Nous sommes heureux de partager avec vous un des moments forts du spectacle Déclaration d’amour, hommage à la langue française, présenté par la SSJB le 11 février dernier.
Voici Zéphyr Bielinski, jeune slameur de grand talent qui nous livre une oeuvre écrite spécialement pour le spectacle.
Préparez-vous à vivre un coup de foudre!
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Dans les nervures d’un rocher
Sur le bord du Saint-Laurent
Un petit peuple de peupliers
S’enracine dans le ciment
Il y en a connu des durs hivers
À lui en casser les branches,
Les doigts pis les molaires
À faire taire les mésanges
Une p’tite nation, comme une franche forte forêt
Qui sous les tapis de givre
Se cultive un jardin secret
Dans l’armure d’une pierre
Caressée par le Saint-Laurent
Ce petit peuple couve sa terre
Comme une outarde le printemps.
Et il prie, prie, prie vainement
Pour que sa pierre devienne un champ
Mais quand ta terre c’t’un gros rocher
Une immense falaise escarpée
Crisse de falaise bien à pic
C’est ardu à escalader
Mais ce p’tit peuple
Petit peuple de petits pins
Se moyenne toujours un moyen
Une bonne raison de joindre les mains
Et prie, prie vainement
Que sa falaise devienne un champ
Fleuri
Il se permet même de rêver la nuit
À des cordes qui ressemblent à des pluies
Aux hivers qui ressemblent à un pays
Il rêve à des intempéries, intemporelles
Intempestives tempêtes
Qui s’empêtrent dans ses planchers
Quand le thermomètre il perd la tête
Il pense aux fleurs et aux érables
Aux épinettes qui peuvent dormir
Il s’imagine devenir arable
Et faire germer des graines d’avenir
Il rêve à une pluie franche, froide
À une salive qui l’apaise
À des bouches en cascades
À une langue française
Qui l’infiltre
Sous l’écorce de ses mélèzes
Dans ses rêves, cette amante
Le french, lui fait la cour
Ils se jasent les années 60
Et ils se laissent parler d’amour
Rien qu’un instant
Ce petit peuple pimbina
Devient roi de son royaume
Grâce à cette langue
Dont il a,
Maintenant, chaque papille et chaque arôme
Il s’enroule dans ses exceptions
S’émoustille de ses vers
Il la retourne à l’envers
Jusqu’à se mêler le vocabulaire
Il dort sous son épaule
Pour éviter de lui faire ombrage
La laisse pleurer comme un saule
Car langue vivante doit être sauvage
Et quand il se réveille
Elle est encore là à ses côtés
À l’écouter
Au bout des lèvres
Comme un morceau de chicoutai
Et il se laisse raconter
Et il se laisse tricoter
Et il se laisse métisser
Petit peuple
Assoupi
Sur une petite pierre
Prie, prie vainement
Pour que sa langue hydrate
Sa terre
Prie, prie vainement
Qu’elle soit fertile de sa grammaire
De ses amours amers
De ses Vigneault, de ses Leclerc
Prie, prie vainement
Que ses mots soignent ses maux
Qu’ils se rebellent comme corbeaux
Que son cœur soit un oiseau
Prie, prie vainement
Pour que ses arbres donnent des fruits
Et que sa terre donne naissance
À des gens de son pays
Mais ce p’tit peuple
Pour changer gravel en eau
Roche en clairière, falaise en champ
Il y avait besoin d’un héros,
D’un prophète d’un autre temps
Fait que d’un p’tit peuple
Et son joual
Naît un p’tit pape
Nommé Ti-Poil
Notre laboureur national
Il planta sa faux dans le calcaire
Et ses mots dans notre calvaire
Se péta la gueule tête la première
Pour faire des racines dans la pierre
Et on buvait ses paroles
Écoutait ses paraboles
Ses discours : un notre père.
Comme un velours un soir d’hiver
Il disait que toutes les langues du monde
Ruisselleraient entre nos doigts
Quand on saura que la nôtre compte
Quand on saura se prendre dans nos bras
Que les longs couteaux
Deviennent minces affaires
Qu’il suffit de rester fier
Qu’il suffit de rester fier
Pis grâce à notre laboureur
Notre sol est devenu un été
Notre peine un p’tit bonheur
Qu’on trouvait joie à raconter
Et depuis lors, pousse les fleurs
De lys à profusion
Et plus jamais on ne compte les heures
Quand on récolte la moisson
Et quand vraiment ça va mal
On ressort de notre carquois
La sagesse de Ti-Poil
Et on se dit à la prochaine fois
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