Frédéric Lacroix | L’AUT’JOURNAL
Le Parti libéral du Québec (PLQ) applique depuis longtemps une stratégie électorale simple et efficace qui repose sur deux axes : maximiser les volumes d’immigration et s’assurer ensuite que les immigrants non-francophones admis au Québec se francisent le moins possible. Cette stratégie créé des « conditions gagnantes » pour le PLQ d’abord parce que les comportements électoraux sont fortement structurés par la langue d’usage (la langue parlée à la maison); les francophones éparpillant leurs votes dans l’ensemble des partis, les anglophones votant presque exclusivement pour le PLQ et les allophones imitant de près le comportement électoral des anglophones.
L’application sur le long cours de cette stratégie a conduit à une augmentation progressive du nombre de comtés « sûrs » où le PLQ est certain de remporter une éventuelle élection. Ainsi, depuis 1994, le PLQ n’a jamais remporté moins de 47 comtés lors d’une élection générale. Aux élections de 2012, Jean Charest a conduit le PLQ à son pire score historique, soit 31,2%, mais les libéraux ont pourtant remporté 50 comtés. Le nombre de comtés « sûrs » pour le PLQ a non seulement augmenté au cours des vingt dernières années, mais ces comtés se gagnent aussi plus facilement avec un suffrage global plus faible. Comme le nombre de comtés au Québec est de 125, il suffit de remporter 63 sièges pour prendre le pouvoir de façon majoritaire. Gagnant environ 50 comtés avant même le déclenchement des élections, le PLQ a donc besoin de concentrer ses ressources et sa « machine » dans une quinzaine de comtés seulement pour prendre le pouvoir de façon majoritaire. Il s’agit là d’un avantage stratégique immense par rapport aux autres partis politiques qui disposent généralement d’un faible nombre de comtés « sûrs », voire d’aucun.
Des données provenant du directeur général des élections du Québec indiquent que le PLQ est bon troisième en termes de financement populaire, récoltant jusqu’ici seulement 76 645$ durant la présente année électorale 2018 comparativement à 97 809$ pour Québec Solidaire et 196 720$ pour le Parti Québécois. A la lumière des données ci-dessus, il faut relativiser la faible récolte du PLQ, car celui-ci peut concentrer ses efforts et son argent sur environ 15 comtés seulement, soit 5109$ par comté, tandis que le PQ, par exemple, étant en compétition avec la CAQ, QS ou le PLQ dans la presque totalité des comtés, doit répartir son 196 720$ sur environ 65 comtés, soit 3026$ par comté. Le PQ dispose donc de seulement 60% des moyens effectifs du PLQ par comté, malgré une récolte d’argent 2,5 fois supérieure à celui-ci.
Les Québécois se sont longtemps rassurés en se disant que la loi 101 les « protégeait » et que l’anglicisation, si elle avait lieu, était confinée dans le « West-Island ». Cette vision naïve ne correspond malheureusement pas à la réalité. Un exemple frappant qui a été brièvement et pudiquement évoqué par les médias dernièrement est celui de l’anglicisation de l’ile de Laval en banlieue de Montréal. Les chiffres tirés des recensements effectués par Statistiques Canada sont tout à fait saisissants.
Ainsi, le tableau 1 présente le nombre d’individus selon la langue maternelle pour les années 2001, 2011 et 2016 sur l’ile de Laval. Le tableau 2 présente la langue d’usage (soit la langue parlée à la maison) pour les mêmes années. Dans les deux cas, les réponses multiples ont été simplifiées de façon égale.
En consultant le tableau 1, nous pouvons constater que le pourcentage de francophones, langue maternelle s’est littéralement effondré en seulement 15 ans, passant de 74,2% à 58,6%, soit une diminution de 15,6 points de pourcentage! En termes absolus, le français a perdu 6841 locuteurs alors que la population totale sur l’ile de Laval passait de 338 999 à 418 007 personnes. Dans le même temps, le nombre d’anglophones, langue maternelle, passait de 6,7% à 8,4%, soit une augmentation de 1,7 point. Cette augmentation relative relativement petite camoufle cependant le fait que le nombre de locuteurs anglophones, lui, a augmenté de 12 327! Le nombre d’allophones a plus que doublé entre 2001 et 2016, passant de 64 553 à 138 075 personnes, soit une augmentation relative de 14 points.
