercier accepta aussi l’invitation du congrès de la Société dans la ville de Québec en 1889 où, dans un célèbre discours, il dira: « Que notre cri de ralliement soit à l’avenir ces mots qui feront notre force. Cessons nos luttes fratricides, unissons-nous. »

Pour Honoré Mercier, le Québec était la patrie de tous les francophones d’Amérique. Ainsi, pour représenter le gouvernement aux assises de la Société qui se tenaient à Nashua au New- Hamshire, il délégua le député Laurent-Olivier David, lequel cumulait la présidence de la Société Saint-Jean-Baptiste.

Pouvait-il en être autrement? La Société embrassait toutes les causes de l’époque: la Rébellion, la Confédération, l’affaire Riel, l’exode des canadiens-français, la survivance française au Québec et en Amérique et le reste. D’où cette relation particulière de la Société avec les dirigeants politiques de l’Assembée législative du Québec.

C’est en 1975 que j’ai découvert avec fierté l’histoire de la Société Saint-Jean-Baptiste à travers les pages de l’historien Robert Rumilly. J’ai pu réaliser la valeur des hommes qui l’ont constituée et l’oeuvre importante qu’ils ont accomplie. Aussi, c’est avec un sentiment d’humilité que j’ai accepté la présidence de la Société en 1977 . L’expérience que j’y ai acquise sera pour moi des plus bénéfiques au cours de mes années passées à l’Assemblée nationale.

Heureux 175e anniversaire et longue vie à la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal !

Jean-Paul Champagne
72e président de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal
Député de Mille-Îles (1981-1985)

Références:

L’histoire de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal, des Patriotes au Fleurdelisé, 1834-1948, Éditions de l’Aurore, par Robert Rumilly.

Dictionnaire des Parlementaires du Québec, 1792 à nos jours, réalisé par la Bibliothèque nationale du Québec, édition, Les Presse de l’Université Laval

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