Québec sabre le budget des études québécoises

Lisa-Marie Gervais  |  Le Devoir

En 20 ans, l’AIEQ a organisé 800 événements scientifiques, soutenu 300 «québécistes», formé 1000 enseignants sur la culture québécoise et octroyé 100 bourses de recherche. Photo: Jay Westcott

 

Un réseau informel de diplomatie québécoise est de nouveau menacé. Après avoir tenté de lui couper entièrement les vivres il y a trois ans, le gouvernement Couillard a décidé de réduire de 40 % la subvention allouée à l’Association internationale des études québécoises (AIEQ), tout en l’exhortant à diversifier ses sources de revenus, a appris Le Devoir dans une lettre qu’il a obtenue.

En constante diminution au fil des dernières années, la subvention de 135 000 $ du ministère des Relations internationales et de la Francophonie (MRIF) sera diminuée de 52 000 $ ce printemps, pour inciter cette organisation sans but lucratif (OSBL) qui vient de célébrer ses 20 ans à rechercher du financement ailleurs, notamment auprès de mécènes. Dans une lettre ouverte, les membres du conseil d’administration dénoncent cette perte de ressources qui les obligera à mettre fin aux programmes de soutien à la recherche ainsi qu’à une dizaine de bourses.

« On a l’impression d’être dans un film mais un film qui tourne au ralenti, car on nous coupe lentement, de manière indirecte », a dit au Devoir Martin Pâquet, professeur au Département des sciences historiques de l’Université Laval et vice-président aux affaires administratives et financières de l’AIEQ. « On nous fait mourir à petit feu. En réduisant nos ressources, nous ne pouvons pas remplir pleinement notre mission. »

Il explique que l’AIEQ soutient dans plusieurs universités à travers le monde toute une communauté de chercheurs et de spécialistes des études québécoises, des « québécistes » comme il les appelle. « On montre la vitalité scientifique et on contribue à la recherche sur le Québec à l’international et à la formation de la relève. »

Il ajoute qu’en 20 ans, l’AIEQ a organisé 800 événements scientifiques, soutenu 3000 « québécistes », formé 1000 enseignants sur la culture québécoise et octroyé 100 bourses de recherche. Grâce à une subvention du Conseil des arts et des lettres du Québec, l’organisme a également aidé au rayonnement de cinéastes et d’écrivains québécois à l’étranger, comme Dany Laferrière et Kim Thuy, en finançant plus de 300 tournées de littérature québécoise dans de nombreux pays. En 2017, année de son 20e anniversaire, l’AIEQ a collaboré à plus de 70 événements aux quatre coins du globe.

4,3 cents par habitant

Le conseil d’administration de l’AIEQ est perplexe. Pourquoi le gouvernement veut-il lui retirer son soutien ? « Je ne comprends pas », répète M. Pâquet. Il déplore cette « pensée comptable à courte vue ». « [Le gouvernement] ne pense pas au retour sur l’investissement à moyen et long terme, mais au retour dans l’immédiat. Sauf que quand vous êtes responsable de l’État, vous devez penser à long terme. »

Il rappelle que l’AIEQ ne représente qu’un investissement de 4,3 ¢ par habitant, soit un « coût infinitésimal en regard des bénéfices ». « Le ministère ne peut faire mieux au même prix ; il lui manquera toujours la masse critique des bénévoles et le soutien de leurs organismes. Le ministère et le gouvernement peuvent-ils se payer le luxe de ces économies ? » écrivent les membres de l’AIEQ dans leur lettre.

Sans dire que le gouvernement actuel n’est pas favorable à la promotion du Québec à l’étranger, M. Pâquet constate que certaines personnes sont moins sensibles à cet enjeu que d’autres. « Peu importe l’allégeance politique, il y aura toujours des personnes pour être plus ou moins sensibles à la mission de l’AIEQ », a-t-il dit.

Pour que la société civile puisse fonctionner, il faut que l’État intervienne et justement, vous avez un organisme qui joue le rôle de représentant de l’État, sur une base bénévole […], et on le laisse tomber.

D’autres coupes

Ce n’est pas la première fois que l’AIEQ subit des compressions. En décembre 2014, Le Devoir avait révélé que le Conseil du trésor souhaitait mettre fin à la subvention qu’elle lui versait, de même qu’au salaire du fonctionnaire du ministère des Relations internationales et de la Francophonie qui est « prêté » à l’organisme. L’AIEQ avait dû suspendre ses activités pendant quelques mois, mais la ministre Christine St-Pierre avait finalement avisé l’AIEQ que le Conseil du trésor allait maintenir son appui financier. Toutefois, ce montant, qui était de 230 000 $ il y a trois ans, a été réduit au fil des ans et est maintenant d’environ 135 000 $.

Au cabinet de la ministre St-Pierre, on se défend d’avoir voulu éliminer la subvention de l’AIEQ, encore moins entraîner sa fermeture. En essence, le MRIF semble rejeter la faute sur l’organisme lui-même en laissant entendre qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour s’autofinancer, chose qu’on lui demande depuis sa création, il y a 20 ans. L’AIEQ doit également réduire ses dépenses de fonctionnement qui sont trop élevées par rapport aux dépenses de programme, a écrit dans un courriel le cabinet de la ministre St-Pierre. Le ministère juge « légitime » d’exiger de cet organisme subventionné qu’il rende des comptes.

 

 

 

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