MARIE-ANNE ALEPIN,
présidente générale, Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal
Ces derniers jours, certains manifestants ont cru bon de faire outrage au drapeau du Québec et au drapeau des Patriotes afin d’exprimer leur ras-le-bol des mesures sanitaires. Il m’apparaît important de recadrer un peu certains faits en vue de futures manifestations.
En effet, on a pu voir récemment le drapeau du Québec flottant tête en bas, soit à l’envers, un signe universel de détresse militaire censé également nous dire que nos institutions démocratiques seraient passées aux mains de l’ennemi… Mais à quel ennemi fait-on référence au juste?
Que ce soit avec un emblème ou non, manifester est un droit fondamental. Cela est sain et conduit immanquablement au débat public. À certains, comme Rambo Gauthier, les Farfadaas, la Meute ou autres, une tribune publique est accordée et cela devrait venir avec l’exigence de la rigueur.
Un symbole
Le drapeau du Québec n’est pas une affiche de spectacle ou une simple décoration. C’est le symbole ultime de la fierté de notre nation, de notre présence, de notre force, de notre histoire et de notre devenir. Il n’existe pas de plus grand témoignage de fierté pour notre peuple que de pouvoir arborer notre fleurdelisé pour qu’il soit vu, pour qu’il domine l’espace. Le drapeau du Québec est un puissant symbole d’appartenance qui va au-delà des bannières partisanes.
Même s’il est bien de brandir toujours plus de drapeaux du Québec dans des manifestations, l’usage que certains font du fleurdelisé est incohérent, dégradant et profanatoire.
C’est incohérent parce que le fleurdelisé symbolise le peuple du Québec. En le mettant à l’envers, c’est comme si nous disions au peuple derrière ce symbole qu’il est l’ennemi du peuple dans la rue, ce qui revient pour le porteur à s’envoyer promener lui-même!
Or, il n’y a qu’un seul peuple. Un peuple en proie à ses débats, mais un seul peuple face à l’Histoire et face à cette pandémie. Par ailleurs, si le souhait des manifestants est de viser nos institutions démocratiques, il me semble qu’il y a des moyens plus dignes et respectueux d’y arriver qu’en bafouant notre emblème national de la sorte.
C’est dégradant parce que ces fleurdelisés brandis à l’envers nous salissent et trahissent ce grand symbole unificateur et porteur d’espoir qu’est notre drapeau, reconnu sur la scène internationale. La charge, symbolique, apparaît pire qu’à Brockville (Ontario) où le drapeau québécois fut piétiné et brûlé après le recours par le gouvernement du Québec à la clause dérogatoire, en 1989, pour protéger la Charte de la langue française. À Brockville, un peuple s’en prenait à un autre…
C’est profanatoire parce que cela viole notre emblème national, empoisonne notre fierté, méprise le respect dû à notre peuple, insulte sa présence et sa force dans l’Histoire.
Choquant
Il en va de même avec l’usage du drapeau des Patriotes utilisé comme une simple décoration. C’est choquant quand on connaît le sort réservé à nos ancêtres, les Patriotes, eux qui revendiquaient nos droits collectifs, la souveraineté de l’Assemblée, la responsabilité ministérielle et les limitations du pouvoir du gouverneur. Quand ils n’ont pas été déportés, nos patriotes ont été pendus, leurs fermes ont été brûlées, leurs villages saccagés, attaqués par les soldats britanniques. C’est honteux de voir tout le déshonneur qu’on leur fait.
Par quel procédé au juste, le drapeau du Québec et le drapeau des Patriotes, sources de fierté, sont-ils devenus des vecteurs de mépris envers nous-mêmes? Comment ces gens peuvent-ils croire ou laisser croire, en arborant ces emblèmes de cette façon, que l’ennemi du peuple du Québec est le peuple lui-même?
Est-ce là un écho de la polarisation de la population face aux mesures sanitaires exigées par le gouvernement? Cela nous a-t-il un peu trop montés, au fond, les uns contre les autres jusqu’à nous mener ou conduire jusque là ?
Ou est-ce plutôt un écho de l’irrespect de certaines de nos institutions publiques et édifices gouvernementaux où pullulent des drapeaux du Québec lacérés, démâtés lorsqu’ils ne sont pas en violation du protocole ou tout simplement absents?
Est-ce que vous voyez énormément de drapeaux du Canada effilochés ou délavés? Pourquoi, au Québec, sommes-nous moins vigilants sur le pavoisement? À quel moment, dans notre histoire, avons-nous cessé d’être fiers? Et quand avons-nous commencé à nous mépriser?
Un vrai programme de fierté
Le gouvernement doit se doter d’un vrai programme de fierté, financé convenablement, permettant de marquer partout sur le si beau territoire qui est le nôtre notre immense fierté par une généreuse distribution de drapeaux, plutôt que de laisser se répandre publiquement l’actuel mépris.
Il y a une Loi sur le drapeau et les emblèmes du Québec et un Règlement sur le drapeau. Cependant, les mesures coercitives sont absentes. Pourquoi ne pas faire comme la France où l’outrage au drapeau tricolore est officiellement réprimé depuis 2010 sans que cela porte pour autant atteinte à la liberté d’expression. Le gouvernement se doit d’être exemplaire, de telles mesures sont nécessaires.
Que ce soit face à cette pandémie ou face aux événements qui ont jalonné notre Histoire, nous faisons face aux vents mauvais, debout et unis, comme un seul peuple. Nous pouvons toujours débattre, nous pouvons toujours manifester, mais nous ne devrions jamais céder au mépris de nous-mêmes au point d’outrager nos emblèmes nationaux.
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