Le portrait tracé par le tableau 2 est aussi fort loquace. Le pourcentage de francophones, langue d’usage a diminué de 12,4 points de pourcentage tandis que celui des anglophones augmentait de 3,9 points. Cette augmentation de 3,9 points a l’air minime, mais elle est faussée par la croissance importante de la population totale. Ce 3,9 points représente dans les faits une augmentation 25 416 locuteurs en 15 ans, soit une augmentation de 65,5%! On notera le décalage important entre le nombre d’anglophones selon la langue d’usage et la langue maternelle : alors qu’il y avait 35 090 anglophones selon la langue maternelle en 2016, on y retrouvait 64 237 anglophones selon la langue d’usage, soit presque le double! L’anglais jouit d’une vitalité impressionnante sur l’ile de Laval, une région qui était historiquement exclusivement francophone. Le nombre d’allophones selon la langue d’usage a lui aussi plus que doublé entre 2001 et 2016, passant de 37 408 à 81 630 personnes, ce qui représente une augmentation en poids relatif de 8,5 points.
Au total, les non-francophones, allophones compris, sont donc passés de 21,5% de la population à 34,9% de la population en 15 ans seulement. Si on extrapole l’augmentation de 2011 à 2016, on peut raisonnablement penser que les non-francophones représentent en 2018 environ 36% de la population de l’ile de Laval.
Le politologue Pierre Serré, dans son livre « Deux poids, deux mesures, l’impact du vote des non-francophones au Québec » s’est livré à une analyse minutieuse de l’effet du vote « bloc » des non-francophones. Il a déterminé qu’une fois que le pourcentage de francophones (langue d’usage) passait sous la barre des 80% environ dans un comté, l’alternance politique était chose du passé et le PLQ était systématiquement élu. Ainsi, le bloc de 36% de non-francophones sur l’ile de Laval constitue une minorité qui détermine maintenant le résultat des élections. Le PLQ le sait parfaitement.
La figure 1, tirée du site qc125.com, illustre les probabilités de victoire pour les comtés de l’ile de Laval en tenant compte des derniers sondages en date du 8 mars 2018. Le PLQ est presque certain de remporter 4 comtés sur 6 et ce malgré le fait que celui-ci enregistre maintenant les plus faibles intentions de votes chez les francophones depuis sa création, soit sous les 20%. Le PLQ n’a qu’à concentrer sa « machine » et son argent dans les 2 comtés de Laval où sa victoire n’est pas quasi certaine. En contraste, le PQ n’a plus aucune chance de faire élire un seul député sur l’ile de Laval. En seulement 15 ans, voilà un retournement de situation tout à fait remarquable. L’ile de Laval s’est « west-islandisé ». Jean-Marc Fournier peut cesser de s’inquiéter. Non seulement l’anglais n’est pas menacé au Québec, mais il est pétant de santé, il plastronne, il triomphe.
En instrumentalisant l’immigration et la francisation comme il le fait, le PLQ est en train de verrouiller le système politique à son avantage. Le député du PLQ Christos Sirros avait publiquement évoqué cette stratégie en 1995 en affirmant que «le désir d’indépendance des Québécois va s’éteindre avec l’immigration ». Corrigeons : ce n’est pas le « désir » d’indépendance qui sa s’éteindre chez les Québécois, mais la « possibilité » politique de l’indépendance. Nuance. A cause des vices inhérents au scrutin majoritaire à un tour, le Québec est en voie de basculer dans un régime où une minorité domine de plus en plus facilement la majorité et où la volonté de celle-ci est niée. Si la tendance actuelle se poursuit, le PLQ pourrait disposer de 63 comtés « sûrs » d’ici moins d’une vingtaine d’années. Le résultat serait tout simplement la fin de l’alternance démocratique au Québec.
Comment enrayer cette dynamique délétère? Premièrement en refusant de se laisser culpabiliser. Deuxièmement en abaissant les seuils d’immigration à des niveaux raisonnables, des niveaux qui servent les intérêts du Québec au lieu de servir les intérêts du PLQ et du Canada. Troisièmement en promouvant de façon décomplexée des mesures visant à mettre fin au « libre-choix » de la langue d’usage publique sur le territoire Québécois, mesures qui favorisent outrageusement l’anglais et qui bloquent l’intégration des allophones. Des mesures comme la fin du bilinguisme systématique de l’État Québécois. Comme la francisation obligatoire de tous les immigrants. Comme la formation de médecins en français en Outaouais. Comme la loi 101 au Cégep. Ces mesures devraient être considérées comme nécessaires afin de revitaliser une démocratie de plus en plus mal en point.