Romain Schué | Radio-Canada
La Ville de Montréal a récemment été rappelée à l’ordre par le ministère de la Justice afin de mieux afficher le fleurdelisé, tel que le veut une vieille loi provinciale. Des citoyens, appuyés par un cabinet d’avocats et la Société Saint-Jean-Baptiste, se disent par ailleurs prêts à saisir la justice si l’administration ne met pas davantage en avant les couleurs du Québec.
« Une communication avec la Ville de Montréal afin de lui rappeler l’importance de se conformer au protocole d’utilisation du drapeau du Québec sur le territoire de la Ville de Montréal lui a été faite cet hiver », a indiqué à Radio-Canada le ministère de la Justice.
Ce dernier invite par ailleurs la métropole à « respecter » ce texte, adopté par le Parlement le 9 mars 1950, soit près de deux après la création du fleurdelisé par le premier ministre Maurice Duplessis.
Cette Loi sur le drapeau et les emblèmes du Québec oblige notamment les institutions publiques ou établissements relevant de l’administration gouvernementale à déployer ce drapeau, vu comme un « emblème national ».
La place d’honneur pour le fleurdelisé
Montréal serait en faute, soutient Me Hugo Vaillancourt, avocat au cabinet Allali Brault, qui a été saisi de ce dossier par plusieurs citoyens montréalais.
« La Ville commet plusieurs infractions », affirme-t-il, avant d’énumérer les fautes reprochées. Celles-ci sont nombreuses.
Dans la salle du conseil municipal, Montréal devrait arborer le drapeau du Québec, tel que l’oblige l’article 9 du Règlement sur le drapeau du Québec. À ce jour, seul l’emblème de la Ville y est accroché.
Si, à l’extérieur de ce bâtiment, le fleurdelisé est bien présent, celui-ci est mal placé, puisqu’il est situé à gauche de la feuille d’érable, qui a, à sa droite, l’emblème de la Ville. Une erreur, soutient le ministère de la Justice.
Le drapeau du Québec a préséance sur tout autre drapeau ou emblème.
« Lorsqu’une administration peut être appelée à arborer deux ou même plusieurs drapeaux différents, le drapeau du Québec doit occuper la place d’honneur », soit le centre, comme dans toutes remises de prix dans un podium sportif, par exemple. « Le deuxième drapeau en importance est à la gauche de l’observateur, le troisième est à la droite », explique le ministère.
Cette règle est quant à elle respectée du côté de l’hôtel de ville de Québec, rappelle Me Vaillancourt.
Drapeau manquant ou mal placé
Ce n’est pas tout. Très détaillée, cette loi demande également, entre autres, de déployer le drapeau du Québec sur :
- l’édifice où siège le conseil d’une municipalité ou un conseil d’arrondissement;
- une bibliothèque municipale et en tout lieu où une municipalité déploie sa bannière;
- chaque édifice où siège un tribunal visé à la Loi sur les tribunaux judiciaires;
- les ministères, les commissions scolaires et les établissements publics de santé.
Là encore, Montréal est défaillante, selon les constatations effectuées par Radio-Canada, dans différents arrondissements de l’île.
En haut de la Cour municipale, seules les armoiries de Montréal sont déployées.
Aucun drapeau du Québec n’est non plus arboré devant la moderne bibliothèque Marc-Favreau, à deux pas du métro Rosemont, ni devant les bibliothèques Père-Ambroise et Robert-Bourassa, respectivement dans Ville-Marie et Outremont.
De nombreux autres établissements similaires placent le drapeau du Canada au centre, contrairement à cette loi.
Conseiller d’Outremont et membre d’Ensemble Montréal, le parti de l’opposition officielle, Jean-Marc Corbeil a pris la défense de ce groupe de citoyens.
Refusant de se considérer comme souverainiste, il critique le manque de réaction de la part de l’administration de Valérie Plante. Celle-ci « se prive des succès de l’État québécois », clame-t-il. « Peu importe les croyances politiques, ce drapeau rappelle aux citoyens que l’État québécois finance beaucoup de choses à Montréal », mentionne l’élu.
Les arrondissements dirigés par Ensemble Montréal ne sont cependant pas irréprochables. Aucun drapeau n’est dressé par exemple devant le Centre récréatif Rivière-des-Prairies, qui accueille un mois sur deux la séance mensuelle du conseil d’arrondissement de Rivière-des-Prairies–Pointe-aux-Trembles. Dans Montréal-Nord, le drapeau du Canada flotte quant à lui au centre devant la bibliothèque de la Maison culturelle et communautaire.
Un « choix politique », selon la Société Saint-Jean-Baptiste
La Société Saint-Jean-Baptiste (SSJB) assure avoir déjà interpellé maintes fois Montréal, afin de faire respecter « ce symbole d’une très haute importance ».
« Mais certaines administrations dans le passé ont considéré Montréal comme une cité État. Nos demandes sont restées lettres mortes », affirme Maxime Laporte, président de la SSJB.
« Pour Denis Coderre et ses prédécesseurs, Montréal était à part, avec ses conventions », renchérit Me Vaillancourt.
Déployer le drapeau du Québec, c’est une question de fierté, mais aussi de respect d’une loi démocratique. Cette pratique de déployer l’unifolié canadien est un choix politique, qui nuit à la cohésion de nos emblèmes.
Selon Maxime Laporte, qui déplore que « ce problème empire d’année en année », « Montréal laisse entendre que son administration relève d’Ottawa et non de Québec ». « Ça crée une confusion », critique-t-il.
Poursuite judiciaire envisagée
Si Montréal n’agit pas, aucune sanction n’est prévue par Québec. Le gouvernement « privilégie une approche visant à informer » la Ville des dispositions de la loi, tout en lui demandant « de s’y conformer ».
Mais « en absence d’une collaboration », l’administration Plante devrait recevoir une mise en demeure, certifie Me Vaillancourt.
« On envisage un recours judiciaire, ce qui n’a jamais été fait », indique Maxime Laporte, avant de s’adresser à l’équipe municipale.
« Pour éviter qu’il y ait un procès, de grâce, réglez le problème et soyez conforme à la loi. C’est simple comme bonjour », ajoute-t-il.
Montréal pourrait« revoir » sa politique de pavoisement
La Ville de Montréal affirme avoir « pris acte de la communication du gouvernement ».
Celle-ci signale être en train d’analyser « les différents éléments historiques et juridiques relatifs au pavoisement ». « La politique de pavoisement de la Ville date de 1996, l’administration actuelle a donc poursuivi la politique des administrations précédentes », écrit par courriel Gonzalo Nunez, porte-parole de la Ville.
Un changement pourrait néanmoins avoir lieu, laisse-t-on entendre. « Nous sommes toutefois en train de revoir notre politique de pavoisement, en prenant en considération les impacts de ces changements sur les infrastructures et les coûts pour la Ville », admet Gonzalo Nunez.