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Les héritiers de Lord Durham

Charles Castonguay |  L’AUT’JOURNAL  
Les opinions exprimées dans ce texte n’engagent que son auteur.

 

Selon mon Petit Laroussefrancophone veut dire « de langue française ». J’aime bien. Cela rejoint l’usage courant qui entend par francophone une personne dont le français est la langue première.

On peut considérer par conséquent que les personnes qui parlent le plus souvent le français à la maison, c’est-à-dire qui ont le français comme langue d’usage, représentent assez bien la population francophone. Notamment en Ontario. Les Ontariens dont le français serait la langue première, sans le parler comme langue principale à la maison, sont très rares.

Il y avait 310 000 Ontariens de langue d’usage française en 2016, une fois les déclarations de deux ou trois langues d’usage réparties de façon égale entre les langues déclarées. C’est le nombre actuel de francophones dans la province.

La langue maternelle nous renseigne plutôt sur la langue d’usage des répondants dans leur petite enfance. Il y avait 528 000 Ontariens de langue maternelle française en 2016, après répartition égale des réponses multiples. Comparé aux 310 000 francophones, cela signifie une perte globale par voie d’assimilation de 218 000, ou 41,3 %, pour le français en tant que langue première.

Les chiffres correspondants en 1971, peu après l’entrée en vigueur de la Loi sur les langues officielles de Trudeau père, étaient de 482 000 pour la langue maternelle et de 352 000 pour la langue d’usage. La perte due à l’assimilation était alors de 130 000, ou 26,9 %.

En éliminant autant que possible l’effet des changements apportés aux recensements depuis 1971, on peut en conclure que la perte globale du français par voie d’assimilation en Ontario s’est accrue régulièrement, au rythme d’un point de pourcentage à tous les 5 ans.

Chaque nouveau recensement apporte donc à Lord Durham de quoi féliciter le géniteur de la Loi sur les langues officielles.

La perte globale de 218 000 locuteurs principaux du français en 2016 résulte d’une anglicisation nette de 228 000 Ontariens de langue maternelle française, légèrement adoucie par une francisation nette de 10 000 Ontariens de langue maternelle non officielle. Le taux d’anglicisation nette des Ontariens de langue maternelle française était donc de 228 000/528 000, ou 43,2 %. En hausse par rapport au taux correspondant de 27,4 % observé en 1971. Le taux d’anglicisation précoce chez les 25 à 34 ans s’élevait à 48,3 % en 2016, ce qui laisse prévoir que la hausse continuera.

Quant à l’apport à la population francophone des 3,7 millions d’Ontariens de langue maternelle non officielle, issus en quasi-totalité de l’immigration, le maigre bilan de 10 000 francisés en dit long. Il s’agit surtout d’immigrés de première génération, d’ailleurs, dont la plupart avaient sûrement adopté le français comme langue d’usage à l’étranger, avant d’immigrer. Car la deuxième génération, née en Ontario, n’a contribué que 1 400 francisés. Autrement dit, le pouvoir d’assimilation du français en milieu de vie ontarien est à peu près nul.

L’immigration de langue maternelle française, originaire de France, du Maroc, du Congo, etc., peut paraître plus prometteuse. Mais après une quinzaine d’années de séjour en Ontario, le taux d’anglicisation parmi ses immigrés de première génération s’élève à 35 %. Quant à sa deuxième génération, née en Ontario, l’anglicisation à l’âge adulte dépasse 60 %. Cette immigration-là finit donc, elle aussi, par nourrir davantage l’Ontario anglais que l’Ontario français.

Voyons la situation par région. Le sud de la province comprenait 10,8 millions d’Ontariens en 2016, dont 166 000 étaient de langue maternelle française. Ceux-ci ont essuyé une perte nette de 100 000 par voie d’assimilation à l’anglais comme langue d’usage, pour un taux d’anglicisation de 60 %. L’apport de l’immigration de langue maternelle non officielle à la population de langue d’usage française y était de 4 000 personnes.

Le nord de la province réunissait 771 000 Ontariens en 2016, dont 125 000 avaient le français comme langue maternelle. Ces derniers subissaient une perte nette de 53 000 anglicisés, pour un taux d’anglicisation de 42 %. Le taux correspondant y était de 17 % en 1971.

À Sudbury, en particulier, le taux d’anglicisation est passé de 18 à 48 % depuis 1971. Il était déjà de 55 % en 2016 parmi les 15 à 24 ans. Pareille anglicisation précoce assure que l’anglicisation y poursuivra sa hausse fulgurante.

Enfin, l’est de la province comptait 1,7 million d’Ontariens en 2016, dont 237 000 de langue maternelle française. Ceux-ci accusaient une perte nette de 75 000 à l’anglais, langue d’usage, pour un taux d’anglicisation de 31,6 %. Le taux correspondant y était de 15 % en 1971. L’apport de l’immigration de langue maternelle non officielle à la population francophone était de 6 000 personnes.

À Ottawa, en particulier, le taux d’anglicisation de la population de langue maternelle française est passé depuis 1971 de 16,7 à 34,1 %. Le même taux s’élevait déjà à 40,3 % parmi les 25 à 44 ans en 2016, gage d’une anglicisation encore plus élevée à venir.

Éclatante réussite du bilinguisme à la Trudeau, dans cette capitale d’un pays qui se veut un modèle pour l’univers.

Une fois que l’assimilation a fait son œuvre, le sud comprend 70 000 Ontariens de langue d’usage française (166 000 moins 100 000 plus 4 000). Un calcul semblable donne 72 000 francophones dans le nord et 168 000 dans l’est. D’où le total de 310 000 francophones pour l’ensemble de la province.

On exagère donc énormément la population « francophone » en faisant état des 551 000 francoplops, 622 000 francodifs,  ou 767 000 francoJolys dans la province. Tous ces chiffres comprennent de nombreux Ontariens dont le français n’est qu’une langue secondaire.

Tant qu’à y être, aussi bien compter comme « francophones » les 1,5 million d’Ontariens qui se disent capables de parler français, comme le fait la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada.

Dans Les Héritiers de Lord Durham (1977), les minorités de langue officielle française avaient courageusement analysé le phénomène d’assimilation suite au recensement de 1971. Depuis, leurs porte-parole préfèrent tenir en public un discours plus « positif ». Jusqu’à supplier les Québécois de voter NON lors du référendum de 1995, sous prétexte que la Loi sur les langues officielles avait fait reculer l’anglicisation des minorités et qu’il fallait la laisser poursuivre son bon travail !

Au lieu de conclure à l’échec définitif de la politique linguistique de Trudeau père, à la lumière de 45 ans de progression continue du taux d’anglicisation de la population de langue maternelle française en Ontario, voire dans l’ensemble du Canada hors Québec, ces mêmes porte-parole tentent maintenant de dissimuler la réalité en diluant à qui mieux mieux le sens du mot « francophone ».

En lançant de la sorte de la poudre aux yeux, ils se font ni plus ni moins complices de Lord Durham.

 

 

 

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