Quand le drapeau des Patriotes est récupéré par l’extrême droite

Depuis quelques semaines à Ottawa et au Québec, le drapeau des Patriotes flotte souvent aux côtés non seulement de l’unifolié mais aussi d’autres drapeaux de groupes d’extrême droite.

 

Des manifestants contre les mesures sanitaires à Ottawa brandissent une version légèrement modifiée du drapeau des Patriotes de 1837-1838.

Laurence Niosi – ICI RADIO CANADA

À la base un insigne républicain ancré dans l’histoire du Québec, le drapeau des Patriotes, agité lors de certaines manifestations de camionneurs contre les mesures sanitaires, a pris une toute nouvelle signification.

Le drapeau souvent observé ces dernières semaines est le tricolore vert, blanc et rouge des Patriotes orné d’un combattant et d’une étoile jaune. Il s’agit d’une version modifiée du drapeau original, popularisée par le Mouvement de libération nationale du Québec (MLNQ), défunt groupe fondé en 1995 par l’ex-felquiste Raymond Villeneuve.

Dorénavant commun lors des manifestations d’extrême droite, ce drapeau a été brandi au cours des dernières années par des groupes opposés à l’immigration et, aujourd’hui, aux mesures sanitaires, notamment Storm Alliance et La Meute.

Le drapeau des Patriotes a aussi été récupéré par les Farfadaas, un groupe dissident de La Meute dirigé par Steeve L’Artiss Charland. Le drapeau tricolore est cette fois-ci décoré d’un nain de jardin qui brandit le fleurdelisé à l’envers et d’une étoile jaune.

Le sociologue Martin Geoffroy, qui observe la montée de l’extrême droite au Québec depuis de nombreuses années, y voit une perversion du drapeau des Patriotes, un virage à 180 degrés. Pendant les années 1960, il reflétait la gauche révolutionnaire, et maintenant, c’est l’extrême droite. Et ces gens-là se voient comme des révolutionnaires, constate-t-il.

Le drapeau d’un groupe de contestation.
Les membres des Farfadaas sont présents sur la colline de Parlement depuis le début des manifestations contre les mesures sanitaires.

Les membres des Farfadaas sont présents sur la colline de Parlement depuis le début des manifestations contre les mesures sanitaires. PHOTO : RADIO-CANADA

 

De 1832 à aujourd’hui

D’abord apparu en 1832, ce drapeau qui représente les habitants du Bas-Canada a été utilisé par les Patriotes de Louis-Joseph Papineau notamment lors de l’insurrection de 1838 contre les troupes britanniques. À la base, les Patriotes, c’est une lutte pour l’émancipation collective, pour la fin du pouvoir monarchique. C’est un symbole de républicanisme antimonarchique, souligne l’historien Simon Jolivet non sans noter l’ironie d’un tel retournement.

Mis à l’index pendant près de 100 ans à cause de sa connotation anticléricale, poursuit-il, le drapeau tricolore réapparaît dans les années 1960, récupéré par le Front de libération du Québec (FLQ) pour symboliser la révolution nationale. Le groupe indépendantiste fait d’ailleurs souvent référence aux rébellions de 1837-1838 dans divers manifestes et dans sa revue La Cognée, ce qui n’a jamais été le cas du Parti québécois, qui a préféré s’en tenir éloigné, précise l’historien.

Dans la foulée de l’échec du second référendum en 1995, le tricolore patriote est alors récupéré par le Mouvement de libération nationale du Québec (MLNQ), dont les actes de vandalisme dans la ville anglophone de Baie d’Urfé lui ont valu une certaine renommée au début des années 2000. Ce groupuscule indépendantiste y ajoute l’image mythique du vieux patriote illustré par l’artiste Henri Julien, avec sa pipe, sa tuque et sa ceinture fléchée, de même qu’une étoile jaune, qui symbolise la lumière qui guide les Patriotes.

Cette fois-ci, la récupération du drapeau vient de l’extrême droite, souligne Martin Geoffroy. Dans les années 1990, les mouvements d’extrême droite étaient nationalistes. Ils le sont toujours, d’ailleurs, dit-il en citant la Fédération des Québécois de souche ainsi qu’Atalante.

Malgré tout, les origines du drapeau restent floues et le choix de ses couleurs (le vert, le blanc et le rouge, que certains associent aux Irlandais, aux Canadiens français et aux Anglais) reste sujet à plusieurs interprétations, affirme Simon Jolivet. Le drapeau peut être récupéré parce qu’on ne connaît pas trop ses origines et parce qu’on connaît peu, au Québec, l’histoire des Patriotes, estime-t-il.

 

Importation américaine

Outre le drapeau, le terme patriote revient au goût du jour et revêt une nouvelle signification, elle-même une importation du mouvement complotiste américain, explique Martin Geoffroy. De nombreux adeptes de QAnon ont commencé à s’auto-proclamer patriotes surtout depuis l’exclusion de leurs pages des grands réseaux sociaux à partir de l’automne 2020.

C’est là une façon de s’auto-censurer pour échapper à une éventuelle purge, ajoute le sociologue, qui observe le même phénomène au Québec. Il cite la figure de proue de la mouvance QAnon, Alexis Cossette-Trudel, dont les pages Facebook et Twitter, de même que la chaîne YouTube, ont été supprimées.

Il a arrêté de parler de QAnon et a commencé à se désigner comme un patriote, dit Martin Geoffroy. C’est un mot code de l’extrême droite pour désigner quelqu’un de l’extrême droite.

Capture d’écran d’un webjournal d’Alexis Cossette-Trudel. Le conspirationniste québécois y souligne la lettre envoyée par Mgr Vigano à Donald Trump.
Capture d’écran d’un webjournal d’Alexis Cossette-Trudel. Le conspirationniste québécois y souligne la lettre envoyée par Mgr Vigano à Donald Trump.

 

Mentalité de guerre

Outre le drapeau des Patriotes, d’autres drapeaux récupérés ont été observés à Ottawa, notamment le Gadsden Flag avec son serpent à sonnette sur fond jaune. Symbole de la révolution américaine contre la Couronne britannique, ce drapeau a été recyclé par les libertariens du Tea Party, puis par les militants pro-armes et finalement par les partisans de Donald Trump.

Des manifestants à Ottawa ont également fait flotter l’unifolié ou encore le fleurdelisé à l’envers. Un tel geste signifie normalement un signal de détresse mais évoque également une idée de contestation ou de rébellion.

Le sociologue Martin Geoffroy y voit une sorte de mentalité de guerre. Les drapeaux entrent dans cette espèce d’imaginaire complotiste selon lequel ils sont en guerre. Et pour eux, Ottawa, c’est un champ de bataille, et ils plantent leur drapeau, dit-il.

Cette perversion des symboles démontre tout le mépris qu’ont ces gens envers l’État, poursuit-il. Si tu es un vrai patriote, la dernière chose que tu vires à l’envers, c’est le drapeau.

Dans une note envoyée à Radio-Canada qui fait écho à une lettre ouverte acheminée aux médias la semaine dernière, la Société Saint-Jean-Baptiste dénonce la profanation du drapeau des Patriotes et du drapeau du Québec. [Nous] n’avons pas le droit de le profaner, de le souiller, de le mettre à l’envers ou de le décorer, écrit la présidente générale de la SSJB, Marie-Anne Alepin.